Sunday, January 30, 2011

Un Québec bipolaire

Ce n’est pas un article sur les troubles mentaux, quoique en regardant la situation politique au Québec, on pourrait difficilement faire la différence.

Il s’agit plutôt d’une remise en question de la façon de faire de l’État, de la partisanerie et de ses dérapages.

Depuis plusieurs décennies, le Québec évolue sur un axe politique opposant le camp fédéraliste au camp souverainiste. Ce débat est jugé nécessaire par certains, stérile par d’autres; ces derniers voudraient tout simplement évacuer la question – en faisant l’autruche – et substituer aux querelles politiques d’identité nationale une polarisation gauche-droite, croyant à tort amener de l’amélioration à la société québécoise, alors qu’ils passent de Charybde en Scylla.

Le problème avec lutte entre le dextre et le senestre, c’est qu’on n’avance pas davantage que dans la bataille constitutionnelle. On marginalise la majorité des gens – le silent majority dont parlait Nixon – qui a une opinion se situe au centre d’une courbe normale; ces personnes adhèrent à des idées centristes, de centre-droite et de centre-gauche, et compte aussi dans ses rangs bon nombre d’indécis et de désintéressés. De ceux-ci, les segments de centre-droit et de centre-gauche ont probablement plus en commun entre eux, qu’ils en ont avec les ailes extrémistes de leurs alignements politiques respectifs.

Ce qu’on voit présentement, c’est l’encouragement d’un modèle manichéen d’un paradigme judéo-chrétien dans lequel on divise, exclusivement et sans nuance, tout en deux camps, les «bons» et les «méchants», et selon lequel le triomphe messianique du «bien» par l’écrasement du «mal» apportera un Brave New World, qui peut être une utopie néolibérale ou un paradis marxiste (dépendamment des vos allégeances). Les médias conventionnels, en cherchant à cultiver les sensations fortes (et par manque d’effort), sont aussi coupables de mettre de l’huile sur le feu; pourtant ce sont d’eux que dépendent la majorité du grand public pour être informé des enjeux politiques. Le côté le plus néfaste de ce paradigme est la création de barrières dans la communication par le biais de la promotion d’une mentalité d’assiégié (siege mentality), selon laquelle tout élément nouveau et différent est forcément mal – ce qui aide peu au développement de la créativité des Québécois et au positionnement de notre économie basé sur l’innovation.

LE CAS DU RÉSEAU LIBERTÉ-QUÉBEC (RLQ)


Inspiré du (très décousu) film éditorial l’Illusion tranquille (dont le qualificatif de «documentaire» relève de la naïveté, et l’écoute du masochisme), le Réseau Liberté-Québec (RLQ) s’inscrit en continuité avec ce qui ne va pas au Québec, agissant en tant qu’une version locale du Tea Party, avec tous les dérapages que cela sous-entend. Manifestement idéologue et partisan, ce mouvement s’approprie le mot liberté, parce que par un rapide coup de passe-passe, toute personne étant contre leur mouvement devient automatiquement contre la liberté (mot agissant comme une coquille vide dont on évite de décrire précisément, comme c’est le cas quand on dit «les vrais valeurs»). C’est un peu la même chose, le même sophisme, qu’on a fait en qualifiant un certain programme (Pour un Québec Lucien) comme étant lucide, marginalisant ainsi les opposants de celui-ci comme des tenants de l’absurde et de l’idiotie.


Mais le mot liberté m’appartient, 
comme il appartient à tous les autres citoyens.


Les participants de ce mouvement adhérant à des idées orientées vers le centre-droit ne font que consolider, malgré eux, la position d’extrémistes plus verbo-moteurs, et s’isolent de leurs semblables appartenant à la centre-gauche.

Outragé par une montée de la droite et des dangers que cela pose (Auf Wiedersehen Weimar!), on pourrait à première vue vouloir organiser un équivalent gauchiste pour opposer le RLQ, un peu la Chaire d’études socio-économiques de l'UQAM existe en contre-points à l’Institut économique de Montréal (IEDM). Mais en faisant cela, la centre-gauche ne fait que consolider la base du pouvoir des extrémistes gauchistes. En polarisant le débat, les extrêmes d’une courbe normale dominent la majorité; la centre-gauche et le centre-droit se trouvent inutilement en conflit, les centristes se voient ignorés, et les indécis se sentent dépassés par le débat.

UNE AUTRE APPROCHE


Quand on est bipolaire, on prend des médicaments.

Il semble préférable pour une société qu’on renonce à la partisanerie – tout en conservant nos idéaux et nos aspirations – que de transformer les querelles fédéralistes-souverainistes par un débat évoluant sur un axe gauche-droite. Des groupes comme Génération d’idées peuvent fournir un espace d’échanges qui au-delà du carcan idéologue, et il faudrait exporter le modèle à l’ensemble de la société. Les gens appartenant au centre, peu importe les nuances, ont plus en commun entre eux qu’ils en ont avec les extrémistes. On peut rechercher l’efficience tout en adhérant à des valeurs humanistes et écologistes. (Et peut-être aussi abandonner les projets d’utopie et se concentrer sur la création de systèmes de résolutions de problèmes).

Évidemment, promouvoir un mouvement centriste et de modération manque peut-être de mordant (et qu’on devrait retravailler le branding, vu que se réclamer d’extrême-centre n’attire que le rire) mais, bon, comme on dit, la modération a bien meilleur goût.