Friday, December 25, 2015

Ma nostalgie


Dans le bon vieux temps ça se passait de même...



25 décembre 2015,

Bien que je sois ivre,
ma vitre n'est pas un jardin de givre
Et mon Noël ne sera pas blanc,
comme dans les hivers d'antan...


C'est Noël. Un Noël brun. Un Noël aux couleurs des changements climatiques. Des changements qui nous amènent dans un monde qu'on reconnaît de moins en moins. Mais prévisiblement, il y a tout de même des choses qui reviennent à chaque année durant la période des fêtes. Ceux qu'on apprécie, comme les cadeaux, la dinde, les rassemblements en famille et la bûche de Noël. D'autres qu'on apprécie moins, comme les kilos en trop résultant des quelques petits excès. Et puis il y a celui dont on pourrait amplement se passer : la politisation de la fête de Noël par la droite. 

Et in Arcadia ego.

Ma nostalgie, c'est celle du Noël d'avant, celui qui n'était pas politisé, où on pouvait dire «joyeuses fêtes!» sans provoquer d'indignation mal placée.


...ça se passait de même dans le bon vieux temps...



Année après année, comme de «l'herpès idéologique», la droite nous revient avec cette fameuse «guerre contre Noël» (War on Christmas), cherchant à contaminer le Québec entier avec sa démangeaison démagogue calquée des talking points de la chaîne Fox News, comme si la fête la plus populaire au monde avait le moindre risque de disparaître du jour au lendemain si une poignée de péquenauds ne prenaient pas la peine de s'indigner chez eux contre les immigrants. J'avais écrit en 2011 un texte pour dénoncer la manipulation émotionnelle que la droite fait autour de cette fête, un texte qui depuis continue de circuler dans les médias sociaux (probablement à cause de Vladimir De Thézier...). Sans trop de surprise ma critique reste toujours d'actualité (à quelques détails près), parce que les marchands de peur trouveront toujours ça facile d'appuyer sur le même bouton de panique pour faire réagir la population. Par contre, d'autres éléments de mon texte commençait à dater un peu (par exemple, il y a eu de l'eau sous le pont depuis le mouvement Occupons Montréal), alors je me suis mis à rédiger une version plus récente pour mieux correspondre à la situation actuelle.

En marketing comme en politique, l'émotion fait vendre. Quand l'émotion est forte, il suffit de rattacher au stimulus approprié et de l'activer au moment opportun pour susciter un comportement désiré. Or, le temps des fêtes est une période de l'année où nous vivons tous une surcharge émotionnelle (positive ou non), que ce soit à cause de l'anticipation des célébrations à venir, des présents espérés, des inquiétudes concernant la carte de crédit, des retrouvailles prévues, de la solitude pour certains, de l'extase religieuse autant chez les célébrants du Christ que ceux de Yule, de la nostalgie d'antan, de l'attente de la nouvelle année ou la simple joie de prendre un pause du boulot pendant quelques jours. Peu importe la raison qui nous est spécifique, et il peut y en avoir plusieurs, la fin du mois de décembre nous survolte émotionnellement et nous rend vulnérable à ce niveau, une vulnérabilité qui nous fait perdre en partie notre raison, notre esprit critique. Naïvement, nous appelons ça la «magie des fêtes». Ce n'est pas pour rien que bon nombre d'entreprises font la moitié de leur chiffre d'affaires durant cette période – si notre esprit critique se ramollit comme de l'argile durant ce mois, il en devient autant plus façonnable pour celui qui veut l'altérer à son avantage. Pour le mercaticien, c'est l'occasion de stimuler les ventes, pour le curé de remplir son église pour la messe de minuit, et pour le démagogue d'attirer les gens vers sa tribune. 

Avec autant de poissons, la pêche ne peut être que miraculeuse. Il ne suffit que de mettre de l'appât de son choix. Pour la droite, l'appât c'est la combinaison habituelle de peur, de colère et d'ignorance, bien que paradoxalement, ces «tribuns de la plainte» se présenteront (faussement) comme les ardents défenseurs de la paix, de la joie et de la «vraie» tradition de Noël. Une subversion qui fait quasiment passer «c'est comme ça que ça se passe dans le temps des fêtes» d'une parole de chanson joyeuse à un ordre intimé par les ténors de la droite, qui focalisent dogmatiquement sur les symboles de Noël (le contenant) davantage que sur l'essence de ce rassemblement (le contenu), parfois cette myopie idéologique allant au contre-sens de l'objectif visé - défendre la fête de Noël - en contribuant directement à la gâcher en lançant une énième polémique, voir un dick-waving contest de celui qui mettrait le plus de Christ dans Christmas. À force de vouloir défendre l'intégrité de l'emballage du cadeau, on oublie de voir ce qu'il y a à l'intérieur.





Noël n'en est pas à sa première forme, ni à son premier nostalgique, ni à sa première subversion et on peut constater une évolution en 6 temps de cet événement:


  1. Le phénomène astronomique et saisonnier du solstice d'hiver
  2. La création des premières fêtes, dites païennes
  3. La subversion et la récupération de ces fêtes par la chrétienté
  4. La transformation en congé civique par les gouvernements occidentaux
  5. La subversion, la récupération et la commercialisation de Noël par l'entreprise privée
  6. La situation actuelle, où la fête, politisée, sert aussi à alimenter les polémiques


1. Le solstice d'hiver


En premier lieu, la raison que cette fête existe est purement le résultat de phénomènes saisonniers et astronomiques, c'est-à-dire le solstice d'hiver. Cette date marque le premier jour de la saison de l'hiver. C'est aussi la journée la plus courte de l'année, mais le moment à partir duquel les journées commenceront à se rallonger, à sauts de puce au début, puis par des gains plus grands au printemps. Pour les premiers humains qui constataient cette étape du cycle de l'année, le solstice d'hiver était vraisemblablement pour eux la promesse que des jours meilleurs, ensoleillés et chauds, allaient revenir éventuellement. Un point de repère fiable, cyclique et ordonné dans un monde chaotique et imprévisible. C'est aussi simple ça, et tout le reste, vraiment tout le reste, n'est que pur emballage superflu: la planète Terre effectue sa révolution autour du soleil en toute indifférence de nos croyances religieuses, de nos opinions politiques et de la crise identitaire au Québec.


 2. Les premières fêtes païennes


Sol Invictus
Des millénaires avant le récit du Christ, les civilisations humaines ont organisé des célébrations rattachées au solstice d'hiver, date enrobée de mythes et légendes de leurs religions respectives. L'idée est simple: parce que les saisons se suivent selon un cycle prévisible (malgré le hasard de la météo et des récoltes), les communautés pouvaient organiser l'élevage et l'agriculture selon ce cycle; l'hiver peut être long ou court, rigoureux ou clément, mais ce qui est certain, c'est qu'il laissera toujours la place au printemps. En période de terre infertile, il était logique de réduire la taille du cheptel, question de s'assurer que les animaux qui restent aient une part suffisante de grain et de fourrage pour survivre l'hiver. Les méthodes de conservation de la viande étant ce qu'elles étaient à l'époque, plutôt que de perdre la viande obtenue, les communautés organisèrent des festins. Un moment d'abondance en période de froid et de noirceur qu'on associait à la promesse du renouveau du solstice d'hiver. Ainsi, voit-on apparaître un peu partout dans le monde des célébrations au début de la saison de l'hiver, que ce soit Yule chez les populations germaniques ou les Saturnales chez les Romains. Les racines culturelles du Québécois sont d'abord païennes, pré-chrétiennes, et rattachées à la tradition romaine, qui elle-même en doit beaucoup aux Étrusques.

Notre calendrier n'est pas le fruit d'un diktat divin, mais le résultat de plusieurs millénaires d'expérimentations (qui se souvient du mois de Mercedonius?), de réformes (le passage de 10 à 12 mois par année), de modifications (Quintilis et Sextilis cédèrent la place à juillet et août pour honorer Jules César et Auguste) et de lois entièrement créées par l'esprit humain. Si nous avons un mois de décembre proprement dit, c'est que les Romains ont conçu l'idée de ce mois et de cette forme spécifique de calendrier. Quand vous parlez du «25 décembre», vous parlez d'une abstraction, d'une convention sociale créée de toute pièce, d'une hallucination collective partagée volontairement par la population. Notre conception du temps n'existe que dans nos têtes.


 [texte en rédaction]