Sunday, January 30, 2011

Périodisation en Histoire? Les temps changent...


Un sujet un peu pointu en ce dimanche matin: il faut abolir la périodisation en Histoire.

Par périodisation, on entend le découpage arbitraire en six grandes étendues de la ligne du temps qu’on connaît tous depuis le secondaire II: Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, l’époque moderne et l’époque contemporaine.

Ce n’est peut-être pas un dossier urgent, mais on devrait considérer l’abolition de cette périodisation historique, étant donné que ces époques ne sont que des construits artificiels résultant d’un jugement a posteriori des chercheurs, et non une réalité à laquelle les gens vivant durant ces ères étaient conscients d’appartenir, vu qu’au moment où il vit, l’être humain, selon sa propre perspective, appartient à l’ère qu’il juge comme étant contemporaine. Plutôt que de faciliter l’accès au savoir historique, la périodisation ne fait qu’ajouter confusion et certains pièges d’interprétation, le tout allant dans le sens contraire de ce que devrait être l’Histoire: une méthode d’enquête rationelle et objective, au même titre que l’enquête policière, et non une forme de litérature, une épopée imprégnée d’opinions et de jugements contemporains servant à construire des mythes fondateurs pour appuyer le pouvoir politique.
 


DES FRONTIÈRES FLOUES



Un des problèmes que l’on discerne lorsqu’on établi une ligne du temps, c’est la difficulté d’établir avec certitude le début et la fin d’une période donnée: par exemple, le Moyen Âge débute officiellement en 476 avec la chute de l’Empire romain d’Occident (malgré qu’à l’est, l’Empire byzantin survit…) et se termine… ou bien en 1453, avec la chute de Constantinople, ou en 1492, avec la découverte de Christophe Colomb par les Amérindiens (ou l’inverse, si on est eurocentrique). Le résultat de ce flou, c’est que d’un livre à l’autre, dépendamment de la frontière que l’auteur a choisit pour délimiter la fin du Moyen Âge, certains événements peuvent être classés comme appartenant à l’époque médiévale, alors que d’autres ouvrages les citent comme faisant parties de l’époque moderne, ce qui rend la consultation d’archives un peu plus compliquée lorsqu’on aborde un sujet qui, dans le temps, se situe à la frontière d’une période donnée: des sources relatant des événements en Gaule en 477 sont classés comme appartenant au Moyen Âge (vue que la Gaule fait partie de ce qui est considéré comme étant l’Occident), alors que des sources de la même date provenant de Byzance sont considérées comme appartenant à l’Antiquité (vu que les Byzantins sont exclus par certains comme appartenant à l’Occident).



DES CHOIX ARBITRAIRES DE BORNES:

LA RUPTURE VERSUS LA CONTINUITÉ



Pour fixer les frontières, si on s’en tient à la méthode française de périodisation, on obtient les bornes suivantes:

  • Antiquité: de l’apparition de l’écriture (-3000?) à la chute de l’Empire romain d’Occident (476)
  • Moyen Âge: de la chute de l’Empire romain d’Occident (476) à l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique (1492)
  • Époque moderne: de l’arrivée de Colomb en Amérique (1492) à la Révolution française (1789)
  • Époque contemporaine: de la Révolution française (1789) à aujourd’hui




Le choix de ces bornes est justifié par les chercheurs comme étant des moments de rupture dans le parcours historique, des événements apportant de grands changement à l’ensemble des sociétés, un peu comme le 11 septembre 2001 a été, à notre époque contemporaine, un point tournant. Ce qu’on oublie, c’est que dans les périodes antécédentes, les médias de masse (autre que le troubadour ou le skald) étaient inexistants, et que pour le commun des mortels, la «découverte» de l’Amérique en 1492 eu probablement peu d’impacts immédiats, les effets se faisant ressentir de manière transitionnel. En France, si on se rejouit de la découverte du Canada par Jacques Cartier en 1534, ce n’est qu’en 1608 qu’on entreprendra sérieusement à établir une colonie permanente, un délai d’au moins deux générations! Les changements majeurs en Histoire qui couvrent l’ensemble des sociétés sont rarement des phénomènes ponctuels et instantanés: il y a une continuité avec ce qui existait avant et une transition vers le changement qui fait, (progressivement) tâche d’huile plutôt qu’un choc qui coupe les gens du passé, comme une guillotine sépare les monarques de leurs têtes. Du choix arbitraire de bornes il naît un débat entre les partisans de la rupture et ceux de la continuité. On se retrouve alors à partiellement évacuer le sujet originalement étudié pour focaliser davantage sur un construit artificiel, la période historique, et les débats deviennent davantage politiques qu’académiques, et ce qu’on développe surtout, ce sont des carrières de chercheurs plutôt que du savoir.


DES FAUSSES SOLUTIONS:

LA MULTIPLICATION DES SOUS-PÉRIODES ET LA CONSTRUCTION DE PÉRIODES HISTORIQUES SELON DES THÉMATIQUES



Pour tenter à la fois d’adoucir la transition d’une période historique à l’autre, ainsi que de bâtir un ensemble des thématiques, les chercheurs ont créés différentes sous-périodes qui découpent ou séparent les différentes grandes époques. Ainsi, l’Antiquité (circa -3000 à 476) se voit découpé en sections, vu que 3500 ans d’Histoire, des Sumériens en Mésopotamie aux Ostrogoths en Italie, semble trop vaste pour que les gens de cette période ait l’impression d’appartenir à la même continuité: on parle alors d’Antiquité tardive pour couvrir les troubles de l’Empire romain d’Occident débutant vers le IIIe siècle. De même, le Moyen Âge se voit divisé en Haut Moyen Âge (476 jusqu’à l’An Mil) et en Bas Moyen Âge (1000 jusqu’à 1492), avec tout le flou subjectif des frontières résultant des bornes assignées arbirtrairement. Bref, on ne règle rien, on ne fait que surcharger un débat déjà inutile.

De plus, la construction de certaines périodes basées sur des thématiques (e.g.: «l’ère des grands explorateurs», «l’âge des ténèbres») sèment la confusion chez les élèves du secondaire dans la mesure où parfois ces époques se déroulent simultanément: est-ce que Colomb est arrivé en Amérique durant la Renaissance ou durant l’ère des découvertes? Pour un adulte, c’est simple à comprendre que 1492 peut appartenir à deux thématiques étant partiellement synchroniques, mais pour un jeune, habitué de voir des périodes séquentielles, la tâche est un peu plus complexe, et parfois source de découragement. Le temps passé à tenter de comprendre la périodisation est du temps qui est enlevé à l’étude de l'époque elle-même.


Bref, encore une fois, on développe surtout des carrières de chercheurs que du savoir utile.


DES LENTILLES DÉFORMANTES:

LE CONTEXTE HISTORIQUE DE RÉDACTION ET

LES CHOIX ETHNOCENTRIQUES DE FRONTIÈRES



Évidemment, dans la méthode française choisie ci-haut, on peut se demander que peuvent bien représenter certaines dates pour des gens appartenant aux cultures. Par exemple, en quoi est-ce que l’année 476 a une importance pour un Japonais, héritier d’une culture confucéenne dans laquelle la chute de l’Empire romain d’Occident n’a pas la même charge émotive que dans une culture latine? En quoi est-ce que la Révolution française de 1792 est-elle plus importante que la Conquête de 1760 pour une Québécoise?

Encore une fois, on se trouve dans la sphère de la politique actuelle plutôt que dans la recherche historique et de l’enquête objective. Chaque pays développent alors sa propre méthode, dépendamment des événements qu’ils souhaitent mettre en valeur et d’autres qu’ils souhaitent éducolrer: par exemple, les Allemands, étant les descendants des Germains qui ont envahit l’Empire romain d’Occident, ont tendance à vouloir atténuer la charge émotive négative de l’expression des «invasions barbares» en parlant de Spätantike (Antiquité tardive), misant sur la continuité plutôt que la rupture lorsqu’ils effectuent des recherches concernant les Ve siècle de notre ère, parce que personne n’aime se considérer comme étant un barbare; ailleurs, un bouquin datant de 1915 écrit en Angleterre aurait tendance à augmenter intensifier cette supposée barbarie des populations germaniques («Dark Ages»), vu que dans le contexte de la rédaction de l’ouvrage, la guerre entre le Royaume-Uni et l’Allemagne faisait encore rage. Tout comme le nom péjoratif du «Moyen» Âge a été choisie initialement au XIXe siècle pour se moquer de l’Ancien Régime, et aucun chevalier du XIIIe siècle se considérait «médiéval» (seulement contemporain, comme on l’est tous dans le moment présent où l’on vit). On est loin d’une enquête objective et la contamination idéologique de la recherche en Histoire encourage des querelles entre chercheurs, entre départements et entre écoles de pensée, qui moussent la carrière de certains et en détruisent d’autres, dépendamment comment le vent tourne sur la scène politique. Beaucoup d’énergies gaspillées en politicaillerie qui seraient mieux dépensées en réelle recherche.



DES PÉRIODES AVEC DES DURÉES INÉGALES


Une autre caractéristique de la périodisation, c'est que les périodes diminuent en longueur à mesure qu'elles se rapprochent du moment présent, parce que subjectivement on considère que les événements plus près de nous dans le temps méritent d'être davantage distingués entre eux, tandis que ceux qui se  sont déroulés il y a quelques millénaires peuvent tous être rapidement relegué à l'Antiquité. Si on quitte momentanément le domaine de la recherche historique et qu'on transpose les méthodes de  périodisation utilisées à celui du monde de la comptabilité, on obtiendrait le résultat suivant:

- l’exercice financier 1 («Antiquité») a une durée de 20 ans
- l’exercice financier 2 («Moyen Âge») a une durée de 5 ans
- l’exercice financier 3 («Époque moderne») a une durée de 2 ans
- l’exercice financier 4 («Époque contemporaine») a une durée de 6 mois

Ce n'est pas évident alors de comparer les états financiers d’une firme pour analyser la performance de celle-ci à travers le temps. Imaginons maintenant que chaque firme a sa propre méthode pour établir la durée de temps d’un exercice financier. Un investisseur, un vérificateur de Revenu Canada ou un agent de l’AMF s’y perdrait. D’où les PCGR (principes comptables généralement reconnus) pour mettre un peu d’ordre.

Si on revient en Histoire, bien le ménage devrait être fait pour avoir des périodes de temps d’égales étendues et cela nécessite l’abandon de la périodisation thématique actuelle.


L'INTRUSION DE LA RELIGION


Si l'Histoire est une méthode d’enquête rationelle et objective fondé sur le doute méthodique,  la rigueur et l'analyse des faits, la religion tant qu'à elle est basée sur l'acceptation aveugle du dogme et sur le «truthiness». Religion et Histoire sont incompatibles. Et si la religion n'a pas sa place dans cette discipline, alors  une purge du contenu chrétien retrouvé dans le système de périodisation est nécessaire,  c’est-à-dire qu'il faut remplacer «Avant J.-C.» et «Après J-C.» par «Avant notre ère» et «Après notre ère», tout comme en anglais, on voit de plus en plus B.C.E. (Before Common Era) et C.E. (Common Era) au lieu de B.C. (Before Christ) et A.D. (Anno Domini). Cette laïcisation est nécessaire si on veut développer un espace culturel commun auquel tous contribuent, peu importe leurs choix de conscience ou de religion. 
De toute façon, à quoi bon organiser une discipline en fonction d'un personnage fictif?


DES ALTERNATIVES?



Déjà, il existe un encadrement arbitraire auquel les humains ont contraint l’Histoire: les années (préférence d’un cycle solaire de 12 mois au cycle lunaire) et les siècles (regroupement de 100 années). Ces choix arbitraires sont plus «naturels» dans la mesure où la vaste majorité du public saisit rapidement ces concepts, alors qu’on les perd dans le brouillard lorsqu’on parle des nuances entre Antiquité tardive et Spätantike. Le choix de cent ans, soit quatre générations (100/4 = 25 ans), fait du sens dans la mesure que, de mémoire, le nom des arrières-grands-parents est le plus loin que la plupart des gens se souviennent de leur arbre généalogique: au-delà de cette génération, une recherche doit souvent être effectuée. On s’identifie donc plus naturellement à un siècle qu’à une grande période historique donnée, qui ne sera que le construit artificiel des chercheurs ayant vécus après nous.

Donc, plutôt que parler d’Antiquité tardive, de Moyen Âge ou de Renaissance, on devrait parler de siècles. On élimine donc la borne de 476 pour parler à la place du Ve siècle, évitant d’adhérer à l’illusion caricaturale que l’Empire romain d’Occident s’est effondré du jour au lendemain, un jour tous les gens civilisés vêtus de toges et parlant le latin, le jour suivant l’Europe étant peuplée de barbares barbus illetrés grognant quelques cris de guerre. En parlant de XVe siècle, on évite de débattre inutilement à savoir si la fin du Moyen Âge se situe en 1453 ou en 1492. Oui, ça augmente dramatiquement le nombre de périodes données pour une ligne du temps (les deux millénaires de notre ère se découpant en 20 périodes), mais au moins, question de clarté, on a pas à débattre sur le début et la fin d’une époque construite dans l’imaginaire d’un chercheur, vu que le premier siècle commence (selon le calendrier occidental) à l’an 1 et se termine en l’an 101.

En bout de ligne, le dossier de la périodisation ne semble pas urgent au Québec, mais pour une société en quête identitaire et dont la devise est Je me souviens, il faudrait peut-être consacrer un peu plus d’efforts et de réflexions en Histoire.
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