Sunday, January 30, 2011

MÉMO 1


Suivant les différentes pistes lancées contre le statu quo actuel, que ce soit celle de Sabrina Guilbert et de son article L’éducation: et si on oubliait l’essentiel? [1] concernant la nécessité d’une plus grande place laissé au développement socio-émotionnel de l’élève, celle d’Alexandre Des Ruisseaux McConnell et son texte sur la nécessité de protéger l’accès universel des études supérieures [2], ou celles des critiques sociales du mouvement La Déséducation [3], je me suis interrogé sur l’avenir de l’éducation au Québec et de la nécessité de repenser à une formule qui prend en considération certains domaines qu’on a tendance à délaisser. Plutôt que de scander «l’éducation n’est pas une marchandise!» en prenant une position gauchiste, ou de vociférer «L’économie d’abord!» en virant à droite, j’ai opté de m’interroger davantage sur la problématique de l’éducation au Québec, pour en arriver à la conclusion que stratégiquement, le Québec doit viser deux objectifs lorsqu’il prépare les élèves pour l’avenir:


  1. Éduquer les élèves pour qu’ils deviennent des citoyens responsables (objectifs à long terme)
  1. Former les élèves pour qu’ils intégrent le marché du travail (objectifs à court et à moyen terme)


Ces deux objectifs (éducation et formation) ne sont pas mutuellement exclusifs dans la mesure où ils sont atteints à des points différents dans l’horizon temporel. Pour les atteindre, le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) devrait laisser place à un Ministère de l’Éducation et de la Main-d’oeuvre (MÉMO) auquel le gouvernement québécois accorde une place de première importance comme levier de développement socio-économique. Dans un premier temps, à l’intérieur de ce présent article, on peut s’interroger sur le «contenant» qui constituerait le MÉMO, ainsi que les forces externes agissant sur celui-ci, avant d’aborder le contenu dans un texte ultérieur.

CONSIDÉRER LES IMPÉRATIFS ÉCONOMIQUES


Tout organisme, biologique ou politique, évolue dans un environnement duquel il subit les effets. Pour un organisme comme le MÉMO, un des aspects importants à prendre en considération, c’est l’économie (mais ce n’est pas le seul aspect qu’il faut retenir). Quand on pense à l’économie, on a souvent comme référence le produit intérieur brut (PIB), un indice que Robert Kennedy avait décrit comme étant imparfait:


« Notre PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l’air, la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur nos routes. Il comptabilise les systèmes de sécurité que nous installons pour protéger nos habitations et le coût des prisons où nous enfermons ceux qui réussissent à les forcer. Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique. Il comprend la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures blindées de la police destinées à réprimer des émeutes dans nos villes. Il comptabilise la fabrication du fusil Whitman et du couteau Speck, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants. En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ».

Robert F. Kennedy, mars 1968


Mais c’est un indice tout de même, faute d’être une preuve absolue. Malgré de sérieuses lacunes, le PIB permet de déterminer qu’elle est la taille du «gâteau» qu’une société peut se partager: plus grand est le gâteau (efficience), meilleures sont nos possibilités, bien qu’il faut aussi prendre en considération la répartition des parts de ce gâteau (équité) en se basant à la fois sur le mérite personnel et sur la justice sociale, question d’éviter de «créer un désert et de l’appeler paix», comme le dirait Tacite [4]. Pour augmenter la taille du PIB, en dollars réels, trois options ressortent:
  1. Accroître la quantité de la main-d’oeuvre disponible par l’immigration, étant donné que les immigrants que ceux-ci arrivent ici à l’âge adulte, déjà prêts à travailler, tandis qu’un Québécois né ici prend deux décennies d’investissements via le système scolaire et celui de la santé. Encore faut-il que la formation acquise à l’étranger soient davantage reconnue à sa juste valeur et que le gouvernement finance adéquatement les programmes de francisation et d’intégration culturelle (quand ils sont nécessaires) pour ces nouveaux citoyens. L’immigration fait aussi, partiellement, contrepoids au problème du viellissement de la population. Des politiques favorables à la conciliation travail-famille contribuent aussi au développement quantitatif de la main-d’oeuvre québécoise.
  2. Accroître la qualité de la main-d’oeuvre disponible, ce qui passe par la formation et une augmentation du nombre de diplômés, et donc souligne le besoin des investissements en éducation, tous niveaux confondus (primaire, secondaire, collégial et universitaire).
  3. Améliorer la technologie de production et les méthodes de travail afin de redresser la courbe de croissance économique. Pour cet effort, on a besoin d’expertise, d’ingénieurs, de gestionnaires et des chercheurs qui doivent d’abord, comme tous les autres citoyens, apprendre à lire et à écrire en tant qu’élèves au primaire (ce qui revient au point 2 auquel j’assimile ce troisième point) en plus de mesures fiscales et légales favorables à la recherche et au développement.

Ainsi, l’éducation et la formation doivent être considérées comme étant des pierres angulaires du développement économique du Québec dans lequel le gouvernement investit, et non comme une dépense.

Ces investissements se font à l’aide de capital, provenant en bonne partie des recettes fiscales du gouvernement qui, dans le cas de celui de Jean Charest, devrait apprendre à se fixer priorités en donnant la première place aux écoles publiques et confier le projet (douteux) d’un colisée à Québec à des intérêts strictement privés.


DÉCONSTRUIRE LES MYTHES


Évidemment, certains préfèrent voir le milieu scolaire comme un puits sans fonds dans lequel le gouvernement engloutit ses recettes fiscales et considèrent les enseignants comme étant des «gardiennes de luxe avec deux mois de vacances» (deux moins de convalescence serait plus réaliste…). D’autres mythes et opinions erronées de ce genre circulent et il faut les déconstruire pour avoir l’heure juste sur ce qui se passe réellement.

MYTHE 1: «Peut étudier qui veut!»


Chaque personne hérite de manière aléatoire, dans cette grande loterie qu’est la vie, d’une certaine quantité de potentiel de succès académique, et il n’y a pas de corrélation entre la distribution de ce potentiel et la classe sociale d’un individu. Un chirurgien peut naître à Hochelaga-Maisonneuve autant qu’à Westmount. Toutefois, l’appartenance à une classe sociale permet de développer ou d’étioler ce potentiel, dépendamment des ressources à la disposition d’une personne, des expériences qu’elle a la possibilité de vivre et l’information à laquelle elle est exposée. Avec des potentiels égaux, deux enfants, l’un de Westmount, l’autre d’Homa, auront vraisemblablement des parcours très différents, le premier sera encouragé et stimuler dans les poursuite de ses rêves, le deuxième ne sera peut-être même pas au courant qu’il peut viser aussi haut dans la vie: dans un environnement peu stimulant, certaines possibilités pour un enfant deviennent invisibles, donc inexistantes. Et ainsi, à chaque génération, il y a énormément de potentiel de réussite qui est perdu chez des enfants qui ont eu la malchance d’être nés dans le mauvais quartier, ce qui prive la société québécoise de ses meilleurs éléments.

Pour pallier au problème de cette loterie du talent, il faut que la société prenne différente mesures, comme la distribution des déjeuners gratuits (pour contrer la malnutrition), la mise en place de programmes d’aide aux devoirs et de mentorat (pour aider au développement académique et socio-affectif de l’enfant), les visites dans les milieux d’entreprises ou les musées pour exposer l’élève à de nouveaux contextes (d’où l’importance des Journées de la culture et la pertinence du texte Marc-André Ouellet [5]), etc. Avant de vouloir quelque chose, l’élève doit d’abord savoir que ça existe, que c’est possible à atteindre.

Au niveau des études supérieures, les prêts et bourses permettent aussi aux étudiants défavorisés d’avoir une meilleure chance d’être diplômés, permettant donc à ce talent d’émerger. Une simple application de la loi de l’offre de la demande illustre qu’à prix moins élevé, les étudiants sont plus nombreux à s’inscrire au cégep et à l’université, et qu’une hausse des tarifs amène un déplacement sur la courbe de la demande. Les mesures actuelles du gouvernement Charest se font détriment de la mobilité sociale et, en bout de ligne, ce n’est pas seulement les étudiants qui en paient le prix, mais la société dans son ensemble. Les études supérieures peuvent se comparer avec la composante «Investissement» (I) du PIB, dans la mesure où cette composante est la plus volatile et tend à rapidement diminuer lorsque l’incertitude économique est élevée, les gens et les firmes préférant conserver des liquidités en cas de pépin, tout comme l’étudiant en situation précaire tendera à garder de l’argent pour le loyer et l’épicerie avant de s’inscrire pour une session.

MYTHE 2: «L’utilisateur-payeur»


Leitmotiv des partisans de la droite, la formule «utilisateur-payeur» s’applique mal au contexte du système scolaire, en raison des externalités positives de consommation que génèrent l’éducation et la formation: il y a des effets dans ce marché qui sont ressentis par une personne qui est ni l’acheteur (l’étudiant), ni le vendeur (l’université). Par exemple, un étudiant en médecine ne fait pas qu’obtenir un beau diplôme, un emploi prestigieux et un salaire élevé: il fournit à la société un médecin de plus. Ainsi, la valeur sociale du diplôme est plus grande que le coût payé par l’étudiant. L’investissement dans les études supérieures est donc à la fois personnel (prêts étudiants, une responsabilité personnelle) et collectif (bourses d’études, une forme de subvention). L’étudiant ne doit pas assumer la totalité de l’investissement, vu qu’il n’en est pas le seul bénéficiaire Mais il a tout de même sa part de responsabilité, ce qui exige une contribution personnelle ou parentale, compensée par un prêt étudiant dans le cas où l’étudiant n’a pas suffisamment les moyens, question d’encourager la mobilité sociale. Logiquement, l’État doit taxer ce qu’il ne veut pas (e.g. réduire l’alcoolisme en taxant l’alcool) et subventionner ce qu’il veut (e.g. augmenter le nombre de médecins diplômés via des bourses d’études) et avoir recours à des incitatifs, plutôt que de prôner un laisser-aller qui favorise l’élitisme plutôt que l’excellence.

Par contre, dans le cas des cancres dans le système collégial et universitaire, on peut aussi retirer ce soutien financier lorsqu’il n’est pas mérité et imposer une taxe à l’échec.


MYTHE 3: «L’éducation pas une marchandise!»


L’éducation n’est pas seulement une marchandise. Mais prises selon un certain angle, les compétences peuvent être perçues comme des marchandises, répondant à l’offre et la demande: la société québécoise nécessite présentement davantage de médecins que de gens issus du milieu de l’Histoire de l’art. Le contingentement et des bourses d’excellence peuvent servir d’incitatifs pour guider les étudiants dans leurs choix, mais comme la liberté individuelle est au coeur d’une saine démocratie, on doit accepter certaines imperfections.

Les compétences, comme les marchandises, peuvent aussi avoir des dates d’expiration, comme la formation que j’ai eu avec les logiciels Word Perfect 5.1, Database III, Lotus 1-2-3 (aujourd’hui désuets) et il faut commencer à remettre en question certains aspects de la «voie royale» (primaire->secondaire->cégep->unversité->carrière) et considérer l’éducation davantage comme un processus d’apprentissage continu nécessitant des mises à jour, et non pas comme une simple étape dans la vie d’un individu, si le Québec souhaite avoir des travailleurs qui ont des compétences à jour pour avoir une économie plus performante qui créera cette richesse qu’on souhaite distribuer. De plus, les goûts personnels changent au cours d’une vie, les réalités du marché se transforment (où trouve-t-on un réparateur de magnétoscopes BETA de nos jours?), et il faut non seulement permettre une mise à jour des compétences, mais permettre aussi aux travailleurs d’acquérir des compétences dans d’autres domaines s’ils en ont besoin ou s’ils le souhaitent.

Un autre élément à considérer est celui du changement de carrières au cours d’une vie. Dans le Québec actuel, peu de gars épousent leurs premières blondes qu’ils rencontrent à la polyvalente, mais alors pourquoi peut-on s’attendre que des jeunes de 16 ou 17 ans puissent choisir, sans faire d’erreur, une carrière de façon définitive? Le texte de Marc-André Ouellet, Inspirer pour moins décrocher! [6] souligne à sa façon la nécessité qu’ont les élèves d’être familiarisés plus tôt aux réalités du monde du travail afin qu’ils puissent faire des choix de carrières plus judicieux et être plus motivés dans l’atteinte de ces objectifs personnels.


EN FINIR AVEC LA CHAISE MUSICALE 


Dans le système parlementaire actuel, le poste de ministre de l’Éducation est attribué à un député qui a rarement les compétences nécessaires pour occuper ce poste. Tantôt ce député est ministre de la santé, puis il est à l’éducation, ou à l’environnement, dépendamment des humeurs du premier ministre. Ceci manque de sérieux et a déjà été dénoncé auparavant [7].

En s’inspirant de Nouvelle gestion publique, on pourrait faire du Ministère de l’Éducation et de la Main-d’Oeuvre (MÉMO) un élément séparé et distinct du gouvernement sous forme d’une agence, de société en commandite ou d’une société d’État, un peu comme la SAQ ou Hydro-Québec. Faisant partie de l’État (mais pas du gouvernement), le MÉMO aurait des comptes à rendre au gouvernement, mais pourrait être dirigé par quelqu’un ayant des compétences pertinentes. Une formule mixte pourrait aussi permettre à des députés de siéger sur le conseil d’administration d’un tel organisme.


CONCLUSION (PROVISIOIRE)


Au Québec, il est temps qu’on voit l’éducation comme une entreprise d’envergure voit la formation au sein de son service de ressouces humaines, ou une armée dans son service de recrutement et d’entraînement: un investissement dans son capital humain, et non une dépense jugée facultative. Qu’on accorde à l’éducation la même place qu’au loisir et au sport souligne le ridicule du gouvernment actuel. Il est temps que ça change.
____________

[1] L’éducation: et si on oubliait l’essentiel?

[2] L’éducation de 2012: il faut en parler!

[3] La Déséducation http://ladeseducation.ca/

[4] Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant
(Où ils font un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix) Tacite, Vie d’Agricola, 30

[5] Inspirer pour moins décrocher!

[6] Idem.

[7] Idem.