Sunday, January 30, 2011

MÉMO 1


Suivant les différentes pistes lancées contre le statu quo actuel, que ce soit celle de Sabrina Guilbert et de son article L’éducation: et si on oubliait l’essentiel? [1] concernant la nécessité d’une plus grande place laissé au développement socio-émotionnel de l’élève, celle d’Alexandre Des Ruisseaux McConnell et son texte sur la nécessité de protéger l’accès universel des études supérieures [2], ou celles des critiques sociales du mouvement La Déséducation [3], je me suis interrogé sur l’avenir de l’éducation au Québec et de la nécessité de repenser à une formule qui prend en considération certains domaines qu’on a tendance à délaisser. Plutôt que de scander «l’éducation n’est pas une marchandise!» en prenant une position gauchiste, ou de vociférer «L’économie d’abord!» en virant à droite, j’ai opté de m’interroger davantage sur la problématique de l’éducation au Québec, pour en arriver à la conclusion que stratégiquement, le Québec doit viser deux objectifs lorsqu’il prépare les élèves pour l’avenir:


  1. Éduquer les élèves pour qu’ils deviennent des citoyens responsables (objectifs à long terme)
  1. Former les élèves pour qu’ils intégrent le marché du travail (objectifs à court et à moyen terme)


Ces deux objectifs (éducation et formation) ne sont pas mutuellement exclusifs dans la mesure où ils sont atteints à des points différents dans l’horizon temporel. Pour les atteindre, le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) devrait laisser place à un Ministère de l’Éducation et de la Main-d’oeuvre (MÉMO) auquel le gouvernement québécois accorde une place de première importance comme levier de développement socio-économique. Dans un premier temps, à l’intérieur de ce présent article, on peut s’interroger sur le «contenant» qui constituerait le MÉMO, ainsi que les forces externes agissant sur celui-ci, avant d’aborder le contenu dans un texte ultérieur.

CONSIDÉRER LES IMPÉRATIFS ÉCONOMIQUES


Tout organisme, biologique ou politique, évolue dans un environnement duquel il subit les effets. Pour un organisme comme le MÉMO, un des aspects importants à prendre en considération, c’est l’économie (mais ce n’est pas le seul aspect qu’il faut retenir). Quand on pense à l’économie, on a souvent comme référence le produit intérieur brut (PIB), un indice que Robert Kennedy avait décrit comme étant imparfait:


« Notre PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l’air, la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur nos routes. Il comptabilise les systèmes de sécurité que nous installons pour protéger nos habitations et le coût des prisons où nous enfermons ceux qui réussissent à les forcer. Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique. Il comprend la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures blindées de la police destinées à réprimer des émeutes dans nos villes. Il comptabilise la fabrication du fusil Whitman et du couteau Speck, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants. En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ».

Robert F. Kennedy, mars 1968


Mais c’est un indice tout de même, faute d’être une preuve absolue. Malgré de sérieuses lacunes, le PIB permet de déterminer qu’elle est la taille du «gâteau» qu’une société peut se partager: plus grand est le gâteau (efficience), meilleures sont nos possibilités, bien qu’il faut aussi prendre en considération la répartition des parts de ce gâteau (équité) en se basant à la fois sur le mérite personnel et sur la justice sociale, question d’éviter de «créer un désert et de l’appeler paix», comme le dirait Tacite [4]. Pour augmenter la taille du PIB, en dollars réels, trois options ressortent:
  1. Accroître la quantité de la main-d’oeuvre disponible par l’immigration, étant donné que les immigrants que ceux-ci arrivent ici à l’âge adulte, déjà prêts à travailler, tandis qu’un Québécois né ici prend deux décennies d’investissements via le système scolaire et celui de la santé. Encore faut-il que la formation acquise à l’étranger soient davantage reconnue à sa juste valeur et que le gouvernement finance adéquatement les programmes de francisation et d’intégration culturelle (quand ils sont nécessaires) pour ces nouveaux citoyens. L’immigration fait aussi, partiellement, contrepoids au problème du viellissement de la population. Des politiques favorables à la conciliation travail-famille contribuent aussi au développement quantitatif de la main-d’oeuvre québécoise.
  2. Accroître la qualité de la main-d’oeuvre disponible, ce qui passe par la formation et une augmentation du nombre de diplômés, et donc souligne le besoin des investissements en éducation, tous niveaux confondus (primaire, secondaire, collégial et universitaire).
  3. Améliorer la technologie de production et les méthodes de travail afin de redresser la courbe de croissance économique. Pour cet effort, on a besoin d’expertise, d’ingénieurs, de gestionnaires et des chercheurs qui doivent d’abord, comme tous les autres citoyens, apprendre à lire et à écrire en tant qu’élèves au primaire (ce qui revient au point 2 auquel j’assimile ce troisième point) en plus de mesures fiscales et légales favorables à la recherche et au développement.

Ainsi, l’éducation et la formation doivent être considérées comme étant des pierres angulaires du développement économique du Québec dans lequel le gouvernement investit, et non comme une dépense.

Ces investissements se font à l’aide de capital, provenant en bonne partie des recettes fiscales du gouvernement qui, dans le cas de celui de Jean Charest, devrait apprendre à se fixer priorités en donnant la première place aux écoles publiques et confier le projet (douteux) d’un colisée à Québec à des intérêts strictement privés.


DÉCONSTRUIRE LES MYTHES


Évidemment, certains préfèrent voir le milieu scolaire comme un puits sans fonds dans lequel le gouvernement engloutit ses recettes fiscales et considèrent les enseignants comme étant des «gardiennes de luxe avec deux mois de vacances» (deux moins de convalescence serait plus réaliste…). D’autres mythes et opinions erronées de ce genre circulent et il faut les déconstruire pour avoir l’heure juste sur ce qui se passe réellement.

MYTHE 1: «Peut étudier qui veut!»


Chaque personne hérite de manière aléatoire, dans cette grande loterie qu’est la vie, d’une certaine quantité de potentiel de succès académique, et il n’y a pas de corrélation entre la distribution de ce potentiel et la classe sociale d’un individu. Un chirurgien peut naître à Hochelaga-Maisonneuve autant qu’à Westmount. Toutefois, l’appartenance à une classe sociale permet de développer ou d’étioler ce potentiel, dépendamment des ressources à la disposition d’une personne, des expériences qu’elle a la possibilité de vivre et l’information à laquelle elle est exposée. Avec des potentiels égaux, deux enfants, l’un de Westmount, l’autre d’Homa, auront vraisemblablement des parcours très différents, le premier sera encouragé et stimuler dans les poursuite de ses rêves, le deuxième ne sera peut-être même pas au courant qu’il peut viser aussi haut dans la vie: dans un environnement peu stimulant, certaines possibilités pour un enfant deviennent invisibles, donc inexistantes. Et ainsi, à chaque génération, il y a énormément de potentiel de réussite qui est perdu chez des enfants qui ont eu la malchance d’être nés dans le mauvais quartier, ce qui prive la société québécoise de ses meilleurs éléments.

Pour pallier au problème de cette loterie du talent, il faut que la société prenne différente mesures, comme la distribution des déjeuners gratuits (pour contrer la malnutrition), la mise en place de programmes d’aide aux devoirs et de mentorat (pour aider au développement académique et socio-affectif de l’enfant), les visites dans les milieux d’entreprises ou les musées pour exposer l’élève à de nouveaux contextes (d’où l’importance des Journées de la culture et la pertinence du texte Marc-André Ouellet [5]), etc. Avant de vouloir quelque chose, l’élève doit d’abord savoir que ça existe, que c’est possible à atteindre.

Au niveau des études supérieures, les prêts et bourses permettent aussi aux étudiants défavorisés d’avoir une meilleure chance d’être diplômés, permettant donc à ce talent d’émerger. Une simple application de la loi de l’offre de la demande illustre qu’à prix moins élevé, les étudiants sont plus nombreux à s’inscrire au cégep et à l’université, et qu’une hausse des tarifs amène un déplacement sur la courbe de la demande. Les mesures actuelles du gouvernement Charest se font détriment de la mobilité sociale et, en bout de ligne, ce n’est pas seulement les étudiants qui en paient le prix, mais la société dans son ensemble. Les études supérieures peuvent se comparer avec la composante «Investissement» (I) du PIB, dans la mesure où cette composante est la plus volatile et tend à rapidement diminuer lorsque l’incertitude économique est élevée, les gens et les firmes préférant conserver des liquidités en cas de pépin, tout comme l’étudiant en situation précaire tendera à garder de l’argent pour le loyer et l’épicerie avant de s’inscrire pour une session.

MYTHE 2: «L’utilisateur-payeur»


Leitmotiv des partisans de la droite, la formule «utilisateur-payeur» s’applique mal au contexte du système scolaire, en raison des externalités positives de consommation que génèrent l’éducation et la formation: il y a des effets dans ce marché qui sont ressentis par une personne qui est ni l’acheteur (l’étudiant), ni le vendeur (l’université). Par exemple, un étudiant en médecine ne fait pas qu’obtenir un beau diplôme, un emploi prestigieux et un salaire élevé: il fournit à la société un médecin de plus. Ainsi, la valeur sociale du diplôme est plus grande que le coût payé par l’étudiant. L’investissement dans les études supérieures est donc à la fois personnel (prêts étudiants, une responsabilité personnelle) et collectif (bourses d’études, une forme de subvention). L’étudiant ne doit pas assumer la totalité de l’investissement, vu qu’il n’en est pas le seul bénéficiaire Mais il a tout de même sa part de responsabilité, ce qui exige une contribution personnelle ou parentale, compensée par un prêt étudiant dans le cas où l’étudiant n’a pas suffisamment les moyens, question d’encourager la mobilité sociale. Logiquement, l’État doit taxer ce qu’il ne veut pas (e.g. réduire l’alcoolisme en taxant l’alcool) et subventionner ce qu’il veut (e.g. augmenter le nombre de médecins diplômés via des bourses d’études) et avoir recours à des incitatifs, plutôt que de prôner un laisser-aller qui favorise l’élitisme plutôt que l’excellence.

Par contre, dans le cas des cancres dans le système collégial et universitaire, on peut aussi retirer ce soutien financier lorsqu’il n’est pas mérité et imposer une taxe à l’échec.


MYTHE 3: «L’éducation pas une marchandise!»


L’éducation n’est pas seulement une marchandise. Mais prises selon un certain angle, les compétences peuvent être perçues comme des marchandises, répondant à l’offre et la demande: la société québécoise nécessite présentement davantage de médecins que de gens issus du milieu de l’Histoire de l’art. Le contingentement et des bourses d’excellence peuvent servir d’incitatifs pour guider les étudiants dans leurs choix, mais comme la liberté individuelle est au coeur d’une saine démocratie, on doit accepter certaines imperfections.

Les compétences, comme les marchandises, peuvent aussi avoir des dates d’expiration, comme la formation que j’ai eu avec les logiciels Word Perfect 5.1, Database III, Lotus 1-2-3 (aujourd’hui désuets) et il faut commencer à remettre en question certains aspects de la «voie royale» (primaire->secondaire->cégep->unversité->carrière) et considérer l’éducation davantage comme un processus d’apprentissage continu nécessitant des mises à jour, et non pas comme une simple étape dans la vie d’un individu, si le Québec souhaite avoir des travailleurs qui ont des compétences à jour pour avoir une économie plus performante qui créera cette richesse qu’on souhaite distribuer. De plus, les goûts personnels changent au cours d’une vie, les réalités du marché se transforment (où trouve-t-on un réparateur de magnétoscopes BETA de nos jours?), et il faut non seulement permettre une mise à jour des compétences, mais permettre aussi aux travailleurs d’acquérir des compétences dans d’autres domaines s’ils en ont besoin ou s’ils le souhaitent.

Un autre élément à considérer est celui du changement de carrières au cours d’une vie. Dans le Québec actuel, peu de gars épousent leurs premières blondes qu’ils rencontrent à la polyvalente, mais alors pourquoi peut-on s’attendre que des jeunes de 16 ou 17 ans puissent choisir, sans faire d’erreur, une carrière de façon définitive? Le texte de Marc-André Ouellet, Inspirer pour moins décrocher! [6] souligne à sa façon la nécessité qu’ont les élèves d’être familiarisés plus tôt aux réalités du monde du travail afin qu’ils puissent faire des choix de carrières plus judicieux et être plus motivés dans l’atteinte de ces objectifs personnels.


EN FINIR AVEC LA CHAISE MUSICALE 


Dans le système parlementaire actuel, le poste de ministre de l’Éducation est attribué à un député qui a rarement les compétences nécessaires pour occuper ce poste. Tantôt ce député est ministre de la santé, puis il est à l’éducation, ou à l’environnement, dépendamment des humeurs du premier ministre. Ceci manque de sérieux et a déjà été dénoncé auparavant [7].

En s’inspirant de Nouvelle gestion publique, on pourrait faire du Ministère de l’Éducation et de la Main-d’Oeuvre (MÉMO) un élément séparé et distinct du gouvernement sous forme d’une agence, de société en commandite ou d’une société d’État, un peu comme la SAQ ou Hydro-Québec. Faisant partie de l’État (mais pas du gouvernement), le MÉMO aurait des comptes à rendre au gouvernement, mais pourrait être dirigé par quelqu’un ayant des compétences pertinentes. Une formule mixte pourrait aussi permettre à des députés de siéger sur le conseil d’administration d’un tel organisme.


CONCLUSION (PROVISIOIRE)


Au Québec, il est temps qu’on voit l’éducation comme une entreprise d’envergure voit la formation au sein de son service de ressouces humaines, ou une armée dans son service de recrutement et d’entraînement: un investissement dans son capital humain, et non une dépense jugée facultative. Qu’on accorde à l’éducation la même place qu’au loisir et au sport souligne le ridicule du gouvernment actuel. Il est temps que ça change.
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[1] L’éducation: et si on oubliait l’essentiel?

[2] L’éducation de 2012: il faut en parler!

[3] La Déséducation http://ladeseducation.ca/

[4] Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant
(Où ils font un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix) Tacite, Vie d’Agricola, 30

[5] Inspirer pour moins décrocher!

[6] Idem.

[7] Idem.

L’économie du savoir 2

Si l’économie du savoir se caractérise «par la prépondérance d’actifs intangibles, la présence d’activités à fort contenu de connaissances et l’utilisation d’une main-d’oeuvre hautement spécialisée», et que l’information constitue une des formes d’actifs intangibles valorisés au sein de cette économie (qui devient un intrant dans la production, au même titre que la main-d’oeuvre, le capital et les matières premières), on pourrait caricaturer la direction que prendra ce système en ne laissant transparaître uniquement deux possibilités évoluant sur un même axe, qui sont mutuellement exclusives:

  1. Une société où on exerce un contrôle accru de l’information

  2. Une société où on exerce un partage accru de l’information


Étant donné que deux camps sont déjà en place (la droite versus la gauche) sur la scène politique québécoise, on pourrait rapidement déterminer que pour les «avares misanthropes» de la droite, contrôler l’information afin d’en retirer du profit est l’objectif à atteindre dans l’économie du savoir, tandis que pour les «hippies déconnectés» de la gauche, qui évidemment «aiment gaspiller parce que les autres paient à leurs place», il faut que tout soit gratuit.

Évidemment, ces genres de clichés et de lieux communs, peu importe dans quel camp on se trouve, ne constituent pas une amorce de réflexion sérieuse, vues que chacunes des deux possibilités (et il en existe d’autres) ont des implications plus complexes, des faiblesses, mais aussi des bénéfices qui ne permettent pas de les rejeter hâtivement du revers de la main, ni d’en faire une panacée: on ne peut trancher aussi facilement qu’on le ferait avec le noeud gordien. Encore faut-il qu’on prenne la peine d’y penser, et que les médias fassent leur réel travail de diffuseur de l’information plutôt que de continuer à agir, trop souvent, comme simples divertisseurs.


SAVOIR INC.?


Dans un premier temps, il faut se demander ce qu’implique le contrôle de l’information au lieu de se lancer hâtivement dans les théories du complot.

Pour certaines firmes, le développement de l’économie du savoir passe par une révision du droit à la propriété, donnant une valeur monétaire à un savoir-faire, une technique, procédé ou une méthode (capital-savoir), à l’instar des brevets et des droits d’auteur: un contrôle accru du savoir. Bien que le savoir est un bien public (il n’est affecté par l’exclusion d’usage ou la rivalité d’usage), lorsqu’il est transformé artificiellement en bien privé (propriété intellectuelle) ceci crée des incitatifs pour que les entreprises investissent davantage en recherche et développement, parce qu’un brevet octroie un futur monopole et/ou des redevances sur un produit donné (inversément, quand on taxe la pollution, on incite les entreprises à moins polluer). Sans brevet, une firme voit ses efforts réduits à néants, vues que les retombées technologiques sont dilapidées chez ses concurrents (des resquilleurs), les recherches devenant alors qu’une pure perte financière pour celui qui les entreprend. Sans propriété intellectuelle protégée par l’État, l’entreprise évite (logiquement) d’investir et attend que les autres le fassent à sa place puisqu’elle pourra aller chercher cette innovation dans le patrimoine commun du savoir. Parce que le brevet – un contrôle de l’information – permet d’internaliser les externalités positives de production, ceci récompense monétairement les inventeurs, assure la survie financière de la firme et offre une possibilité de nouveaux investissements significatifs en recherche, ce qui bénéficie la société en générale parce qu’on obtient collectivement de nouvelles inventions et des produits améliorés – bien que par la suite, le brevet gonfle prix réel du produit et provoque des délais dans sa distribution à l’ensemble de la société, ce qui importe peu pour une recette de poulet, mais beaucoup lorsqu’il s’agit de médicaments. Tout de même, le «boom» technologique que connaît l’Occident depuis le début du vingtième siècle est partiellement attribuable à l’existence de la propriété intellectuelle, qu’il ne faut pas abolir sans d’abord penser à un moyen concret de compenser les efforts fournis par les chercheurs et leurs mécènes.

À partir de ce concept de propriété intellectuelle, certaines entreprises souhaitent élargir la définition de ce que ces droits englobent afin de développer ce qu’elles considérent être une économie du savoir. Ainsi, une entreprise comme Monsanto [1] peut prétendre être légalement le propriétaire d’un code génétique d’une plante qu’elle développe, obtenant un monopole au même titre qu’un brevet (un avantage concurrentiel), ce qui n’est pas sans dérapage, vue que la nature suit rarement les lois humaines (e.g.: une contamination involontaire par Monsanto des champs voisins lorsque ses plantes pollenisent les environs), qu’on peut se questionner sur l’aspect éthique de cette privatisation du patrimoine génétique auparavant commun à l’ensemble de la planète, et sur les impacts des organismes génétiquement modifiés (ogm) sur le plan de la santé et de l’écosystème.

Une autre manoeuvre, bien connue, pour avoir un contrôle accru de l’information est la pratique du secret. Diverses compagnies utilisent des recettes secrètes, que ce soit celles de Coca-Cola ou du Colonel Sanders, pour se doter de l’avantage concurrentiel d’un produit exclusif sans avoir recours à la protection légale du brevet. Si ceci fonctionne bien pour une recette de poulet, il reste néanmoins que cette «culture du secret» peut avoir des effets néfastes lorsque dans une firme il y a des pratiques douteuses (Enron, Worldcom, Norbourg, Goldman-Sachs…) ou même carrément frauduleuses. Ces effets ne sont pas que financiers, quand on pense à l’industrie gazière, notamment à des entreprises comme Halliburton, qui ne dévoilent pas la composition de certains produits chimiques (proprietary chemicals) utilisés dans le mélange ajouté à l’eau qui sert au fractionnement du schiste; ces substances peuvent potentiellement être nocives pour l’environnement et la santé (voir le film Gasland pour davantage de détails), mais le public n’est pas informé parce que ces entreprises font une utilisation de mauvaise foi du principe de la propriété intellectuelle.

La convergence des médias et le contrôle de la presse, que ce soit par Fox News, Gesca ou Québécor, sont aussi une forme de contrôle de l’information, qui créent une «bulle de partisanerie» autour de son auditoire, question de marteler le même message sur différents réseaux (télévision, web, réseaux sociaux, radio) afin de bénéficier des avantages de la synergie. Évidemment, ce qui est bon pour la firme médiatique, ses vedettes, ses actionnaires et les entreprises qui y achètent de la publicité n’est pas forcément une bonne chose pour le public en général. Parfois dans cette convergence on passe, sans avertissement, du commentaire éditorial («opinion programming») à la simple propagande, avec des topos tels que «le Québec dans le rouge» de TVA-LCN qui apparaissent comme un exercice de relations publiques de l’Institut économique de Montréal (IEDM) auquel les journalistes semblent complices plutôt que critiques. Ailleurs, le réseau Fox News va jusqu’à orchestrer carrément des événements politiques, comme le «Restoring Honor Rally» [2] de l’animateur Glenn Beck, afin de créer artificiellement des manchettes; dans ce cas-ci, il ne s’agit plus du travail d’un réseau de nouvelles, mais de propagande de l’aile médiatique du Tea Party. À plus faible envergure, on peut aussi parler de l’infotainment (l’info-divertissement) de la sur-exposition (overexposure) de certaines vedettes, surtout dans le «village québécois», où il est impossible de passer une semaine sans apprendre un détail insignifiant de la vie de Véronique Cloutier, qui est «célèbre parce qu’elle est célèbre», sans être vraiment chanteuse, actrice, ou musicienne (idem pour Paris Hilton et les autres saveurs du jour). Il me semble que le public mérite mieux de la part de ses médias.

Mais bon, avant de diaboliser davantage le contrôle de l’information, il faut remarquer que celui-ci englobe aussi la protection de la vie privée du citoyen et la confidentialité des données, un enjeu éthique important: suis-je le seul à ne pas vouloir donner mon code postal lorsque j’effectue un achat de piles? Les récents changements technologiques combinés à des transformations sociales (e.g.: Facebook, Twitter) remettent en question le concept de vie privée tel qu’il a été traditionnellement perçu par la société et il y a des questions dans ce domaine auxquelles il faut prendre le temps de réfléchir.

VALORISER LE PARTAGE?


Pour d’autres, l’économie du savoir passe par un partage accru du savoir, rendu possible en partie grâce aux technologies d’information et de communication (TICs).

Ceci peut s’effectuer par l’abandon de pratiques comme le brevet pour les programmes informatiques (proprietary software) et même en pratiquant la gratuité, comme c’est le cas avec les logiciels libres tels que OpenOffice, permettant à des PME et à des individus d’économiser un peu et de redistribuer ailleurs ces ressources monétaires libérées, une idée que j’ai déjà abordée [3]. Mais sans brevet, comment les inventeurs seront-ils recompensés pour leurs efforts? Dans le passé, des gens comme Benjamin Franklin ont simplement trouver satisfaction dans le service envers autrui, enrichissant le patrimoine commun sans gain monétaire pour lui-même:

Franklin never patented his inventions; in his autobiography he wrote, « … as we enjoy great advantages from the inventions of others, we should be glad of an opportunity to serve others by any invention of ours; and this we should do freely and generously. [4]

Évidemment, avoir une telle générosité ne paie pas les comptes et l’épicerie: il faut bénéficier d’une stabilité financière pour se permettre d’agir ainsi.

Ou voir son gain ailleurs.

Une renommée accrue et une image améliorée sont deux gains immatériels pour lesquels les firmes dépensent des fortunes en publicité et en relations publiques, et la «gratuité» d’un produit ou d’un service peut être une forme alternative de marketing. Par exemple, plutôt que de combattre (futilement) la transition de l’industrie musicale du support tangible (disque, cassette, 8-track, cd) à un support immatériel (mp3) des groupes comme Radiohead ou Misteur Valaire [5] ont opté pour la gratuité, permettant de plus facilement se rapprocher de leurs fans. Coeur de Pirate est une autre réussite des nouveaux médias, qui prouve qu’on a pas besoin de «fabriquer des vedettes» à grands coups de convergence dans l’usine Star Académie, bien qu’il reste à déterminer si cet envol initial aurait pu être maintenu sans l’appui subséquent de médias traditionnels – plus officiels – ou si le vedettariat généré par youtube et le reste du web n’est qu’à lui seul qu’un feu de paille.

Même si elle peut être gratuite grâce aux TICs et aux logiciels «sharewear», l’information n’est pas automatiquement partagée, puisque son accès dépend de plusieurs facteurs: l’existence d’un réseau haute vitesse (pas toujours disponible en région), les revenus nécessaires pour l’achat d’équipement informatique, les compétences techniques pour opérer un ordinateur (le problème du clivage générationnel), la rapidité variable de téléchargement du contenu web dépendamment des préférences idéologiques du fournisseur web, la maîtrise de la langue anglaise qui prédomine sur le web, etc. Certains parlent de fracture numérique [6], un concept qui englobe plusieurs de ces différentes réalités. Le web n’est pas automatiquement démocratique, puisqu’il faut plusieurs mesures pour s’assurer de la neutralité des fournisseurs concernant le contenu, du développement des infrastructures et des réseaux en région, et de la formation techniques des citoyens (qui peuvent être aidés par des organismes tels que Communautique [6]). Ces efforts ne sont pas sans coûts financiers: dans ce cas, même la gratuité a un prix.

Par partage de l’information, on doit aussi s’interroger sur quelle information en question qu’on diffuse. Si certains (y compris moi-même) saluent les efforts de Wikileaks pour apporter une transparence accrue, il n’en va pas de même lorsque ces personnes sont inondées de pourriels, d’appels de télémarketing et de publi-postage parce qu’une compagnie de carte de crédit a vendu sa liste de clients ou partagé celle-ci dans le cas d’une alliance stratégique. Pourtant, dans les deux cas, des informations sensibles sont communiquées. Reste à savoir où tracer la ligne entre vie privée, sécurité publique, sécurité nationale, intérêts économiques et droit à l’information – et il cette frontière n’est pas évidente à déterminer.

METTRE SUR PIEDS UNE DISCUSSION


Le survol effectué par le présent article est loin d’être exhaustif (on aurait pu aborder les enjeux concernant la formation, les compétences, et le rôle du système de l’éducation) et il est largement imprégné de l’opinion d’une seule personne avec laquelle on peut être en désaccord. D’où la nécessité pour un groupe comme Génération d’idées (GEDI) d’ouvrir la voie vers une discussion – quelle soit sous forme virtuelle ou d’atelier – concernant l’économie du savoir et ses différentes implications. Remarquez le choix du mot discussion et non celui de débat, car il s’agit ici d’aller au-delà d’opinions polarisées, du cliché «les deux côtés de la médaille» et des leitmotivs partisans pour amorcer une réflexion constructive plutôt qu’une querelle stérile, question d’exercer un peu plus de leadership en tant que génération dans les sujets concernant l’avenir du Québec.

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[1] Monsanto Canada Inc. versus Schmeiser
[4] Benjamin Franklin
[6] Fracture numérique

L’économie du savoir 1





Depuis plusieurs années, on se fait marteler les oreilles avec toutes sortes de néologismes et de buzzwords des milieux de la gestion nous promettant des améliorations économiques et sociétales comme si c’était une nouvelle marque de savon. Certes, ces mots ont une signification, objectivement parlant, mais quand ils circulent, la définition qu’on attribue à un terme varie selon l’individu en question: par exemple, pour l’expression économie du savoir, un Philistin pourrait y voir la promotion des compétences qui «servent à de quoi» et l’occasion de faire un virage à droite dans le milieu de l’éducation, où on couperait dans l’«inutile», comme l’Histoire de l’Art; aux antipodes, un «go-gauche» du Plateau pourrait y voir une menace, vu que pour lui, l’éducation, c’est une tour d’ivoire qui ne doit pas se plier aux réalités du marché. On se ramasse alors avec une coquille vide, pour laquelle certains crient «utilisateur-payeur!» et d’autres scandent «l’éducation n’est pas une marchandise!», et le résultat est un dialogue de sourd où on se querelle sur l’économie du savoir sans vraiment savoir de quoi on parle, une chicane polarisée à laquelle des points de vues mitigés, modérés ou simplement différents sont écartés pour éviter de trop complexifier le débat pour le bulletin de nouvelles de 18h00.

Les «deux côtés de la médailles», c’est tellement plus simple!


Pour chaque problème complexe,
il y a une solution simple,
et elle est mauvaise.


UNE QUESTION DE PERSPECTIVE


Il n’y a pas systématique un arbitrage à faire entre deux choix mutuellement exclusifs, par exemple aligner l’éducation pour qu’elle appuie soit la culture («tour d’ivoire») ou l’économie («utilisateur-payeur»), parce qu’un problème a plusieurs autres dimensions que le carcan des idéologies, du dogmatisme et de la partisanerie empêchent de voir. L’économie du savoir n’est ni la menace apocalyptique annoncée par la gauche bien-pensante, ni une solution miraculeuse telle qu’elle est promue par la droite dans ses délires messianiques. Il faut voir ailleurs, penser autrement.

Prenons par exemple un solide tridimensionnel, le cône. Si on fait une fiche technique («blueprint») de ce solide, on obtient deux formes bidimensionnelles: vu du dessous ou du haut, le cône apparaît comme un cercle, étant donné la forme de sa base; vu de côté, l’image aplatie du cône apparaît comme un triangle. Si on divise la fiche technique en deux sections partielles et qu’on demande à deux individus isolés quelle forme ils voient en spécifiant qu’ils ont la même fiche, l’un répondra «un cercle!», l’autre «un triangle!», et tous deux croiront que l’autre est complètement sot, vu que selon leur propre perspective, incomplète, la forme qui apparaît sur la fiche est évidente. Évidemment, en constatant qu’ils ont des informations partielles et en apprenant à communiquer entre eux, les deux sujets pourraient découvrir qu’ils regardent tous les deux un cône, chacun selon une perspective différente. Avoir les «deux côtés de la médailles», sans faire un effort supplémentaire de réflexion, mène à un débat stérile.

En Inde, on a depuis longtemps raconté la parabole des six aveugles qui découvre un éléphant pour la première fois [1] pour expliquer le même genre de problématique.


UN ÉLÉPHANT ET LES AVEUGLES

Une fois, six aveugles vivaient dans un village. Un jour, ses habitants leur dirent: «Hé! il y a un éléphant dans le village, aujourd’hui.»

Ils n’avaient aucune idée de ce qu’était un éléphant. Ils décidèrent que, même s’ils n’étaient pas capables de le voir, ils allaient essayer de le sentir. Tous allèrent donc là où l’éléphant se trouvait et. chacun le toucha.

«Hé! L’éléphant est un pilier.» dit le premier, en touchant sa jambe.
«Oh, non! C’est comme une corde, dit le second, en touchant sa queue.
«Oh, non! C’est comme la branche épaisse d’un arbre» dit le troisième, en touchant sa trompe.
«C’est comme un grand éventail» dit le quatrième, en touchant son oreille.
«C’est comme un mur énorme» dit le cinquième, en touchant son ventre.
«C’est comme une grosse pipe» dit le sixième, en touchant sa défense.

Ils commençaient à discuter, chacun d’eux insistait sur ce qu’il croyait exact. Ils semblaient ne pas s’entendre, lorsqu’un sage, qui passait par-là, les vit. Il s’arrêta et leur demanda «De quoi s’agit-il?» Ils dirent «Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord pour dire à quoi ressemble l’éléphant». Chacun d’eux dit ce qu’il pensait à ce sujet. Le sage leur expliqua, calmement «Vous avez tous dit vrai. La raison pour laquelle ce que chacun de vous affirme est différent, c’est parce que chacun a touché une partie différente de l’animal. Oui, l’éléphant à réellement les traits que vous avez tous décrits.»

«Oh!» dit chacun. Il n’y eut plus de discussion entre eux et ils furent tous heureux d’avoir dit la réalité.

La morale de cette histoire, c’est qu’il peut y avoir une part de vérité dans ce que quelqu’un dit. Parfois, nous pouvons voir cette vérité, et parfois non, parce qu’il peut, aussi, y avoir différentes perspectives sur lesquelles nous ne pouvons pas être d’accord. Plutôt que de discuter comme ces aveugles, nous devons dire «Peut- être que vous avez vos raisons?». De cette façon, nous ne nous perdrons pas en argumentations.

Dans le Jaïnisme, il est expliqué que la vérité peut être affirmée de sept façons différentes. Vous pouvez ainsi voir combien notre religion est riche. Elle nous enseigne à être tolérants envers les autres concernant leurs points de vues. Ceci nous permet de vivre en harmonie avec les gens qui pensent différemment de nous. On appelle cela «syādvāda», «anekāntavāda» ou la théorie des affirmations multiples.


Si on veut aborder la question de l’économie du savoir, il faut d’abord être en mesure de faire momentanément abstraction de ses convictions politiques et abordé le sujet dans un esprit d’ouverture, plutôt que d’y projeter nos idées préconçues.


UNE QUESTION DE DÉFINITION


Dans certaines sources, l’économie du savoir (parfois appelée nouvelle économie) se caractérise «par la prépondérance d’actifs intangibles, la présence d’activités à fort contenu de connaissances et l’utilisation d’une main-d’oeuvre hautement spécialisée.» [2] Ce que ça peut vouloir dire c’est:

  1. Le passage à une prépondérance d’actifs tangibles (biens matériels et autres produits physiques) à celle d’actifs intangibles (services et produits immatériels, comme les logiciels et les droits d’auteurs), c’est-à-dire une tertiarisation accrue de l’économie (prédominance du secteur des services). Cette transition permet d’avoir des activités économiques moins polluantes, vu qu’une boîte comme Ubisoft génère moins d’externalités négatives de production qu’une firme comme Talisman qui exploite des gaz de schiste.
  2. La présence d’activités à fort contenu de connaissances et l’utilisation d’une main-d’oeuvre hautement spécialisée signifie un passage d’une économie où les activités sont positionnées sur la stratégie de domination par les coûtscheap labor», produits bas de gamme) à une économie davantage orientée vers une stratégie de différenciation, que ce soit par une domination par l’innovation ou par la qualité (main-d’oeuvre qualitifiée bien rémunérée, produits haut de gamme).

À première vue, c’est un projet louable, auquel j’adhère.

Mais il ne s’agit pas de la seule définition ou interprétation possible du concept d’économie du savoir et avant de prendre formellement une position, il devrait y avoir davantage de consultations pour amener des précisions, de balises, pour définir ce qu’est l’économie du savoir afin de construire une vision et subséquemment un consensus autour de celle-ci.

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Texte originalement paru chez Génération d'idées (GEDI), le 9 janvier 2011
http://www.generationdidees.ca/idees/lconomie-du-savoir-1/

[1] Un éléphant et les aveugles
[2] Ministère de l’Industrie et du Commerce du Québec, 2001b, p.2

Image: http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Blind_men_and_elephant.png
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Pour un mur de séparation entre la science et la politique

La fin du monde ne sera pas en 2012.

Néanmoins, ce n’est pas une excuse pour être négligent cette année à l’égard de l’environnement, surtout en ce qui concerne le dossier des changements climatiques, un sujet complexe ayant d’importantes répercussions sur l’ensemble de la population de la planète. Ce sujet est sérieux, et devrait faire l’objet d’une étude objective et rationelle. Hélas, motivés par l’avarice et la simple bêtise, certaines personnes, notamment ceux appartenant au Réseau Liberté-Québec (RLQ), se font émules du Tea Party américain et prêtes-noms des richissimes industries pétrolières et gazières en prônant le négationnisme sous l’étiquette édulcorante de «climato-scepticisme» [1], un néologisme ne se trouvant que dans les discours de la droite et chez les gens, plus sensés, qui dénoncent ce genre de discours qui est, rappelons-le, négationniste.

Ce que propose la droite, c’est ni plus ni moins que de l’antiscience [2].

«Extreme right-wing antiscience can be recognized by widespread appeal to conspiracy theories to explain why scientists believe what they believe, in an attempt to undermine the confidence or power usually associated to science (e.g. in global warming conspiracy theories). Another feature of conservative antiscience discourse is the widespread use of informal fallacies, in particular the false dilemma, appeal to consequences, appeal to fear, and the appeal to probability fallacies. Joseph J. Romm has sharply criticized conservative antiscience in the context of global warming saying that U.S. conservatives were displaying extreme scientific ignorance with disastrous consequences in their attempts to block bills meant to reduce carbon emissions.

Recently some of the leading critical theorists have recognized that their critiques have at times been counter-productive, and are providing strong intellectual ammunition for right-wing ideology. Writing also about these developments in the context of Climate Change, sociologist Bruno Latour noted that « dangerous extremists are using the very same argument of social construction to destroy hard-won evidence that could save our lives. Was I wrong to participate in the invention of this field known as science studies? Is it enough to say that we did not really mean what we meant »?»


Pour appuyer sa rhétorique (on évitera de dire «arguments»), le RLQ se base sur les dires de Jacques Brassard, un ancien ministre péquiste (peut-on dire «has-been»?) ayant une formation en pédagogie avec une spécialisation en Histoire. Personnellement, je n’ai rien contre l’enseignement ou l’Histoire, mais je dois constater que la science est un domaine ayant des champs de spécialisations très développés et précis, et un géographe ne peut tout simplement s’improviser chirurgien, ou une personne ayant une formation de chef cuisinier ne peut opérer un réacteur nucléaire: il semble que c’est simple, les débats concernant l’existence ou non des changements climatiques ne devraient concerner que le scientifiques ayant une formation en climatologie. Dans la situation actuelle, les gens en charge d’évaluer ce phénomène appartiennent au GIEC [4], alors que Jacques Brassard n’en fait pas partie, parce qu’il n’a aucune qualification dans le domaine de la climatologie pour émettre une opinion ayant une valeur scientifique réelle.


LA SCIENCE N’EST PAS UN CONCOURS DE POPULARITÉ



Un discours qu’on entend parfois des détracteurs du GIEC, c’est qu’il faut entendre «les deux côtés de la médaille», mais comme on vient de le mentionner, pour participer à un débat scientifique il faut d’abord avoir les qualifications minimales requises dans le domaine étudié, ce qui n’est pas le cas de gens comme Maxime «Maximum Damage» Bernier ou Jacques Brassard. De plus, les affirmations strictement scientifiques font l’objet d’une démarche objective de la part d’une personne qualifiée, d’une recherche dont les données sont vérifiables, et qui bénéficient d’une révision et d’une validation par des pairs étant eux aussi qualifiés; avec celles-ci, on peut développer des énoncés positifs, c’est-à-dire une description de la réalité telle qu’elle est (au mieux de données actuelles), qu’on ne peut réfuter (évidemment, sauf si des informations additionnelles infirme une théorie, vue que la science n’est pas dogmatique comme la religion). Aux antipodes, les opinions personnels (ce que présente le RLQ) n’offrent aucune rigueur et sont à la portée de n’importe quelle personne, que ce soit un génie ou l’idiot du village: ce sont des énoncés normatifs, qui décrivent la réalité telle qu’on souhaiterait qu’elle soit.

Dans l’étude du phénomène des changements climatiques, les énoncés normatifs (opinions personnels) n’ont aucune place. On ne peut comparer des pommes et des oranges.

Comme la science s’est construite par une accumulation d’énoncés positifs (des faits, des théories scientifiques valides), les ajouts d’éléments politisés et d’opinions personnels seraient une forme de vandalisme nuisible à l’ensemble de la collectivité humaine. Dans le passé, on a vu les dégâts que ce genre d’ingérence peut causer (avec des intensités variables), que ce soit l’intervention de l’Église catholique auprès de l’astronome Galilée pour lui faire nier que la Terre tourne, ou celle des Nazis dans le domaine de la biologie et de la médecine pour promouvoir le délire des thèses racistes et eugénistes prônées par le Reich [5]. Encore aujourd’hui, des thèses négationnistes circulent en Histoire, que ce soit pour nier le génocide arménien ou celui de la Shoah, et les chercheurs qui propagent ce genre de mensonges pour consolider des intérêts politiques sont, au minimum, de vulgaires vandales. L’intrusion du RLQ dans un débat scientifique est irresponsable et elle se fait au détriment de la collectivité québécoise. Ce que ce lobby «astroturf» fait, c’est brouiller les pistes en soulèvant démagogiquement l’opinion populaire par quelques promesses d’économies de bouts de chandelles à court terme et en occultant les répercussions à long terme des changements climatiques. C’est de la pensée magique.


Faire l’autruche face à ces changements
ne fera pas disparaître ces bouleversements environnementaux.

Parce que la droite ne possède pas une expertise scientifique permettant de légitimer ses positions et que la réalité est «biaisée» contre elle, la seule arme que ce Tea Party «made in Québec» peut avoir pour appuyer sa rhétorique, c’est le doute. Ce doute, qu’il faut distinguer du doute méthodique en science, rejoint deux catégories de gens: ceux qui, mal informés, se permettent de comparer les opinions personnels avec les énoncés scientifiques et de remettre en question la crédibilité des chercheurs, et ceux qui, motivés par le gain, se mettent volontairement des oeillières et utilisent les gens mal informés comme outils permettant de promouvoir une illusion collective qu’est la négation des changements climatiques. Quand assez de gens croient à un mensonge, on se retrouve alors avec le même genre de dérapage qu’a connu Galilée, et les pressions politiques, économiques et sociales réduisent la science qu’à une parodie d’elle-même.

SÉPARER LA SCIENCE ET LA POLITIQUE


À l’instar de la France et des États-Unis, dont les instutions politiques sont indépendantes de la religion (le Canada ne bénéficie pas, hélas, d’une telle modernité laïque étant donné les résidus monarchiques désuets qui sont encore en place, un problème auquel il faudrait remédier…), l’indépendance académique des chercheurs devrait être protégée par une charte (intégrée à la constitution) qui interdit l’intervention de l’État dans la sphère scientifique («wall of separation»), sauf pour les aspects d’ordre éthique. Ceci ayant comme but préventif d’éviter les dérapages qu’occasionneraient la prise du pouvoir par un parti de droite aux idées réactionnaires.

Cette charte, néanmoins, n’est pas une solution parfaite, dans la mesure où l’État contrôle une partie du financement de la recherche scientifique (et que le reste appartient aux intérêts du secteur privé, motivé par le mantra «survie, croissance, profits») et que, dépendamment des résultats, l’argent peut être utilisé comme un levier pour nuire aux chercheurs dont les conclusions (pourtant conformes à la réalité) déplaisent aux gens qui exercent le pouvoir («tirer sur le messager»), ce qui rappelle un congédiement à Chalk River… [6] D’où la nécessité d’avoir des meilleures possibilités de recours juridiques en cas d’intervention arbitraire du milieu politique dans le domaine scientifique, et du besoin que les médias effectuent réellement un travail d’enquête et d’information auprès de la population, ce qui ne semble pas être toujours le cas dans cet ère de l’infotainment et de la concentration de la presse.

Mais en bout de ligne, c’est aussi à chacun de nous 
de refuser de suivre le troupeau
dans ce délire négationniste 
qu’on appelle le «climato-scepticisme».


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[1] Climato-scepticisme et le RLQ
[6] Congédiement de Linda Keen: Harper appuie son ministre


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Périodisation en Histoire? Les temps changent...


Un sujet un peu pointu en ce dimanche matin: il faut abolir la périodisation en Histoire.

Par périodisation, on entend le découpage arbitraire en six grandes étendues de la ligne du temps qu’on connaît tous depuis le secondaire II: Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, l’époque moderne et l’époque contemporaine.

Ce n’est peut-être pas un dossier urgent, mais on devrait considérer l’abolition de cette périodisation historique, étant donné que ces époques ne sont que des construits artificiels résultant d’un jugement a posteriori des chercheurs, et non une réalité à laquelle les gens vivant durant ces ères étaient conscients d’appartenir, vu qu’au moment où il vit, l’être humain, selon sa propre perspective, appartient à l’ère qu’il juge comme étant contemporaine. Plutôt que de faciliter l’accès au savoir historique, la périodisation ne fait qu’ajouter confusion et certains pièges d’interprétation, le tout allant dans le sens contraire de ce que devrait être l’Histoire: une méthode d’enquête rationelle et objective, au même titre que l’enquête policière, et non une forme de litérature, une épopée imprégnée d’opinions et de jugements contemporains servant à construire des mythes fondateurs pour appuyer le pouvoir politique.
 


DES FRONTIÈRES FLOUES



Un des problèmes que l’on discerne lorsqu’on établi une ligne du temps, c’est la difficulté d’établir avec certitude le début et la fin d’une période donnée: par exemple, le Moyen Âge débute officiellement en 476 avec la chute de l’Empire romain d’Occident (malgré qu’à l’est, l’Empire byzantin survit…) et se termine… ou bien en 1453, avec la chute de Constantinople, ou en 1492, avec la découverte de Christophe Colomb par les Amérindiens (ou l’inverse, si on est eurocentrique). Le résultat de ce flou, c’est que d’un livre à l’autre, dépendamment de la frontière que l’auteur a choisit pour délimiter la fin du Moyen Âge, certains événements peuvent être classés comme appartenant à l’époque médiévale, alors que d’autres ouvrages les citent comme faisant parties de l’époque moderne, ce qui rend la consultation d’archives un peu plus compliquée lorsqu’on aborde un sujet qui, dans le temps, se situe à la frontière d’une période donnée: des sources relatant des événements en Gaule en 477 sont classés comme appartenant au Moyen Âge (vue que la Gaule fait partie de ce qui est considéré comme étant l’Occident), alors que des sources de la même date provenant de Byzance sont considérées comme appartenant à l’Antiquité (vu que les Byzantins sont exclus par certains comme appartenant à l’Occident).



DES CHOIX ARBITRAIRES DE BORNES:

LA RUPTURE VERSUS LA CONTINUITÉ



Pour fixer les frontières, si on s’en tient à la méthode française de périodisation, on obtient les bornes suivantes:

  • Antiquité: de l’apparition de l’écriture (-3000?) à la chute de l’Empire romain d’Occident (476)
  • Moyen Âge: de la chute de l’Empire romain d’Occident (476) à l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique (1492)
  • Époque moderne: de l’arrivée de Colomb en Amérique (1492) à la Révolution française (1789)
  • Époque contemporaine: de la Révolution française (1789) à aujourd’hui




Le choix de ces bornes est justifié par les chercheurs comme étant des moments de rupture dans le parcours historique, des événements apportant de grands changement à l’ensemble des sociétés, un peu comme le 11 septembre 2001 a été, à notre époque contemporaine, un point tournant. Ce qu’on oublie, c’est que dans les périodes antécédentes, les médias de masse (autre que le troubadour ou le skald) étaient inexistants, et que pour le commun des mortels, la «découverte» de l’Amérique en 1492 eu probablement peu d’impacts immédiats, les effets se faisant ressentir de manière transitionnel. En France, si on se rejouit de la découverte du Canada par Jacques Cartier en 1534, ce n’est qu’en 1608 qu’on entreprendra sérieusement à établir une colonie permanente, un délai d’au moins deux générations! Les changements majeurs en Histoire qui couvrent l’ensemble des sociétés sont rarement des phénomènes ponctuels et instantanés: il y a une continuité avec ce qui existait avant et une transition vers le changement qui fait, (progressivement) tâche d’huile plutôt qu’un choc qui coupe les gens du passé, comme une guillotine sépare les monarques de leurs têtes. Du choix arbitraire de bornes il naît un débat entre les partisans de la rupture et ceux de la continuité. On se retrouve alors à partiellement évacuer le sujet originalement étudié pour focaliser davantage sur un construit artificiel, la période historique, et les débats deviennent davantage politiques qu’académiques, et ce qu’on développe surtout, ce sont des carrières de chercheurs plutôt que du savoir.


DES FAUSSES SOLUTIONS:

LA MULTIPLICATION DES SOUS-PÉRIODES ET LA CONSTRUCTION DE PÉRIODES HISTORIQUES SELON DES THÉMATIQUES



Pour tenter à la fois d’adoucir la transition d’une période historique à l’autre, ainsi que de bâtir un ensemble des thématiques, les chercheurs ont créés différentes sous-périodes qui découpent ou séparent les différentes grandes époques. Ainsi, l’Antiquité (circa -3000 à 476) se voit découpé en sections, vu que 3500 ans d’Histoire, des Sumériens en Mésopotamie aux Ostrogoths en Italie, semble trop vaste pour que les gens de cette période ait l’impression d’appartenir à la même continuité: on parle alors d’Antiquité tardive pour couvrir les troubles de l’Empire romain d’Occident débutant vers le IIIe siècle. De même, le Moyen Âge se voit divisé en Haut Moyen Âge (476 jusqu’à l’An Mil) et en Bas Moyen Âge (1000 jusqu’à 1492), avec tout le flou subjectif des frontières résultant des bornes assignées arbirtrairement. Bref, on ne règle rien, on ne fait que surcharger un débat déjà inutile.

De plus, la construction de certaines périodes basées sur des thématiques (e.g.: «l’ère des grands explorateurs», «l’âge des ténèbres») sèment la confusion chez les élèves du secondaire dans la mesure où parfois ces époques se déroulent simultanément: est-ce que Colomb est arrivé en Amérique durant la Renaissance ou durant l’ère des découvertes? Pour un adulte, c’est simple à comprendre que 1492 peut appartenir à deux thématiques étant partiellement synchroniques, mais pour un jeune, habitué de voir des périodes séquentielles, la tâche est un peu plus complexe, et parfois source de découragement. Le temps passé à tenter de comprendre la périodisation est du temps qui est enlevé à l’étude de l'époque elle-même.


Bref, encore une fois, on développe surtout des carrières de chercheurs que du savoir utile.


DES LENTILLES DÉFORMANTES:

LE CONTEXTE HISTORIQUE DE RÉDACTION ET

LES CHOIX ETHNOCENTRIQUES DE FRONTIÈRES



Évidemment, dans la méthode française choisie ci-haut, on peut se demander que peuvent bien représenter certaines dates pour des gens appartenant aux cultures. Par exemple, en quoi est-ce que l’année 476 a une importance pour un Japonais, héritier d’une culture confucéenne dans laquelle la chute de l’Empire romain d’Occident n’a pas la même charge émotive que dans une culture latine? En quoi est-ce que la Révolution française de 1792 est-elle plus importante que la Conquête de 1760 pour une Québécoise?

Encore une fois, on se trouve dans la sphère de la politique actuelle plutôt que dans la recherche historique et de l’enquête objective. Chaque pays développent alors sa propre méthode, dépendamment des événements qu’ils souhaitent mettre en valeur et d’autres qu’ils souhaitent éducolrer: par exemple, les Allemands, étant les descendants des Germains qui ont envahit l’Empire romain d’Occident, ont tendance à vouloir atténuer la charge émotive négative de l’expression des «invasions barbares» en parlant de Spätantike (Antiquité tardive), misant sur la continuité plutôt que la rupture lorsqu’ils effectuent des recherches concernant les Ve siècle de notre ère, parce que personne n’aime se considérer comme étant un barbare; ailleurs, un bouquin datant de 1915 écrit en Angleterre aurait tendance à augmenter intensifier cette supposée barbarie des populations germaniques («Dark Ages»), vu que dans le contexte de la rédaction de l’ouvrage, la guerre entre le Royaume-Uni et l’Allemagne faisait encore rage. Tout comme le nom péjoratif du «Moyen» Âge a été choisie initialement au XIXe siècle pour se moquer de l’Ancien Régime, et aucun chevalier du XIIIe siècle se considérait «médiéval» (seulement contemporain, comme on l’est tous dans le moment présent où l’on vit). On est loin d’une enquête objective et la contamination idéologique de la recherche en Histoire encourage des querelles entre chercheurs, entre départements et entre écoles de pensée, qui moussent la carrière de certains et en détruisent d’autres, dépendamment comment le vent tourne sur la scène politique. Beaucoup d’énergies gaspillées en politicaillerie qui seraient mieux dépensées en réelle recherche.



DES PÉRIODES AVEC DES DURÉES INÉGALES


Une autre caractéristique de la périodisation, c'est que les périodes diminuent en longueur à mesure qu'elles se rapprochent du moment présent, parce que subjectivement on considère que les événements plus près de nous dans le temps méritent d'être davantage distingués entre eux, tandis que ceux qui se  sont déroulés il y a quelques millénaires peuvent tous être rapidement relegué à l'Antiquité. Si on quitte momentanément le domaine de la recherche historique et qu'on transpose les méthodes de  périodisation utilisées à celui du monde de la comptabilité, on obtiendrait le résultat suivant:

- l’exercice financier 1 («Antiquité») a une durée de 20 ans
- l’exercice financier 2 («Moyen Âge») a une durée de 5 ans
- l’exercice financier 3 («Époque moderne») a une durée de 2 ans
- l’exercice financier 4 («Époque contemporaine») a une durée de 6 mois

Ce n'est pas évident alors de comparer les états financiers d’une firme pour analyser la performance de celle-ci à travers le temps. Imaginons maintenant que chaque firme a sa propre méthode pour établir la durée de temps d’un exercice financier. Un investisseur, un vérificateur de Revenu Canada ou un agent de l’AMF s’y perdrait. D’où les PCGR (principes comptables généralement reconnus) pour mettre un peu d’ordre.

Si on revient en Histoire, bien le ménage devrait être fait pour avoir des périodes de temps d’égales étendues et cela nécessite l’abandon de la périodisation thématique actuelle.


L'INTRUSION DE LA RELIGION


Si l'Histoire est une méthode d’enquête rationelle et objective fondé sur le doute méthodique,  la rigueur et l'analyse des faits, la religion tant qu'à elle est basée sur l'acceptation aveugle du dogme et sur le «truthiness». Religion et Histoire sont incompatibles. Et si la religion n'a pas sa place dans cette discipline, alors  une purge du contenu chrétien retrouvé dans le système de périodisation est nécessaire,  c’est-à-dire qu'il faut remplacer «Avant J.-C.» et «Après J-C.» par «Avant notre ère» et «Après notre ère», tout comme en anglais, on voit de plus en plus B.C.E. (Before Common Era) et C.E. (Common Era) au lieu de B.C. (Before Christ) et A.D. (Anno Domini). Cette laïcisation est nécessaire si on veut développer un espace culturel commun auquel tous contribuent, peu importe leurs choix de conscience ou de religion. 
De toute façon, à quoi bon organiser une discipline en fonction d'un personnage fictif?


DES ALTERNATIVES?



Déjà, il existe un encadrement arbitraire auquel les humains ont contraint l’Histoire: les années (préférence d’un cycle solaire de 12 mois au cycle lunaire) et les siècles (regroupement de 100 années). Ces choix arbitraires sont plus «naturels» dans la mesure où la vaste majorité du public saisit rapidement ces concepts, alors qu’on les perd dans le brouillard lorsqu’on parle des nuances entre Antiquité tardive et Spätantike. Le choix de cent ans, soit quatre générations (100/4 = 25 ans), fait du sens dans la mesure que, de mémoire, le nom des arrières-grands-parents est le plus loin que la plupart des gens se souviennent de leur arbre généalogique: au-delà de cette génération, une recherche doit souvent être effectuée. On s’identifie donc plus naturellement à un siècle qu’à une grande période historique donnée, qui ne sera que le construit artificiel des chercheurs ayant vécus après nous.

Donc, plutôt que parler d’Antiquité tardive, de Moyen Âge ou de Renaissance, on devrait parler de siècles. On élimine donc la borne de 476 pour parler à la place du Ve siècle, évitant d’adhérer à l’illusion caricaturale que l’Empire romain d’Occident s’est effondré du jour au lendemain, un jour tous les gens civilisés vêtus de toges et parlant le latin, le jour suivant l’Europe étant peuplée de barbares barbus illetrés grognant quelques cris de guerre. En parlant de XVe siècle, on évite de débattre inutilement à savoir si la fin du Moyen Âge se situe en 1453 ou en 1492. Oui, ça augmente dramatiquement le nombre de périodes données pour une ligne du temps (les deux millénaires de notre ère se découpant en 20 périodes), mais au moins, question de clarté, on a pas à débattre sur le début et la fin d’une époque construite dans l’imaginaire d’un chercheur, vu que le premier siècle commence (selon le calendrier occidental) à l’an 1 et se termine en l’an 101.

En bout de ligne, le dossier de la périodisation ne semble pas urgent au Québec, mais pour une société en quête identitaire et dont la devise est Je me souviens, il faudrait peut-être consacrer un peu plus d’efforts et de réflexions en Histoire.
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Impasse

Depuis plusieurs décennies, les confrontations entre les fédéralistes et les souverainistes font en sorte que le Québec fait du sur place en matière constitutionnelle et cette (relative) instabilité politique a des répercussions sur son économie (sans toutefois être le bouc-émissaire auquel on attribue la totalité des problèmes de croissance).

Mettant de côté, momentanément, mes convictions souverainistes pour passer en mode realpolitik, je peux constater que la politique québécoise a certains éléments communs avec le dilemme du prisonnier [1], un cas classique dans la théorie des jeux (game theory) [2]: parce que les fédéralistes et les indépendantistes cherchent chacuns à gagner sur l’autre camp, vu que la question nationale est un jeu à somme nulle où la victoire de l’un entraîne automatiquement la défaite de l’autre (particulièrement lors d’un referendum), on aboutit inévitablement à une troisième possibilité, la stagnation, qui déplaît à tous et ne fait que «pelleter en avant» les problèmes politiques (un peu comme les deux prisonniers, en ne ne coopérant pas, arrivent à une situation mutuellement nuisible).

LE DÉCLIN DU MOUVEMENT SOUVERAINISTE?

Certains «lucides» ont avancer l’idée que l’indépendance du Québec est impossible, malgré le résultat serré du referendum de 1995, et qu’on devrait réalistiquement abandonner un projet «infaisable». On avance aussi que le mouvement souverainiste est en déclin, bien qu’on a vu émerger un second parti souverainiste à l’Assemblée nationale, Québec Solidaire, et son mono-député, Amir Khadir. De plus il faudrait dissocier l’impopularité évidente de la chef du Parti Québécois, Pauline Marois, de celle du mouvement souverainiste: les deux regroupements politiques ne sont pas des synonymes, bien qu’ils se recroisent assez souvent. Le Bloc Québécois est toujours en place à Chambre des communes, et le «vent de conservatisme» au Québec, tant prophétisé, s’essoufle dès qu’on s’éloigne de la région de la Vieille Capitale et de sa radio-poubelle, et que Michael Ignatieff est loin de susciter une version canadienne de l’«Obama-mania». De toute évidence, la proposition de la nouvelle droite québécoise de faire l’autruche face à la question nationale est un échec prévisible, vu que les souverainistes sont là pour restés, même si la victoire espérée par ceux-ci, elle, est loin d’être assurée.

LA TYRANNIE DES MOUS?

Sans faire d’études exhaustives sur la question, si on se base sur la guerre d’indépendance des États-Unis [3] pour faire un rapide portrait de la situation, il existe peut-être un tiers des Québécois qui sont dédiés à la souveraineté, un autre tiers étant activement partisans du fédéralisme, et la balance restante qui prend une attitude attentiste, indécise, inintéressée ou opportuniste. Peu importe les chiffres que des sociologues ou des statisticiens peuvent sortir, les proportions de chaque camp peuvent varier, mais il reste que la décision finale revient, inévitablement, aux indécis, qui choisisssent d’esquiver la question, comme le montre le résultat référendaire de 1995. D’où l’inertie actuelle du Québec sur le plan politique.

DES SOLUTIONS?

Pour les souverainistes, la capacité de convaincre les indécis du bien-fondé de leur cause passe d’abord par le développement d’un projet plus étoffé que le chèque en blanc qu’on demande à la population de signer en cochant oui. Il faut que les politiciens indépendantistes se prononcent clairement sur plusieurs dossiers, notamment les structures gouvernementales qui seront mises en place (république présidentielle? monarchie constitutionnelle?), et c’est déplorable qu’en quinze ans tout ce qu’on entend, c’est de la langue de bois. Il resterait au gouvernement fédéral et aux fédéralistes d’ici à cumuler les gaffes, mais même si Jean Charest fait un bon travail dans ce domaine, c’est très passif comme approche, et il faudrait que les souverainistes aient un peu plus d’initiative et de clarté.

Pour les fédéralistes, la façon de promouvoir la cause du Canada passe par un devancement des revendications souverainistes: lors des deux derniers referendums, on parlait de «fédéralisme renouvelé», de «fédéralisme asymétrique», mais une fois la crise passée et la population rassurée, rien n’a été accompli. Certes, le gouvernement Harper a fini par reconnaître la nation québécoise (même si une nation existe par elle-même et qu’elle n’a pas besoin d’être définie en tant que telle par une autre), mais le cadeau était vide, dénué de droits supplémentaires permettant à l’entité reconnue de rayonner culturellement. Si les partisans du non veulent gagner, ils devront apprendre à prendre l’initiative, à proposer du changement, à offrir une vision, plutôt que de continuellement réagir face à la menace souverainiste, et en n’offrant que le statu quo ou un projet bidon «autonomiste». Cette initiative doit être honnête: la tentative (peu subtile) de la part des conservateurs, adéquistes et «lucides» de vouloir changer le débat souverainiste-fédéraliste par un réalignement gauche-droite (un «copier-coller» du dérapage du Tea Party américain promu par le mouvement «astroturf» du RLQ) ne fait que changer le mal de place, et n’apporte rien de constructif au Québec, vu qu’on se retrouve dans la même situation où le débat, excessivement polarisé, donne toute la place aux mous, qui eux optent perpétuellement pour l’esquive. Par contre, une initiative fédéraliste proposant un renouvellement des institutions politiques canadiennes, notamment par l’abolition de la monarchie britannique, trouverait écho chez mêmes d’éternels péquistes. Il y a chez les fédéralistes un potentiel inexploité de développement de projets rassembleurs, auxquels peuvent participer les souverainistes sans abdiquer leurs convictions profondes. Peut-être qu’il faut blâmer la faible qualité du leadership qu’on retrouve dans ce camp.

CONCLUSION

Et en bout de ligne que veulent les indépendantistes?

La souveraineté du Québec, tout en gardant une appartenance à l’espace économique canadien.

Que veulent les fédéralistes québécois?

 Pour reprendre le paradoxe lancé par Yvon Deschamps, un Québec fort dans un Canada uni.

En fin de compte, refaire le Québec et le Canada selon le modèle de l’Union européene [4] ne semble pas être une mauvaise idée, vu qu’elle concilie deux visions opposées qui ont pourtant deux points en commun: développer le potentiel du Québec et appartenir à l’espace économique du Canada.
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[3] Révolution américaine
[4] Union des nations boréales d’Amérique