Friday, December 25, 2015

Ma nostalgie


Dans le bon vieux temps ça se passait de même...



25 décembre 2015,

Bien que je sois ivre,
ma vitre n'est pas un jardin de givre
Et mon Noël ne sera pas blanc,
comme dans les hivers d'antan...


C'est Noël. Un Noël brun. Un Noël aux couleurs des changements climatiques. Des changements qui nous amènent dans un monde qu'on reconnaît de moins en moins. Mais prévisiblement, il y a tout de même des choses qui reviennent à chaque année durant la période des fêtes. Ceux qu'on apprécie, comme les cadeaux, la dinde, les rassemblements en famille et la bûche de Noël. D'autres qu'on apprécie moins, comme les kilos en trop résultant des quelques petits excès. Et puis il y a celui dont on pourrait amplement se passer : la politisation de la fête de Noël par la droite. 

Et in Arcadia ego.

Ma nostalgie, c'est celle du Noël d'avant, celui qui n'était pas politisé, où on pouvait dire «joyeuses fêtes!» sans provoquer d'indignation mal placée.


...ça se passait de même dans le bon vieux temps...



Année après année, comme de «l'herpès idéologique», la droite nous revient avec cette fameuse «guerre contre Noël» (War on Christmas), cherchant à contaminer le Québec entier avec sa démangeaison démagogue calquée des talking points de la chaîne Fox News, comme si la fête la plus populaire au monde avait le moindre risque de disparaître du jour au lendemain si une poignée de péquenauds ne prenaient pas la peine de s'indigner chez eux contre les immigrants. J'avais écrit en 2011 un texte pour dénoncer la manipulation émotionnelle que la droite fait autour de cette fête, un texte qui depuis continue de circuler dans les médias sociaux (probablement à cause de Vladimir De Thézier...). Sans trop de surprise ma critique reste toujours d'actualité (à quelques détails près), parce que les marchands de peur trouveront toujours ça facile d'appuyer sur le même bouton de panique pour faire réagir la population. Par contre, d'autres éléments de mon texte commençait à dater un peu (par exemple, il y a eu de l'eau sous le pont depuis le mouvement Occupons Montréal), alors je me suis mis à rédiger une version plus récente pour mieux correspondre à la situation actuelle.

En marketing comme en politique, l'émotion fait vendre. Quand l'émotion est forte, il suffit de rattacher au stimulus approprié et de l'activer au moment opportun pour susciter un comportement désiré. Or, le temps des fêtes est une période de l'année où nous vivons tous une surcharge émotionnelle (positive ou non), que ce soit à cause de l'anticipation des célébrations à venir, des présents espérés, des inquiétudes concernant la carte de crédit, des retrouvailles prévues, de la solitude pour certains, de l'extase religieuse autant chez les célébrants du Christ que ceux de Yule, de la nostalgie d'antan, de l'attente de la nouvelle année ou la simple joie de prendre un pause du boulot pendant quelques jours. Peu importe la raison qui nous est spécifique, et il peut y en avoir plusieurs, la fin du mois de décembre nous survolte émotionnellement et nous rend vulnérable à ce niveau, une vulnérabilité qui nous fait perdre en partie notre raison, notre esprit critique. Naïvement, nous appelons ça la «magie des fêtes». Ce n'est pas pour rien que bon nombre d'entreprises font la moitié de leur chiffre d'affaires durant cette période – si notre esprit critique se ramollit comme de l'argile durant ce mois, il en devient autant plus façonnable pour celui qui veut l'altérer à son avantage. Pour le mercaticien, c'est l'occasion de stimuler les ventes, pour le curé de remplir son église pour la messe de minuit, et pour le démagogue d'attirer les gens vers sa tribune. 

Avec autant de poissons, la pêche ne peut être que miraculeuse. Il ne suffit que de mettre de l'appât de son choix. Pour la droite, l'appât c'est la combinaison habituelle de peur, de colère et d'ignorance, bien que paradoxalement, ces «tribuns de la plainte» se présenteront (faussement) comme les ardents défenseurs de la paix, de la joie et de la «vraie» tradition de Noël. Une subversion qui fait quasiment passer «c'est comme ça que ça se passe dans le temps des fêtes» d'une parole de chanson joyeuse à un ordre intimé par les ténors de la droite, qui focalisent dogmatiquement sur les symboles de Noël (le contenant) davantage que sur l'essence de ce rassemblement (le contenu), parfois cette myopie idéologique allant au contre-sens de l'objectif visé - défendre la fête de Noël - en contribuant directement à la gâcher en lançant une énième polémique, voir un dick-waving contest de celui qui mettrait le plus de Christ dans Christmas. À force de vouloir défendre l'intégrité de l'emballage du cadeau, on oublie de voir ce qu'il y a à l'intérieur.





Noël n'en est pas à sa première forme, ni à son premier nostalgique, ni à sa première subversion et on peut constater une évolution en 6 temps de cet événement:


  1. Le phénomène astronomique et saisonnier du solstice d'hiver
  2. La création des premières fêtes, dites païennes
  3. La subversion et la récupération de ces fêtes par la chrétienté
  4. La transformation en congé civique par les gouvernements occidentaux
  5. La subversion, la récupération et la commercialisation de Noël par l'entreprise privée
  6. La situation actuelle, où la fête, politisée, sert aussi à alimenter les polémiques


1. Le solstice d'hiver


En premier lieu, la raison que cette fête existe est purement le résultat de phénomènes saisonniers et astronomiques, c'est-à-dire le solstice d'hiver. Cette date marque le premier jour de la saison de l'hiver. C'est aussi la journée la plus courte de l'année, mais le moment à partir duquel les journées commenceront à se rallonger, à sauts de puce au début, puis par des gains plus grands au printemps. Pour les premiers humains qui constataient cette étape du cycle de l'année, le solstice d'hiver était vraisemblablement pour eux la promesse que des jours meilleurs, ensoleillés et chauds, allaient revenir éventuellement. Un point de repère fiable, cyclique et ordonné dans un monde chaotique et imprévisible. C'est aussi simple ça, et tout le reste, vraiment tout le reste, n'est que pur emballage superflu: la planète Terre effectue sa révolution autour du soleil en toute indifférence de nos croyances religieuses, de nos opinions politiques et de la crise identitaire au Québec.


 2. Les premières fêtes païennes


Sol Invictus
Des millénaires avant le récit du Christ, les civilisations humaines ont organisé des célébrations rattachées au solstice d'hiver, date enrobée de mythes et légendes de leurs religions respectives. L'idée est simple: parce que les saisons se suivent selon un cycle prévisible (malgré le hasard de la météo et des récoltes), les communautés pouvaient organiser l'élevage et l'agriculture selon ce cycle; l'hiver peut être long ou court, rigoureux ou clément, mais ce qui est certain, c'est qu'il laissera toujours la place au printemps. En période de terre infertile, il était logique de réduire la taille du cheptel, question de s'assurer que les animaux qui restent aient une part suffisante de grain et de fourrage pour survivre l'hiver. Les méthodes de conservation de la viande étant ce qu'elles étaient à l'époque, plutôt que de perdre la viande obtenue, les communautés organisèrent des festins. Un moment d'abondance en période de froid et de noirceur qu'on associait à la promesse du renouveau du solstice d'hiver. Ainsi, voit-on apparaître un peu partout dans le monde des célébrations au début de la saison de l'hiver, que ce soit Yule chez les populations germaniques ou les Saturnales chez les Romains. Les racines culturelles du Québécois sont d'abord païennes, pré-chrétiennes, et rattachées à la tradition romaine, qui elle-même en doit beaucoup aux Étrusques.

Notre calendrier n'est pas le fruit d'un diktat divin, mais le résultat de plusieurs millénaires d'expérimentations (qui se souvient du mois de Mercedonius?), de réformes (le passage de 10 à 12 mois par année), de modifications (Quintilis et Sextilis cédèrent la place à juillet et août pour honorer Jules César et Auguste) et de lois entièrement créées par l'esprit humain. Si nous avons un mois de décembre proprement dit, c'est que les Romains ont conçu l'idée de ce mois et de cette forme spécifique de calendrier. Quand vous parlez du «25 décembre», vous parlez d'une abstraction, d'une convention sociale créée de toute pièce, d'une hallucination collective partagée volontairement par la population. Notre conception du temps n'existe que dans nos têtes.


 [texte en rédaction]

Tuesday, June 23, 2015

Le drapeau de la honte





Bannière de l'Armée du Tennesse
Suite aux incidents de la nuit du 17 juin 2015, où un individu vraisemblablement dérangé (que je ne nommerai pas pour éviter de lui faire de la publicité) a perprété un crime haineux amenant dans la mort neuf personnes de race noire, l'indignation populaire à l'égard de cet acte terroriste a amené la demande de changements pour contrer cette violence. Il y a eu l'habituel appel pour restreindre l'accès aux armes à feu, certes, mais aussi une revendication très significative: le retrait du drapeau confédéré qui flotte au-dessus du capitole de la Caroline du Sud, notamment avec la campagne #takeitdown dans les médias sociaux. Controversé, le drapeau compte tout de même encore de nombreux adeptes, tous prévisiblement caucasiens, en Caroline du Sud et dans le reste des états sudistes, ce vaste ensemble culturel qu'on appelle Dixie ou tout simple «le Sud», distinct des états nordistes (voir aussi The Nine Nations of North America de Joel Garreau à ce sujet). Pour certains d'entre eux, c'est un symbole culturel de fierté, représentant le caractère distinctif du Sud au sein des États-Unis, et tout ce qui concerne le passé raciste et séditieux de ce symbole semble étrangement occulté, par ignorance ou aveuglement volontaire. D'autres partisans du drapeau ne versent pas dans l'édulcoration et les lunettes roses: non seulement ils reconnaissent ce passé honteux, mais s'en réclament et prétendent en faire une source de gloire, prônant à qui veut l'entendre la suprématie de la race blanche. Le Ku Klux Klan (KKK) est un groupe emblématique de cette seconde catégorie partisans du drapeau confédéré, mais n'est pas l'unique exemplaire de groupe raciste dans le Sud se ralliant à cette bannière. Bref, c'est par l'ignorance ou par la haine que le drapeau confédéré trouve encore des appuis en Caroline du Sud. Un simple bout de tissu, le drapeau n'a pas peut-être lui-même tuer personne, mais dans la mesure où les idées et les idéologies d'un individu sont souvent le fruit de la culture qui l'entoure, même si cette personne possède le libre arbitre et est responsable de ses propres actes, la présence d'un symbole négativement chargé de racisme est une validation, un consentement et une approbation des actes racistes par le gouvernement de l'état de la Caroline du Sud. Pour cette raison, ce drapeau n'a tout simplement pas sa place, surtout en 2015.






Une imposture historique



Évidemment, ceux qui défendent encore la présence du drapeau confédéré au-dessus du capitole de la Caroline du Sud utilisent l'argument patrimonial typique de la droite conservatrice: « qu'on l'aime ou qu'on l'aime pas, ce drapeau fait partie de notre Histoire, il fait partie de ce que nous sommes ». Ce n'est pas sans rappeler le cas du Québec, où le même argument a été servit pour défendre le maintien du crucifix à l'Assemblée nationale, sous prétexte qu'il représentait les racines catholiques du peuple fondateur du Québec - alors que dans les faits, le symbole religieux est un ajout tardif, placé sous le règne de Maurice Duplessis en 1936, pour représenter une union entre le pouvoir ecclésiastique et politique, question de faire une réplique à la laïcisation de la France en 1905. L'Hôtel du Parlement du Québec a connu deux générations (entre 1886 et 1936) sans avoir de crucifix au-dessus de président de l'Assemblée nationale. Sans entrer dans le houleux débat sur la présence du crucifix au siège du gouvernement (qui dérape trop souvent sur celui des accommodements religieux), on peut au moins reconnaître que l'argument de la valeur patrimoniale est invalidé par le fait que la présence de l'objet est le résultat d'un ajout tardif, 50 ans plus tard, motivé par des raisons politiques qui frôlent quasiment les aspirations théocratiques. Le drapeau confédéré, en plus d'être un symbole ralliant les racistes du Sud, est aussi en lui-même une imposture, le fruit à la fois d'une simplication de l'imagerie de la Guerre de SécessionAmerican Civil War», «Civil War», «War of Northern Agression», «War Between the States» ou plusieurs autres appellations selon les auteurs) et d'un révisionnisme historique.




Première enseigne navale (1861-63)
Historiquement, le drapeau désormais emblématique du Dixie n'a jamais volé au-dessus des États confédérés d'Amérique (Confederates States of America, ou CSA pour abréger) comme symbole national officiel durant la brève existance de cette confédération (1861-1865). Dans les faits, ce drapeau dans sa forme actuelle n'a connu que deux utilisations: comme seconde enseigne navale de la marine sudiste («Navy Jack»), remplaçant la première version à partir de 1863, et comme bannière de régiment pour l'Armée du Tennessee (Army of Tennessee) à partir de la fin de 1862. Les troupes de Robert E. Lee, l'Armée du Nord de la Virginie (Army of Northern Virginia) employait un drapeau similaire, de forme carrée plutôt que rectangulaire, comme étendard de bataille secondaire au drapeau principal des troupes virginiennes.  du Dans les trois cas, il s'agit d'un symbole militaire et non civil. La distinction est importante en 2015, dans la mesure où en démocratie américaine, la légitimité du gouvernement civil de la république est supérieure à celle de l'autorité militaire, qui est au service de la première instance - alors que le déploiement d'un drapeau militaire au-dessus du capitole de l'état de Caroline du Sud est (inconsciemment ou non) un pied-de-nez à ce principe, voire un appel à la culture militariste, dont la source première de pouvoir n'est pas la souveraineté, l'égalité et la liberté du peuple, mais sa capacité à exercer de la violence sur autrui. Ce qui n'est pas sans rappeler le «culte des armes à feu» chez certains «guntardés» partisans de la NRA, parmi lesquels figurent l'infâme tueur de Charleston.



Drapeau de la Caroline du Sud (1860)
L'argument patrimonial du drapeau heurte un autre récif si on considère que la bannière de l'Armée du Tennessee est étrangère à la Caroline du Sud, le Tennessee et cette dernière étant respectivement des états bien distincts. Par ailleurs, il faut noter que cet état américain, le premier à faire sécession en 1860 avant de rejoindre la coalition rebelle qu'étaient les CSA l'année suivante, a eu brièvement son propre drapeau pour signifier sa souveraineté (voir ci-contre), incorporant dans le motif d'un palmier rappelant son surnom du Palmetto State. S'il y avait la moindre prétension réelle de vouloir préserver l'héritage culturel de la Caroline du Sud, ce serait ce drapeau qui flotterait au-dessus du capitole de l'État de la Caroline du Sud (South Carolina State House) à Columbia, et non celui provenant du Tennessee.


Le premier drapeau confédéré (1861-63)
A titre comparatif, on pourrait prendre l'example du Texas. Par souci de conservation de son patrimoine historique et par désir de le mettre en valeur, le Texas utilisent souvent comme symbole les six drapeaux (Six flags over Texas) des États qui ont exercé une souveraineté sur son territoire (Espagne, France, Mexique, République du Texas, États confédérés d'Amérique [CSA] et États-Unis d'Amérique [USA]). Ensemble, ces six étendards sont utilisés à des fins identitaires ou bien promotionnelles (comme chez l'entreprise texane Six Flags, propriétaire notamment du parc d'amusement La Ronde à Montréal). On remarque rapidement que si les CSA sont représentés, ils ne sont aucunement par le drapeau de l'Armée du Tennessee. A la place, on observe la présence du (méconnu) premier drapeau confédéré, qui a été utilisé entre 1861 et 1863 (et a été modifié plusieurs fois pour rajouter des étoiles au fur et à mesure que des états sécessionnistes rejoignèrent les CSA). Si on ne regarde pas attentivement, on pourrait même le confondre avec le drapeau de Betsy Ross (Betsy Ross flag) utilisé par les coloniaux durant la Révolution américaine (la coïncidence n'est d'ailleurs pas fortuite, la sécession du Sud ayant été à l'époque souvent représentée comme une «seconde révolution américaine» par ses partisans, soucieux de récupérer les mythes fondateurs américains pour donner un vernis de légitimité à leur cause auprès de la population blanche, comme l'atteste aussi la représentation du Général George Washington sur le Sceau confédéré). Ce premier drapeau, appelé «Star and Bars» (par opposition au «Stars and Stripes» des états de l'Union), aura laissé peu d'impact sur la culture populaire, au point où on réattribue très souvent (par erreur) son nom à celui de l'Armée du Tennessee. Si l'argument des opposants du retrait du drapeau confédéré est de défendre le patrimoine culturel, il devrait y avoir, par cohérence, un minimum de souci d'exactitude historique dans la construction de la mémoire collective. Autrement, on verse dans la folklore. Ou plutôt dans le fakelore: le supposé drapeau confédéré est étranger à la Caroline du Sud et ne porte pas le bon nom. Bien que par sa cause esclavagiste le régime politique représenté par le (réel) «Stars and Bars» ne mérite pas à mes yeux d'être commémoré, il faut toutefois remarquer que la charge émotionnelle négative, autant chez les racistes que chez qui ceux qui subissent le racisme, est très faiblement associé à ce drapeau particulier. Le choix de la Caroline du Sud de déployer un drapeau à connotation plus négative sur le siège de son gouvernement laisse planer autre chose que la simple commémoration.


Les 6 drapeaux du Texas (Six flags over Texas)


Second drapeau confédéré (1863-65)
Comme symbole commémoratif de leur présence au sein CSA, le Texas, la Caroline du Sud et les états du Dixie ont aussi d'autres options pour représenter cette part d'ombre de leur histoire. Un second drapeau du gouvernement civil, la Bannière sans tâches (Stainless Banner),  semble déjà plus familier: dans le coin à gauche, on reconnaît le motif étoilé popularisé par l'Armée de la Virginie du Nord. Et on ressent un malaise. Le reste du drapeau, tout blanc, avec un nom qui invoque la pureté, sous-entend la pureté raciale et la suprématie blanche. Difficile de contourner la question du racisme chez les porteurs de lunettes roses en le voyant. D'autre part, quand il n'est pas pleinement déployé par le vent, ce drapeau peut être facilement confondu avec le drapeau blanc de la reddition, ce qui peut expliquer qu'il est moins populaire que le drapeau de l'Armée du Tennessee.


3e drapeau confédéré (1865)
Une troisième alternative pour représenter l'héritage du gouvernement civil des CSA (si la préoccupation est réellement de représenter le patrimoine culturel...) est celle avec le nom «charmant» de la «bannière sanglante» («Blood-Stained Banner»), qui a existé dans les derniers mois du régime confédéré en 1865. Il s'agit d'une simple modification du modèle précédent, doté d'une large bande horizontale rouge, représentant vraisemblablement le sang des soldats confédérés versé durant le conflit, bien qu'une rhétorique raciste peut facilement en faire un symbole de la supposée pureté et supériorité du sang des Blancs. On peut débattre de la nature du nom de ce drapeau, ou bien souligner que la symbolique du sang est aussi utilisée ailleurs sans connotation négative (le cas du drapeau de l'Autriche). Ce qui laisse moins à l'interprétation, c'est que la bande rouge réglait le problème de confusion du modèle précédent de drapeau. Néanmoins, ce n'est pas ce drapeau qui flotte au-dessus du capitole de Columbia. Dans le canton à gauche semble plus étirer, prenant une forme à mi-chemin entre l'étendard de l'Armée de la Virginie du Nord (carré) et celui de l'Armée du Tennesse (rectangulaire).


Drapeau «Bonnie Blue» (non officiel)
Une dernière alternative, le drapeau «Bonnie Blue» («Bonnie Blue Flag»), ne représente ni le gouvernement civil confédéré, ni son armée. Son utilisation a été (modestement) popularisée par la population sudiste elle-même. A l'origine un drapeau de l'obscure République de la Floride occidentale (Republic of West Florida) dont l'existence se limite à l'année 1810, le symbole sera recyclé et utilisé par les troupes rebelles confédérées dans le début des hostilités, en attendant que le gouvernement des CSA se dote d'un drapeau officiel en 1861, le «Stars and Bars» (voir ci-haut). Comme élément représentatif de la période de la Guerre de Sécession, le Bonnie Blue est anecdotique et, comme le drapeau de l'Armée du Tennessee, étranger à la Caroline du Sud et ne représente pas le gouvernement civil des CSA. La faible popularité de ce drapeau est probablement à l'association de la couleur bleu aux troupes de l'Union, alors que celles de l'insurrection sudistes étaient vêtues d'uniformes gris.


En terminant ce tour de piste concernant les drapeaux sécessionnistes ayant réellement été utilisé dans la période 1860-1865, on se rend compte que parmi les choix pour prétendre à une quelconque valeur patrimoniale et historique, il existe le drapeau souverain de la Caroline du Sud, le vrai «Star and Bars» (4 modèles successifs, avec 7, 9, 11 et puis 13 étoiles) qui ressemble en partie au drapeau de Betsy Ross, le «Stainless Banner» et le «Blood-Stained Banner». Sept (7) choix parmi lesquels l'iconique «drapeau sudiste» ne figure aucunement, huit si on admet le Bonnie Blue dans les choix. Donc, l'argument de «préserver l'héritage culturel» ne tient aucunement la route et relève du révisionnisme historique.



Un symbole d'ignorance et de haine



Un réel «Stars and Bars» confédéré
Comme je disais au début texte, il y a deux types de partisans pour conserver le «drapeau confédéré» au-dessus du capitole de Columbia: les ignorants et les haineux. Dans le premier cas, il faut distinguer les gens mal informés de ceux qui se mettent volontairement des oeillères, voyant avec une curieuse nostalgie et romantisme ce Sud bucolique et rebelle (popularisée notamment par Autant en emporte le vent...), une déformation de la réalité qui ne tient pas aucunement compte du sort de la population noire réduite à l'esclavage. Les gens mal informés qui considèrent la bannière de l'Armée du Tennessee comme représentatif de leur héritage sudiste le sont peut-être à cause d'une certaine sur-simplification des représentations historiques de la Guerre de Sécession (on oublie de distinguer le gouvernement civil des forces militaires), où faute d'efforts de recherche suffisants, la bannière s'est retrouvée par erreur comme symbole du gouvernement des CSA. Facilement reconnaissable du public, malgré la charge émotive négative qu'il contient, ce drapeau confédéré peut être identifié avec plus d'aise et de rapidité que le vrai «Stars and Bars», qui lui a réellement flotté officiellement sur la région du Dixie. Il y a eu en Histoire bon nombre des raccourcis, des embellissements, des impostures et des mythes, que ce soit la supposée résistance héroïque de Madeleine Verchères (une histoire de pêche abracabrante, où la fuite devant un seul Autochtone sera transformé en une épopée contre une horde d'Amérindiens), les fameux casques à cornes des Vikings (une pure invention provenant de l'opéra du XIXe siècle) ou bien les délires de Terra nullius de Réjean Morrissette. Le bannière de l'Armée du Tennessee n'est devenu le «drapeau des États confédérés» que bien après la conclusion de la Guerre de Sécession. Une partie du débat concernant le capitole de Columbia devrait simplement poser la question: «Devons-nous, en tant que gouvernement, promouvoir officiellement un mensonge avec ce faux drapeau confédéré pour préserver ce que l'ignorance a placé dans le patrimoine historique et culturel de l'état de la Caroline du Sud?»

Caricature de 1874, Harper's Magazine
Malgré le tour de piste effectué précédemment pour démontrer que l'argument de la valeur patrimoniale de bannière de l'Armée du Tennessee (appelé erronément «drapeau confédéré») est nul puisque le drapeau n'a jamais été reconnu officiellement comme étant représentatif des CSA (alors que 7 autres l'ont été par la Caroline du Sud), certains parleront que la valeur identitaire acquise après 1865, alors que la population du Sud tentait de préserver son identité culturelle distincte sous l'occupation yankee. La période de la Reconstruction, loin d'être une ère de réconciliation et de libération pour la population noire, a plutôt donné naissance à une nouvelle forme d'oppression, notamment avec les agissements clandestins d'anciens vétérans confédérés regroupés sous la cagoule du KKK. Entre ici en scène la seconde catégorie de partisans du drapeau confédéré, ceux animés par la haine et par la Cause perdue (Lost Cause) des CSA.


Étendard de bataille Van Dorn (CSA)
Le choix, pour les dissidents sudistes actifs durant la période de Reconstruction, de la bannière de l'Armée du Tennessee comme symbole de ralliement n'est pas anodin. Pour les vétérans, c'était une bannière de guerre et sont utilisation était forcément une déclaration de guerre à tout ce qui n'est pas sudiste: intégration raciale des Noirs, mariage mixtes, libre circulation des personnes de couleurs, collaboration avec les instutions de l'Union, etc. Une guerre évidemment clandestine pour une armée déjà défaite. Pour rallier ces dissidents, il fallait des symboles. Certains ésotériques, question de pouvoir oeuvrer dans le secret, ce qui explique la prolifération de titres risibles au sein du KKK de «Goblin» et de «Grand Wizard», qu'on pourrait méprendre pour une idée d'un «geek» qui joue trop à D&D. D'autres symboles, utilisés pour rallier la population blanche sudiste quand le besoin de subtilité n'était pas nécessaire, faisait appel aux jours de gloire des CSA, notamment aux victoires de Robert E. Lee, et donc au drapeau secondaire de l'Armée de la Virginie du Nord, étant davantage différent du drapeau états-unien que le drapeau officiel de cette même armée. Le drapeau de l'Armée du Tennessee présentait le même motif, mais avant l'avantage d'avoir une forme rectangulaire standardisé. D'autres étendards militaires aurait aussi bien pu être utilisés par les vétérans confédérés, comme les couleurs d'Earl Van Dorn (voir ci-haut), mais comme ce militaire est surtout associé à une série de défaites lui valant le surnom de «Damn Born» (et on peut-être présumer que le drapeau a un design un peu ringuard...), il semble que ce choix n'est pas été retenu.


[texte à compléter]




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Images (domaine public):




Bannière de l'Armée du Tennessee: https://en.wikipedia.org/wiki/Flags_of_the_Confederate_States_of_America#/media/File:Confederate_Rebel_Flag.svg

Le premier drapeau confédéré («Stars and Bars»):  https://en.wikipedia.org/wiki/Flags_of_the_Confederate_States_of_America#/media/File:Flag_of_the_Confederate_States_of_America_%281861-1863%29.svg

Le second drapeau confédéré («Stainless Banner»): https://en.wikipedia.org/wiki/Flags_of_the_Confederate_States_of_America#/media/File:Flag_of_the_Confederate_States_of_America_%281863-1865%29.svg

Le troisième drapeau confédéré («Blood-Stained Banner»): https://en.wikipedia.org/wiki/Flags_of_the_Confederate_States_of_America#/media/File:Flag_of_the_Confederate_States_of_America_%281865%29.svg

Drapeau «Bonnie Blue»: https://en.wikipedia.org/wiki/Flags_of_the_Confederate_States_of_America#/media/File:Bonnieblue.svg

Première enseigne navale (1861-1863): https://fr.wikipedia.org/wiki/Drapeaux_des_%C3%89tats_conf%C3%A9d%C3%A9r%C3%A9s_d%27Am%C3%A9rique#/media/File:Jack_of_the_CSA_Navy_1861_1863.svg

Drapeau de la Caroline du Sud (1860): https://en.wikipedia.org/wiki/Flags_of_the_Confederate_States_of_America#/media/File:South_Carolina_Sovereignty-Secession_Flag.svg

Les 6 drapeaux du Texas: https://en.wikipedia.org/wiki/Six_flags_over_Texas#/media/File:Six_Flags_of_Texas.jpg

Réel «Stars and Bars» confédéré: https://en.wikipedia.org/wiki/Flags_of_the_Confederate_States_of_America#/media/File:Confederate_%27Stars_and_Bars%27_Flag,_captured_at_Columbia,_South_Carolina_-_Wisconsin_Veterans_Museum_-_DSC02996.JPG

Caricature de 1874, Harper's Magazine: https://fr.wikipedia.org/wiki/Ku_Klux_Klan#/media/File:The_Union_as_It_Was.jpg

Étendard de bataille Van Dorn (Van Dorn Battle flag): https://en.wikipedia.org/wiki/Van_Dorn_battle_flag#/media/File:The_Van_Dorn_Flag.png





Friday, April 24, 2015

Retour sur le «Pow Wow Gate»



Cette semaine, SRC annonçait l'arrivée prochaine sur ses ondes d'une émission culturelle animée par le chanteur Pierre Lapointe et l'animatrice Claudine Prévost. A priori, aucun problème, les Québécois doivent se doter d'outils de promotion pour promouvoir et faire rayonner leur culture. Le hic? L'émission télévisée aurait porté le titre de « Pow Wow ». L'indignation des Autochtones fut quasi-instantanée et rapidement les échos se firent entendre dans les médias sociaux. En peu de temps, la poétesse Natasha Kanapé Fontaine porta le message sous forme de lettre ouverte aux médias conventionnels, et l'argumentaire fut repris par les journalistes et les animateursLa principale raison de s'opposer à cette appropriation culturelle (cultural appropriation), c'est qu'on prenait le nom de la cérémonie communautaire la plus importante chez les Autochtones (durant laquelle d'ailleurs il y a des moments où la photographie est interdite selon les protocoles culturels), on vidait le nom de son sens, on en faisait une marque de commerce, et puis on n'incluait aucun contenu autochtone à l'émission.


Solutions proposées?


Plusieurs pistes étaient possibles au-delà de l'annulation complète de l'émission: la SRC pouvait changer son titre pour une appellation plus appropriée, ou bien modifier le mandat de l'émission télévisée pour inclure sur une base régulière du contenu autochtone à chaque épisode (ce ne sont pas les artistes innus qui manquent...). Le deuxième choix aurait été le plus audacieux, et non seulement il aurait permis de conserver le titre de l'émission tel quel, sans avoir à reculer, mais il aurait eu la capacité de transformer les adversaires en partisans. Quelle bonne idée aurait été une émission appelée « Pow Wow » qui rassemble Québécois de souche, Amérindiens, Inuits et communautés culturelles, axée sur le partage de musique de toutes origines et la discussion entre peuples.


En moins de deux jours, le choix inapproprié du titre fut abandonné par les concepteurs de l'émission télévisée. SRC avait finalement choisi de verser dans le premier choix, celui qui demandait le moins d'effort, plutôt que de faire preuve d'audace.





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A première vue, la crise du « Pow Wow Gate », comme un média se plaît à le nommer, semble une tempête dans un verre d'eau. Bon nombre de Québécois utilisent ce terme dans le langage familier pour désigner un rassemblement ou une fête quelconque, sans connaître le sens premier de la célébration autochtone. D'autres, malheureusement beaucoup moins instruits, ne retiennent que ce ne sont apparemment que deux onomatopés, «Pow» et «Wow», et aboutissent aux conclusions les plus stupides:  ce sont les mêmes types qui croient bêtement que «Yum Yum» veut dire pomme de terre en «amérindien» (sans précision pour à laquelle des 11 langues autochtones ils font référence). Or, l'ignorance des Québécois concernant la signification du mot Pow Wow et du sens général de cette cérémonie autochtone (qui n'est ni un party, ni une fiesta) n'est pas une justification pour une utilisation colonialiste du terme. 




C'est difficile de trouver l'équivalent exact pour la même situation pour donner aux Québécois une perspective équivalente du problème de l'appropriation culturelle. On peut faire quelques ballons d'essai: aimeriez-vous que les Américains reprennent la St-Jean-Baptiste, tout en anglais, en omettant de mentionner la culture québécoise? êtes-vous à l'aise avec les menus halal à la cabane à sucre? ne sentez-vous pas le malaise quand on parle de la poutine comme un mets «canadien» plutôt que québécois?



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Mais bon, faut-il en vouloir à tous les Québécois? 


Dans la vie, les crayons sont munis de gommes à effacer parce qu'il arrive à tous de faire des erreurs, conscientes ou non. Si l'erreur n'est pas délibérée et intentionnelle, pas malveillante, et que la personne ne persiste pas de cette erreur une fois qu'on lui a expliqué clairement le sens de ses gestes, il n'y a pas de problèmes. Bref, les individus font des erreurs, l'erreur est humaine, et on peut toujours faire marche arrière sur une mauvaise décision.

 
Par contre, les institutions et les entreprises sont tenues à des normes plus élevées que celles qu'on exige des individus, étant donné le caractère formel de leurs activités et de l'influence détenue de ces organismes sur la société. Surtout le gouvernement fédéral, qui autrefois interdisait par la loi la tenue d'événements culturels autochtones, comme les Potlatchs et les Pow Wows. Oui, il a déjà été illégal pour les Autochtones de faire un Pow Wow. Et puis, tout d'un coup, une agence fédérale, la SRC, annonce qu'elle utilise le mot Pow Wow comme marque de commerce pour une émission culturelle, sans y inclure de contenu autochtone. Bonjour malaise.


On l'a vu et on continue à le revoir, les organismes allochtones utilisent souvent dans leurs activités de marketing des éléments culturels autochtones. Parfois, l'emprunt semble anondin, comme le titre de l'émission mentionné ci-haut, et de simples de modifications permettent d'ajuster le tir. D'autre fois, les références à la culture autochtone sont employées par des organisations à des fins intentionnellement mensongères: on n'a qu'à penser à l'histoire de Pocahontas, complètement dénaturée et édulcorée par Disney pour ne pas révéler la réelle tragédie qui s'y cache. Certains de ce mensonges servent à nier des faits, d'autres à carrément les falsifier, que ce soit le ridicule mythe de la résistance de Madeleine de Verchères ou de la supposée fraternité interculturelle lors du premier Thanksgiving américain. Parfois, comme on l'a vu avec la firme Eska, on verse dans le «redface». Et récemment, dans le cas d'un certain film d'Adam Sandler, il s'agit carrément de dénigrement et de racisme, malgré les prétensions de supposé humour. Ultimement, parce que c'est une forme d'ignorance, le racisme dénigre la personne fait autant que celle qui le subit.


Mais lentement, mais sûrement, à défaut d'avoir un lobby bien organisé et une armée d'avocats, les Autochtones prennent entre leurs mains le respect de leur identité culturelle, tout en intégrant avec eux les Allochtones qui souhaitent être leurs alliés.  A la longue, un clic à la fois, de nouvelles normes, basées sur le respect mutuel de nos institutions culturelles respectives, parviendront à s'imposer.


Je pense qu'on peut arriver à mieux.









Wednesday, March 11, 2015

«L'appel du jambon» du maire Jean Tremblay



La guerre, c'est la paix. 
La liberté, c'est l'esclavage.  
L'ignorance, c'est la force.

- George Orwell, 1984







Source: Wikipedia (domaine public)
Au Québec, la qualité des politiciens, toutes factions confondues, n'est souvent pas au rendez-vous, bien que ça ne soit pas un phénomène particulièrement unique dans le monde occidental. Mais on constate qu'il y a depuis plusieurs années une détérioration de la qualité des candidats et des politiciens exerçant leurs fonctions. Depuis plusieurs mois, il y a eu le fiasco nommé Yves Bolduc, ministre de l'éducation, pour qui les livres à l'école n'étaient pas importants et que les fouilles à nu sur des mineures, sans mandat, par du personnel scolaire, était acceptables s'ils étaient respectueuses. Il y a le cas de Steven Blaney, Monsieur Point Godwin lui-même, qui pour défendre le projet de loi liberticide C-51 condamne les mots parce qu'ils sont, selon sa logique de troll, la cause de l'Holocauste. On croyait atteindre le fond du baril quand une onde de choc fut ressentit dans tout le Québec le 10 mars 2015: le maire Jean Tremblay avait réussit à surpasser en commentaires stupides l'ensemble de ces politiciens médiocres dans un clip contre les intellectuels, en moins temps qu'il en faut pour produire un deux minutes de haine.


Le pire, c'est qu'il y aura des imbéciles et des opportunistes pour se rallier à l'anti-intellectualisme primaire et l'obscurantisme de Jean «l'Ayatollà-là» Tremblay. Parce qu'au Québec, être intellectuel, c'est mal vu.


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Mais d'où vient ce mépris, de cette peur, des intellectuels?



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Se poser des questions, jouer avec des concepts, c'est le lot de tout le monde, que ce soit un humouriste avec un esprit vif, une prof de philosophie cultivée, un animateur de radio qui y va par quatre chemins ou un enfant de 4 ans qui se demande «d'où est-ce que je viens?».
 

Évidemment, pour le pouvoir établi, l'Establishment, avoir des sujets qui obéissent est plus avantageux pour conserver le pouvoir que d'avoir des citoyens qui critiquent les décisions de l'autorité. Alors on crée une «classe d'intellectuels». On prend quelques éléments, parfois les meilleurs, parfois tout simplement ceux qui arrivent à mieux se «brander» pour se faire connaître. On les encense. Et eux arrivent à croire les louanges qu'on leur chante. Ils finissent par se croire «si intelligent» alors qu'être intellectuel, à la base, c'est accessible à tous si la volonté de réfléchir est là.



 

Fraîchement devenus snobs, les intellectuels finissent par déplaire, alors le pouvoir établi se met à jouer sur un deuxième tableau, celui du populisme, en créant une nouvelle catégorie de gens, «le vrai monde». Ce «vrai monde» se construit en opposition aux intellectuels. Avec deux catégories artificiellement créées, et mises en opposition, l'Establishment se maintien au pouvoir. Si les «intellectuels» critiquent trop le pouvoir établira, on dira qu'ils sont déconnectés de la réalités, qu'ils font du pelletage de nuages, et les médias de masse répéteront le message anti-intellectuel, en cajolant le «vrai monde» pour son authenticité; si c'est la populace qui grogne trop, on dira d'eux qu'ils ne sont pas assez intelligents pour comprendre, et les médias flatteront l'ego d'un quelconque intellectuel ou expert à la solde du pouvoir établi, comme on le constate quand le peuple commence à critiquer les mesures d'austérité, il se fait répondre par l'économiste de service.

 

La notion «classe politique» a émergé dans les dernières années en suivant le même schéma de diviser pour régner, alors qu'à la base la politique - les affaires de la Cité - est un domaine de responsabilité citoyenne ouvert à tous, pas seulement aux membres des partis politiques. 


En bout de ligne, ce sont des catégories - le «vrai monde» et les «intellectuels» - qui sont créées artificiellement pour nous diviser et nous soumettre. Si on le veut, on peut tout simplement être de tous vrais intellectuels.



Refusons «l'appel du jambon»
lancé par le maire Tremblay.
 
 Sans prétention, soyons intellectuels.


Sunday, February 22, 2015

La cage de la perruche


Quand j'étais jeune, j'ai eu la joie d'avoir quelques animaux domestiques, dont plusieurs perruches: Cocotte, Bingo et ce fameux Bobby. Ces oiseaux colorés, un peu tapageurs, demandaient peu d'attention au-delà du routinier nettoyage de cage, ainsi que l'apport quotidien d'eau et de nourriture. Moins divertissants qu'un chien, ils étaient aussi moins exigeants à entretenir. Lorsqu'ils faisaient un peu trop de vacarme, il suffisait de mettre une couverture sur la cage pour que les oiseaux retrouvent le calme. Une astuce que j'ai toujours trouvé comique, puisque les oiseaux se faisaient facilement bernés, ils croyaient que la nuit était tombée et que c'était maintenant le temps de dormir. Même s'il n'était que 14 heures. De leur perpsective, avec toutes les données disponibles, il était pour eux parfaitement sensé de croire que la journée était terminée. Heureusement, nous, les humains, nous en savons davantage alors on ne se fait jamais berné.


Vraiment?


Pour continuer l'exemple de la cage de la perruche, un jeune enfant pourrait trouver assez naïfs ces oiseaux qui croient faussement que le soleil s'est couché. Mais qu'arrive-t-il, si par un hasard exceptionnel, que le même gamin observe dans le ciel une éclipse totale? Avec l'absence de lumière et une méconnaissance de l'astronomie, le jeune pourrait lui aussi croire que la nuit est arrivée, parce que ses sens lui révèle que le soleil est absent. Un adulte, informé, pourrait l'informer qu'il est encore jour et qu'il s'agit seulement d'un rare phénomène astronomique. L'adulte possède davantage de données et peut mieux évaluer ce qui se produit réellement, alors que l'enfant, pris dans un «brouillard informationnel» (fog of war), produit avec des données incomplètes une interprétation complètement fausse, mais à défaut de connaître mieux, lui semble d'abord vraie. Comme la perruche qui dort sous la couverture.


Mais bon, ce sont des exemples de nature triviale, non?


Pensons-y un instant. On vit quotidiennement dans un environnement qui nous appelle à prendre des décisions, à évaluer et à émettre des opinions sur des sujets pour lesquels on n'a pas toujours la possibilité, le temps, les expertises ou même la simple curiosité pour en obtenir toutes les informations pertinentes avant de procéder. On utilise des raccourcis, des préjugés, des bouées. Et ce qu'on appelle « le gros bon sens ». Par exemple, au Québec, en cet hiver rigoureux de 2015 (blâmons les libéraux...), la météo est plutôt froide, ça se ressent physiquement. Si on se fie au « gros b.s. » et aux opinions qui nous proviennent en droite ligne des radio-poubelles et des négationnistes en environnement (les «climato-sceptiques» à la solde de l'industrie pétrolière et les prêtes-noms des frères Koch), on pourrait se dire que le réchauffement planétaire est un mythe. Ce serait comme la perruche qui constate que la nuit est tombée, parce qu'elle ressent l'absence de lumière et que les autres oiseaux dans la cage pensent aussi la même chose. Or, avec du recul, de meilleures données - comme celles de la NASA - on constate que globalement le climat s'est réchauffé, mais que le Québec fait figure d'anomalie avec des températures plus froides qu'à l'habitude. Donc, la première impression, celle basée sur les sens et l'opinion du voisin, est fausse.


On pourrait poser la même réflexion sur le «débat» (bien que scientifiquement, il n'y a aucun débat) concernant les vaccins contre la rougeole. Une personne peut très bien affirmer, à partir de sa propre perspective, qu'elle n'a jamais été malade même si elle n'a jamais été vaccinée contre la rougeole. A première vue, c'est vrai, mais l'interprétation est faite à partir de données partielles. Dans la réalité, les pratiques de vaccination en Occident permettent d'obtenir ce qu'on appelle l'immunité grégaire: quand suffisamment de personnes dans une société sont vaccinés contre une maladie, celle-ci a de sérieuses difficultés à se répandre, à contaminer la population, au point que ce «bouclier» protège les gens qui n'ont pas été vaccinés (e.g. les bébés trop jeunes pour avoir reçu le traitement). Donc, c'est peut-être vrai qu'une personne peut être en santé sans vaccin contre la rougeole, mais c'est surtout parce que la majorité des gens autour de cette personne ont été vaccinés contre cette maladie. Il faut avoir à l'extérieur de la cage.


En bout de ligne, la leçon, c'est que nos sens nous trompent, tout comme nos premières impressions. Ce qui semble «vrai dans notre coeur», ce que Stephen Colbert appellerait du «truthiness», ce qui relève du «gros bon sens» peut paraître vrai si on se base seulement sur données partielles, mais peut aussi s'avérer complètement faux lorsque ces informations sont complètes. D'où l'importance, dans notre environnement social de prendre du recul, s'informer auprès de sources fiables (et pas seulement auprès des autres «perruches» qui confirment notre opinion déjà établi...), se questionner, plutôt que de réagir de manière instantanée à la question du jour des médias de masse. Si nos préjugés nous réconfortent, nous rassurent, il reste qu'une cage dorée reste tout de même une cage.


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Images:


1. perruches (domaine public):
http://fr.wikipedia.org/wiki/Perruche#mediaviewer/File:Melopsittacus_undulatus_Revivim_4.jpg

2. carte climatique (image fournie par la NASA):
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/environnement/201502/16/01-4844762-un-hiver-exceptionnellement-chaud-sauf-au-quebec.php