Sunday, January 30, 2011

« Taxi ! »

En août 2010, l’Institut économique de Montréal (IEDM) recommandait la déréglementation du secteur des taxis afin de réduire le coûts d’entrée aux chauffeurs dans ce marché, le tout résultant d’une augmentation de l’offre qui, à demande égale, ferait diminuer le prix pour le consommateur. Pour reprendre le sophisme de la vitre cassée de l’économiste Frédéric Bastiat, ce qu’on voit, c’est une augmentation du surplus du consommateur conséquente à l’augmentation de l’offre. Ce qu’on ne voit pas, c’est que la réalité d’adhère pas strictement à la loi de l’offre et de la demande, et que plusieurs autres paramètres doivent être pris en considération, car l’augmentation du nombre de voitures de taxis n’affecterait pas uniquement les chauffeurs (l’offre) et les clients (la demande): il y a des externalités négatives, c’est-à-dire des conséquences néfastes qui affectent d’autres personnes qui, elles, ne participent pas à la transaction.


1. Une hausse de l’achalandage sur les routes

L’augmentation de l’offre dans le secteur des taxis signifie physiquement une augmentation du nombre de voitures sur les routes de Montréal. En ville, l’espace routier (à l'heure de pointe) se comporte comme une ressource commune (rivalité d'usage, sans exclusion d'usage), c’est-à-dire que l’ajout de chaque nouvelle voiture réduit l’espace disponible pour tous les autres automobilistes déjà là, ce qui diminue la qualité de vie de ceux-ci., ainsi que pour les piétons et les cyclistes; encombré, le service de taxi  devient aussi moins efficace. La qualité de vie n’est peut-être pas une variable facile à comptabiliser monétairement, mais sur le plan économique, celle-ci représente tout de même un coup de renonciation pour l’ensemble des usagers des réseau routier de Montréal. Veut-on plus d’embouteillages?


De plus, les conséquences d’une déréglementation du secteur des taxis serait une compétition accrue entre chauffeurs, ce qui peut amener à une conduite davantage «sportive» de la part de ceux-ci, augmentant les risques d’accidents, ce qui affecte les cyclistes et les piétons autant que les automobilisites. L’intensification de la concurrence amenera une paupérisation des chauffeurs de taxi, qui devront faire une plus grande quantité d’heures pour le même revenu, ce qui résulte d’une moins grande période de repos, augmentant alors les risques liés au sommeil au volant. L’élimination des coûts d’entrée dans le secteur du taxi contribuera aussi à de l’antisélection, laissant à n’importe qui la possibilité de devenir chauffeur de taxi, plutôt que de limiter ce domaine à des entrepreneurs sérieux qui cherchent à hausser les standards de leur marché.


Ajouté à ceci est l’usure plus fréquente des routes, dont la facture sera refilée, évidemment, aux contribuables, ce qui diminue alors l’attrait qu’ont une réduction des tarifs de taxis, parce que ce qu’on économise à un endroit, on nous le subtilise ailleurs.


Bref, c’est du pareil au même, avec la qualité de vie en moins 
et un risque d’accidents en prime.


2. La pollution

Le smog ignore le principe «utilisateur-payeur»
Évidemment, les voitures supplémentaires qui sillonneront les routes de Montréal après la dérèglementation du secteur des taxis nécessiteront davantage d’essence; donc, le prix à la pompe augmentera pour tous suite à une hausse de la demande. Lié à cette consommation d’essence accrue sera une augmentation des émissions de gaz à effets de serre et autres pollution, et découlant de ces émissions il y a le smog. Veut-on vivre à Moscou? Le coût accru de l’essence est facile à comptabiliser, mais celui de la pollution, difficile à cerner, impliquer néanmoins une augmentation des coûts de santé liés aux problèmes respiratoires comme l’asthme et certains problèmes chez les enfants et les personnes âgées.


Solutions?

Si le nombre de permis ne semble pas avoir augmenter significativement depuis 1952, c’est peut-être que le marché du tax est une composante plus petite d’un marché de transport pour les particuliers, et que la demande dans ce marché a bénéficié d’alternatives que sont les autobus, le métro et, récemment, le Bixi. À bien y penser, on compte 13 087 taxis dans la ville de New York  comparativement aux 10 738 permis de chauffeurs de taxi encore valides à Montréal. A-t-on besoin plus de taxis qu’à New York, ou doit-on constater que le marché à Montréal est déjà presque saturé?

Au lieu de simplement s’en tenir à la loi de l’offre et de la demande, un principe lezardé d’imperfections, on devrait explorer d’autres pistes en cherchant une ou des stratégies de diversifications:


Un service de livraison
 
Par exemple, les commerçants ont diminué leurs coûts de distribution de circulaires grâce au système Publi-Sac, qui ne demande qu’une seule livraison. Alors, de petits restaurateurs pourraient-ils s’unir et fournir aux clients un service de livraison en commun, un service trop coûteux pour une seule firme, mais abordable quand les coûts sont partagés à plusieurs? Ce genre de service pourrait fournir de l’emploi à des chauffeurs de taxi.


Un complément au transport en commun

Ailleurs, comme à Victoriaville, on a créé un système d’abonnement «taxi-bus», ce qui permet aux clients de payer moins cher (moyennant certaines restrictions au niveau des destinations et heures de départ) et aux chauffeurs d’obtenir de revenus moins élevé, mais fixes (en combinant revenus fixes des abonnements et courses traditionnelles, le chauffeur pourrait diversifier son «portfolio de clients»).


Miser sur la valeur ajoutée

En été, lors de la canicule, le réseau de la STM n'offre pas l'air climatisé dans ses autobus et le réseau de métro: la dépense pour mettre en place un tel système et le faire fonctionner serait trop coûteux, ce qui ferait augmenter le prix des passes mensuelles et des billets individuels dramatiquement, le tout pour simplement réduire l'inconfort pendant quelques semaines par année. Offrir l'air climatisé ne devrait pas être envisagé par la STM. Par contre, les taxis devraient profiter de la canicule pour mettre en évidence qu'ils offrent le service de véhicules climatisés par le biais de publicités pertinentes.


La dérèglementation comme incitatif pour l'achat de voitures électriques

Finalement, on pourrait réglementer différemment les voitures électriques dans l'industrie du taxi  en les exemptant des coûts d'entrées dans le marché, le tout afin que de créer des incitatifs pour l'achat de celles-ci et de compenser les baisses de performances (perçues) de celles-ci. Un rabais significatif pourrait aussi être accordé pour les voitures hybrides. Les voitures conventionnelles, à essence, tant qu'à elles,  conserverait le même coût substantiel pour l'achat d'un permis, de façon à encourager le déclin et la disparition éventuelle de ces véhicules sur les routes de Montréal. Ainsi on pourrait avoir une solution à mi-chemin entre le virage vert et le néolibéralisme.


Bref, tout, sauf se maintenir obstinément dans le même paradigme de la loi de l’offre et de la demande, sans regarder ailleurs pour des solutions alternatives.

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Texte originalement paru chez Génération d'idées (GEDI), le 26 août 2010.


Images (domaine public):

Taxi:  http://en.wikipedia.org/wiki/File:NYC_taxis.JPG
Embouteillage:  http://en.wikipedia.org/wiki/File:New_York_City_Gridlock.jpg
Smog:  http://en.wikipedia.org/wiki/File:SmogNY.jpg
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