Sunday, January 30, 2011

Impasse

Depuis plusieurs décennies, les confrontations entre les fédéralistes et les souverainistes font en sorte que le Québec fait du sur place en matière constitutionnelle et cette (relative) instabilité politique a des répercussions sur son économie (sans toutefois être le bouc-émissaire auquel on attribue la totalité des problèmes de croissance).

Mettant de côté, momentanément, mes convictions souverainistes pour passer en mode realpolitik, je peux constater que la politique québécoise a certains éléments communs avec le dilemme du prisonnier [1], un cas classique dans la théorie des jeux (game theory) [2]: parce que les fédéralistes et les indépendantistes cherchent chacuns à gagner sur l’autre camp, vu que la question nationale est un jeu à somme nulle où la victoire de l’un entraîne automatiquement la défaite de l’autre (particulièrement lors d’un referendum), on aboutit inévitablement à une troisième possibilité, la stagnation, qui déplaît à tous et ne fait que «pelleter en avant» les problèmes politiques (un peu comme les deux prisonniers, en ne ne coopérant pas, arrivent à une situation mutuellement nuisible).

LE DÉCLIN DU MOUVEMENT SOUVERAINISTE?

Certains «lucides» ont avancer l’idée que l’indépendance du Québec est impossible, malgré le résultat serré du referendum de 1995, et qu’on devrait réalistiquement abandonner un projet «infaisable». On avance aussi que le mouvement souverainiste est en déclin, bien qu’on a vu émerger un second parti souverainiste à l’Assemblée nationale, Québec Solidaire, et son mono-député, Amir Khadir. De plus il faudrait dissocier l’impopularité évidente de la chef du Parti Québécois, Pauline Marois, de celle du mouvement souverainiste: les deux regroupements politiques ne sont pas des synonymes, bien qu’ils se recroisent assez souvent. Le Bloc Québécois est toujours en place à Chambre des communes, et le «vent de conservatisme» au Québec, tant prophétisé, s’essoufle dès qu’on s’éloigne de la région de la Vieille Capitale et de sa radio-poubelle, et que Michael Ignatieff est loin de susciter une version canadienne de l’«Obama-mania». De toute évidence, la proposition de la nouvelle droite québécoise de faire l’autruche face à la question nationale est un échec prévisible, vu que les souverainistes sont là pour restés, même si la victoire espérée par ceux-ci, elle, est loin d’être assurée.

LA TYRANNIE DES MOUS?

Sans faire d’études exhaustives sur la question, si on se base sur la guerre d’indépendance des États-Unis [3] pour faire un rapide portrait de la situation, il existe peut-être un tiers des Québécois qui sont dédiés à la souveraineté, un autre tiers étant activement partisans du fédéralisme, et la balance restante qui prend une attitude attentiste, indécise, inintéressée ou opportuniste. Peu importe les chiffres que des sociologues ou des statisticiens peuvent sortir, les proportions de chaque camp peuvent varier, mais il reste que la décision finale revient, inévitablement, aux indécis, qui choisisssent d’esquiver la question, comme le montre le résultat référendaire de 1995. D’où l’inertie actuelle du Québec sur le plan politique.

DES SOLUTIONS?

Pour les souverainistes, la capacité de convaincre les indécis du bien-fondé de leur cause passe d’abord par le développement d’un projet plus étoffé que le chèque en blanc qu’on demande à la population de signer en cochant oui. Il faut que les politiciens indépendantistes se prononcent clairement sur plusieurs dossiers, notamment les structures gouvernementales qui seront mises en place (république présidentielle? monarchie constitutionnelle?), et c’est déplorable qu’en quinze ans tout ce qu’on entend, c’est de la langue de bois. Il resterait au gouvernement fédéral et aux fédéralistes d’ici à cumuler les gaffes, mais même si Jean Charest fait un bon travail dans ce domaine, c’est très passif comme approche, et il faudrait que les souverainistes aient un peu plus d’initiative et de clarté.

Pour les fédéralistes, la façon de promouvoir la cause du Canada passe par un devancement des revendications souverainistes: lors des deux derniers referendums, on parlait de «fédéralisme renouvelé», de «fédéralisme asymétrique», mais une fois la crise passée et la population rassurée, rien n’a été accompli. Certes, le gouvernement Harper a fini par reconnaître la nation québécoise (même si une nation existe par elle-même et qu’elle n’a pas besoin d’être définie en tant que telle par une autre), mais le cadeau était vide, dénué de droits supplémentaires permettant à l’entité reconnue de rayonner culturellement. Si les partisans du non veulent gagner, ils devront apprendre à prendre l’initiative, à proposer du changement, à offrir une vision, plutôt que de continuellement réagir face à la menace souverainiste, et en n’offrant que le statu quo ou un projet bidon «autonomiste». Cette initiative doit être honnête: la tentative (peu subtile) de la part des conservateurs, adéquistes et «lucides» de vouloir changer le débat souverainiste-fédéraliste par un réalignement gauche-droite (un «copier-coller» du dérapage du Tea Party américain promu par le mouvement «astroturf» du RLQ) ne fait que changer le mal de place, et n’apporte rien de constructif au Québec, vu qu’on se retrouve dans la même situation où le débat, excessivement polarisé, donne toute la place aux mous, qui eux optent perpétuellement pour l’esquive. Par contre, une initiative fédéraliste proposant un renouvellement des institutions politiques canadiennes, notamment par l’abolition de la monarchie britannique, trouverait écho chez mêmes d’éternels péquistes. Il y a chez les fédéralistes un potentiel inexploité de développement de projets rassembleurs, auxquels peuvent participer les souverainistes sans abdiquer leurs convictions profondes. Peut-être qu’il faut blâmer la faible qualité du leadership qu’on retrouve dans ce camp.

CONCLUSION

Et en bout de ligne que veulent les indépendantistes?

La souveraineté du Québec, tout en gardant une appartenance à l’espace économique canadien.

Que veulent les fédéralistes québécois?

 Pour reprendre le paradoxe lancé par Yvon Deschamps, un Québec fort dans un Canada uni.

En fin de compte, refaire le Québec et le Canada selon le modèle de l’Union européene [4] ne semble pas être une mauvaise idée, vu qu’elle concilie deux visions opposées qui ont pourtant deux points en commun: développer le potentiel du Québec et appartenir à l’espace économique du Canada.
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[3] Révolution américaine
[4] Union des nations boréales d’Amérique