Wednesday, December 19, 2012

« IDLE », QUOI?



« IDLE », QUOI?


Le pot avant les fleurs.


Depuis un mois, on connaît au Québec un vent de contestation chez les Autochtones qui se regroupe sous la bannière « Idle No More », slogan anglophone lancé par quatre femmes de la Saskatchewan dont le sens peut être difficile à saisir pour des francophones unilingues, très nombreux dans la Belle Province, qui confondent parfois «idle» et «idol», ce qui peut laisser certains croire que les Amérindiens en ont contre Ben Mulroney et son concours de chant télévisé... Idle No More fait son chemin dans les médias, certes, mais un slogan en français, pour un public majoritairement francophone, serait de rigueur pour le Québec : après tout, comme on le dit en marketing, il n'existe qu'un seul produit par pays, et les idées, comme les marchandises, font l'objet d'offre, de demande et de concurrence.  Rien ne sert à faire une campagne de promotion générique, mur à mur tout en anglais, selon le principe du «One Best Way of Doing Things» en se disant que la langue anglaise est internationale et que ce sont aux autres à s'adapter. La publicité doit s'adapter au public qu'on souhaite rejoindre, et non l'inverse. Des gens comme Jacques Bouchard l'ont compris. Communiquer avec une personne dans sa langue maternelle permet de lui faire ressentir une charge émotive beaucoup plus forte, un degré plus grand de confiance, que si on lui parle dans une langue seconde. D'une perspective plus gauchiste, on peut aussi dire que la première étape d'une lutte contre le colonialisme, c'est d'abord d'arrêter de se comporter en colonisés en parlant anglais entre francophones pour se sentir approuvés par les anglophones.


Évidemment, certains diront : « Et pour les langues autochtones ? ». Oui, sur le plan logistique, si on se met à traduire le slogan dans toutes ces langues, il y a 11 au Québec et davantage dans le reste de l'Amérique du nord, on dilue les efforts pour cibler des segments de population très pointus que sont, par exemple, les quelques locuteurs des langues huron-wendat, abénakis ou malécites, qui collectivement sont ensembles vraisemblablement moins nombreux que les gens qui parlent le klingon ou le sindarin (des langues pourtant imaginaires). Les langues autochtones du Québec constitue de petites fractions du 1% de la population amérindienne, inuit et métis de cette province. De manière optimale, un slogan en innu pourrait rejoindre 0.3% de la population québécoise, tous des gens déjà largement convaincus de la cause et sensibilisés aux enjeux en question, ce qui revient à prêcher à sa propre paroisse plutôt que de chercher à convaincre les gens à se rallier massivement à un mouvement, ce qui est l'objectif initial de Idle No More. Or, la masse de gens au Québec qu'il faut informer, convaincre et rallier, elle, parle françaisLe mouvement Idle No More devra, comme une chenille, se faire un cocon et se transformer s'il veut présenter une image plus plaisante, compréhensible et pertinente au Québec.


Est-ce que franciser le mouvement au dépens d'une langue autochtone (ou de l'anglais) constitue un geste de colonisé vu le passé colonial français en Amérique du nord? Bien non. Comme je le disais précédemment, être colonisé, ce serait par exemple, deux francophones qui s'adressent entre eux en anglais pour faire plus «big» en se comportant comme des Elvis Gratton. Par contre, si je parle en allemand à un germanophone qui maîtrise difficilement le français, c'est un principe de courtoisie qui sert à faciliter la communication. Et de toute évidence, il y a beaucoup plus d'Innus qui parlent en français que de Québécois de souche qui parlent en innu: les Amérindiens sont donc, dans ce cas, linguistiquement mieux outillés. Le frère aîné doit aider le frère cadet, comme l'Autochtone doit aider le Québécois linguistiquement mal outillé. L'idée globale, c'est de se faire comprendre, d'un peuple à un autre, du mieux qu'on peut entre nous, plutôt de se tourner vers une troisième langue et «McDonaliser» un mouvement social, sous prétexte que l'anglais est la langue internationale et ainsi de devenir culturellement tous les deux perdants.


La francisation isolerait-elle les manifestants du Québec du reste de ce mouvement qui a maintenant une portée mondiale? Est-ce que la traduction d'Occupy Montreal  par Occupons Montréal a été nuisible? Aucunement. Les deux slogans ont pu circuler librement, le premier dans la minorité anglophone, le second dans la vaste majorité francophone du Québec. Après avoir été une extension un peu incomprise du mouvement Occupy Wall Street, Occupons Montréal a permis en se francisant une réappropriation. En un an, le Québec est passé du rang de «suiveux» à celui de meneur, Occupons Montréal servant de tremplin pour le Printemps érable et ses Carrés rouges, et les indignés québécois de modèles pour ceux du Canada et du reste l'Amérique du nord. 


Un second slogan, en français, n'enlèverait rien au mouvement tout en permettant des gains auprès de la population québécois. Un slogan qui n'est pas du «traduit-du» comme le dirait Gaston Miron (c'est-à-dire des mots qui pour la forme semblent être du français mais dont la syntaxe et l'essence sont purement anglophones), mais pensé et écrit en français. Il ne suffit pas de convertir « Idle No More » par « L'apathie, c'est fini », mais de trouver une formule authentiquement française, culturement québécois et émotionnellement chargée de sens. « Désormais, debouts ! » serait un exemple, mais je suis certain qu'un bon remue-méninges par des gens créatifs permettrait de trouver mieux. 


C'est important de se rappeler à qui on s'adresse. Est-ce qu'on parle à ces anglophones du Rest of Canada, en se croyant grands parce qu'on devient une lointaine extension de leur mouvement à eux plutôt que bâtir le nôtre au Québec? Est-ce qu'on fait des soliloques dans nos médias sociaux pour s'impressionner soi-même, avec notre poignée d'amis et contacts qui agissent comme des miroirs agrandissants en répétant le même message, tout en ignorant qu'en dehors de cette bulle, ce message n'est pas entendu et encore moins compris par l'ensemble des Québécois? Est-ce qu'on fait ça pour nos deux minutes de gloire dans les médias (comme ma brève parution comme photographe pour le Huffington Post), l'orgueil un peu flatté, certes, mais la situation politique, elle, toujours inchangée par ce spectacle qu'on n'a fait que pour soi-même? Est-ce que les médias conventionnels se servent de la cause pour remplir le temps mort dû au lock-out de LNH? Et que fait-on maintenant que le hockey est revenu en ondes? Doit-on laisser de côté le débat indépendantiste québécois, le droit à l'auto-détermination des nations, autochtones autant que québécoises, pour se fondre  en oubliant sa culture dans une masse anglophone mondialisante, s'oublier soi-même sous prétexte «que maintenant n'est pas le bon moment» de se diviser pour des raisons politiques, alors qu'un mouvement populaire est par principe politique, citoyen et affectif, nécessitant un engagement qui va au-delà du simple realpolitik cérébral et du jeu d'alliances guidé par les opportunités, les menaces et les circonstances. 


Etre indépendantiste, vouloir protéger la culture québécoise pour les mêmes raisons qu'on souhaite défendre les cultures autochtones (le droit à la différence), ce n'est pas une conviction qu'on met de côté parce que «maintenant n'est pas le bon moment». Une conviction n'est pas un passe-temps. Ce n'est pas quelque chose qu'on met de côté pour participer à un grand projet pancanadien (indice: les souverainistes québécois ne veulent pas, par définition, participer à un grand projet pancanadien). Les appuis des gens de Fort McMurray me font le même effet que ceux provenant de la Nouvelle-Zélande: ils proviennent, à mes yeux, tout simplement d'un autre pays, qui n'est pas le mien. C'est bien de participer à un mouvement mondial, mais pourquoi le faire comme figurants muets et laisser une autre langue s'exprimer à la place de celle qui est commune au Québec?



Je peux être indigné.

Je peux être désormais debout,
franchement fâché,
manifestement mécontent,
solidaire avec les Autochtones en colère,
partisan d'un Printemps amérindien,
mais ne demandez-moi pas d'être Idle No More


Les grandes chansons : Miss Maggie de Renaud


Avec la récente fusillade (qui fait suite à une trentaine avant celle-ci), cette chanson de Renaud remet en perspective cette mentalité plutôt débile de l'extrême-droite à pousser les humains à se détruire entre eux. Si c'est vrai que ce sont les gens et non les fusils qui causent les morts, ne faut-il pas rappeler cependant qu'une arme automatique avec laquelle il ne suffit de tirer la gachette pour tuer de manière détachée et instantanée facilite énormément le crime. Si je peux comprendre le besoin du chasseur d'avoir un fusil de chasse, surtout dans le nord où le coût des aliments est excessif, je trouve par contre absurde que les armes automatiques puissent être vendues légalement à des civiles: qu'ont les canards et le gibier pour se défendrent, des grenades et des M-16?







Femmes du monde ou bien putains
qui, bien souvent, êtes les mêmes
Femmes normales, stars ou boudins
femelles en tout genre, je vous aime
Même à la demière des connes
je veux dédier ces quelques vers
issus de mon dégoût des hommes
et de leur morale guerrière

Car aucune femme sur la planète
n's'ra jamais plus con que son frère
ni plus fière ni plus malhonnête
à part, peut-être, Madame Thatcher

Femme je t'aime parce que
 lorsque le sport devient la guerre
y'a pas de gonzesses, ou si peu
dans les hordes des supporters
Ces fanatiques fous furieux
abreuvés de haine et de bière
déifiant les crétins en bleu
insultant les salauds en vert

Y'a pas de gonzesse hooligan
imbécile et meurtrière
Y'en a pas, même en Grande-Bretagne
à part, bien sûr, Madame Thatcher

Femme je t'aime parce que
une bagnole entre les pognes
tu n'deviens pas aussi con qu'eux
ces pauvres tarés qui se cognent
Pour un phare un peu amoché
ou pour un doigt tendu bien haut
Y'en a qui vont jusqu'à flinguer
pour sauver leur autoradio

Le bras d'honneur de ces cons-là
aucune femme n'est assez vulgaire
pour l'employer à tour de bras
à part, peut-être, Madame Thatcher

Femme je t'aime parce que
tu vas pas mourir à la guerre
parc' que la vue d'une arme à feu
fait pas frissonner tes ovaires
Parc' que dans les rangs des chasseurs
qui dégomment la tourterelle
et occasionnellement les beurs
j'ai jamais vu une femelle

Pas une femme n'est assez minable
pour astiquer un revolver
et se sentir invulnérable
à part, bien sûr, Madame Thatcher

C'est pas d'un cerveau féminin
qu'est sortie la bombe atomique
et pas une femme n'a sur les mains
le sang des indiens d'Amérique
Palestiniens et Arméniens
témoignent du fond de leurs tombeaux
qu'un génocide c'est masculin
comme un SS, un torero

Dans cette putain d'humanité
les assassins sont tous des frères
pas une femme pour rivaliser
à part, peut-être, Madame Thatcher

Femme je t'aime, surtout, enfin
pour ta faiblesse et pour tes yeux
quand la force de l'homme ne tient
que dans son flingue ou dans sa queue

Et quand viendra l'heure dernière
l'enfer s'ra peuplé de crétins
jouant au foot ou à la guerre
à celui qui pisse le plus loin
Moi je me changerai en chien
si je peux rester sur la terre
et comme réverbère quotidien
je m'offrirai Madame Thatcher

Tuesday, September 18, 2012

Pourquoi ça va mal au Moyen Orient ?





L'Océanie est en guerre contre l'Estasie. L'Océanie a toujours été en guerre contre l'Estasie.

- George Orwell, 1984



Les islamistes sont fâchés à cause d'un film...

On radote de ce temps-ci beaucoup d'âneries au sujet du Moyen Orient et des musulmans, question de faire peur au public, comme si on pouvait attribuer la responsabilité des actes terroristes de la part de factions radicales armées et de gouvernements voyous à l'ensemble d'une communauté qui compte 1 milliard de pratiquants, qui ne sont même pas majoritairement arabes. Certains médias et commentateurs médiocres aiment verser dans la thèse du choc des civilisations pour attirer l'attention et faire réagir le public plutôt que de faire réfléchir celui-ci aux enjeux réels de la politique internationale. Peut-être qu'ils le font pour manufacturer davantage de consentement pour une intervention militaire en Syrie ou en Iran... bien que le sort de la démocratie en Libye et en Iraq ne s'est pas amélioré suite à une invasion occidentale, attaque qu'on a déguisé en supposée libération auprès d'un public dupe. On fait l'autruche face aux bombardements quotidiens que subissent les peuples des pays du Moyen Orient, la tête bien dans le sable, question de forer pour pétrole bon marché. Pourtant le prix à la pompe ne semble jamais baisser, bien au contraire! Un gars de droite blâmera les taxes du gouvernement... évidemment. Des décennies d'attaques de la part de l'Occident ont créé dans le Levant une culture de colère dans laquelle des comportements normalement inadmissibles, comme le meurtre, deviennent acceptables s'ils sont commis envers l'autre. D'autre part, notre cinéma occidental, après avoir diabolisé les communistes durant la guerre froide, s'est trouvé une autre tête de turc après la chute de l'Union soviétique en présentant comme nouveaux antagonistes des terroristes musulmans, des êtres unidimensionnels dont le seul intérêt est de faire exploser des gens, y compris eux-mêmes, par mépris du succès de l'Amérique et par fanatisme pour une religion médiévale. On a déjà fait le même coup aux Amérindiens, en les présentant comme de simples sauvages dans les films western, bien que la sauvagerie provenait des colonisateurs.

Des deux côtés du conflit, on a procédé à une déshumanisation de l'adversaire. Les attaques de l'Occident ont été suivies d'attentats terroristes, auxquels les pays occidentaux ont riposter par la force, perpétuant un cycle de violence, de peur, de haine et de vengeance, tout en alimentant le lucratif marché de l'armement. La récente crise concernant le film L'innocence des musulmans n'est qu'un symptôme apparent de ce cycle de violence, plutôt qu'une réaction violente qui semble sortir de nulle part. Comme des hyènes, les commentateurs de la droite ont surgit sur l'occasion pour faire du capital politique pour leur cause et de l'auto-promotion auprès du troupeau de jambons qui les suivent. On réduit un cliché un milliards de personnes pour des actions commises par une minorité. A ce compte-là, aussi bien accuser le Vatican d'avoir téléguidé les attentats dans un cinéma en 1988 lorsque La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese a fait des mécontents chez les intégristes chrétiens.

Je pense que s'il faut avoir une quelconque réflexion valable concernant les enjeux politiques au Moyen Orient, il faut absolument évacuer une logique simpliste de simple cause-effet et avoir une approche davantage systémique. Quotidiennement, les gens peuvent être mécontents d'une décision politique, d'un film ou d'une caricature, mais d'habitude ils ne prennent pas les armes pour exprimer cette colère. Quoique l'attentat de Bain et le récent déluge de discours haineux de la part de la communauté anglophone du Québec envers les francophone me laissent inquiet. Il faut creuser davantage pour comprendre, mais jamais pour justifier, comment une personne qui se considère normale peut cultiver une hargne au point où elle peut accepter de commettre des atrocités, ou consentir à ce que celles-ci soient faites envers l'autre. Et ce, autant du côté du Taliban, qui participe directement aux combats, que de celui du pantouflard occidental qui appuie la violence de son propre gouvernement envers les populations musulmanes.


La mythomanie d'un patriotisme occidental


Les Francs, les Wisigoths, Roland et Charles Martel


Certains feront remonter l'antagonisme entre le monde occidental et le Moyen Orient à une quelconque obscure période médiévale, au cours de laquelle les Musulmans, entrant en Espagne, balayèrent le royaume chrétien des Wisigoths de la carte et auraient réservé le même sort à la France, si ça n'avait été de la riposte de Charles Martel. On tend, dans ces mythes fondateurs, à exagérer les différences entre le bloc dit chrétien avec celui des Musulmans et à fitrer les différences, nuances, qui existent à l'intérieur de chacun de ces ensembles pour donner une image d'homogénéité à ceux-ci. Or, ce n'est pas si simple que ça. Le pays de Charles Martel n'est pas la France, c'est un royaume où se mêlent diverses ethnies: une partie de la population, installée depuis des siècles, constitue un regroupement gallo-romain catholique (du moins pour les élites, surtout urbaines, alors que l'arrière-pays reste profondément influencé par les anciennes religions), lui-même tributaire d'antiques invasions et de brassages démographiques; un autre groupe, les Francs, se sont implantés tardivement lors des invasions germaniques et sont (nominalement) catholiques, surtout pour des raisons politiques. A ceci se rajoutent d'autres peuples, comme les Burgondes et les Wisigoths (qui s'était initialement installés dans la région de Toulouse avant d'être chassés en Espagne). La France de Charles Martel n'est pas un État-Nation, son territoire actuel étant divisé à l'époque en potentats et royaumes nationaux divers. La religion catholique semble toutefois jouer un rôle rassembleur, ne serait-ce parce que les chroniqueurs de l'époque étaient essentiellement en majorité des clercs de l'Église catholique, pouvant présenter un point de vue intéressé. Parler d'un bloc chrétien, ce serait tout de même sous-estimer les querelles entre les chrétiens qui le compose, surtout celles entre les Catholiques et les Ariens, (l'arianisme est une version du christianisme pratiquée par les Wisigoths et les Ostrogoths). L'Europe, à l'époque de Charles Martel, est un espace vaguement chrétien, sans réelle cohésion politique significative ou de sentiment d'identité unificateur. Le royaume des Francs en est un pour l'élite ethnique de ce territoire, mais cette appartenance est beaucoup moins importante pour la vaste majorité gallo-romaine dont la culture a des racines beaucoup plus profondes.



Du côté des musulmans, ou devrait-on dire des Omeyyades, la motivation première, la conquête et la razzia, éclipse celle de la guerre sainte. Alors que les chrétiens du royaume wisigoths convertissaient de force les juifs, les nouveaux occupants permettront une certaines liberté de religion contre un impôt particulier (dhimmi). Ceci est loin d'un traitement de faveur, mais tout de même une nette amélioration par rapport aux standards de l'époque. Les chrétiens d'Espagne qui subirent la conquête musulmane, les Mozarabes, eurent eux aussi le droit de continuer à pratiquer leur religion en tant que dhimmis, mais en plus certains ont christianisé la langue arabe avec le rite mozarabe. Comme les musulmans et les chrétiens croient en un seul même dieu (Allah en arabe, God en anglais, Dieu en français, Dei en latin), acceptent Jésus Christ (bien catholiques, ariens et musulmans aient des interprétation différentes) et s'appuient sur l'héritage judaïque d'Abraham, l'Islam pouvait paraître comme une simple variante du christianisme. Le carême et le ramadan ont des similitudes. Les conquis, qu'ils soient juifs ou chrétiens, wisigoths, suèves ou hispano-romains, ne formaient pas un bloc homogène; les conquérants, composés d'Arabes et de Berbères, non plus. Dans une certaine mesure, les invasions musulmanes en France au 8e siècle s'inscrivent en continuité avec les invasions diverses des siècles précédents, qu'elles soient germaniques, hunniques, hongroises, et de celles des siècles suivants lors des raids des Vikings. Pour des gallo-romains du Ve siècle au IXe siècle, il y a peu de différences réelles entre les invasions de tous ces peuples qui amènent avec une langue et une culture qu'ils imposent en tant que nouvelle élite: les coups d'épée du Sarrasin sont aussi douloureux que ceux de la hache du Viking, de la lance du Byzantin ou de la francisque de Clovis.

La seule différence qui pouvait réellement survenir lors d'une invasion musulmane, c'est celle au niveau des institutions religieuses et du pouvoir de l'Église catholique. Alors que les Francs et les Vikings arrivent successivement en France en tant que païens, avec des institutions peu sophistiquées faisant d'eux des cibles faciles à la conversion au catholicisme, les Wisigoths, les Ostrogoths et les musulmans, eux, ont déjà des institutions et une liturgie plus développés et sont donc plus résistants à l'emprise de l'Église catholique. Dans le cas de l'arianisme pratiqué chez la caste dirigeante formée par les Wisigoths et les Ostrogoths, cette différence religieuse, cette hérésie, ne fait que restreindre l'accès du clergé à l'élite, bien que l'Église reste influente auprès de la population gallo-romaine; par contre, l'Islam, qui partage avec le catholicisme la volonté de devenir une religion universelle (contrairement au judaïsme, qui se contente d'être la religion d'un seul peuple), s'ouvre à tous les groupes ethniques, à toutes les couches sociales de la société, possèdent ses propres prêtres et possèdent un add-on de la Bible qu'est le Coran. Comme j'ai déjà auparavant, l'Islam et le christianisme ont de nombreux points en commun, notamment que le personnage de Jésus s'y trouve et qu'il s'agit de la même divinité qu'on prie, bien que pour défendre les intérêts de l'Église catholique, on a occulté ces deux points et a encouragé le développement d'une propagande qui simplement diabolisait le musulman en tant que autre. Si bien que dans la Chanson de Roland, on voit le raid des Basques, pourtant bien chrétiens, être attribué à des musulmans, qui en plus vénèrent... Jupiter. Durant le Haut Moyen-Age, l'Église aura efficacement multiplié un ensemble de faussetés afin de créer un épouvantail musulman, si bien qu'aujourd'hui, bien des gens n'arrivent même pas à comprendre que Allah, c'est exactement le même personnage que Dieu, alors que cette confusion n'existe pas quand les Américains parlent de God, et très peu savent que Jésus apparaît aussi dans le Coran. 



(texte à compléter)

Friday, September 14, 2012

Créer de la richesse au Québec ?




LA CRÉATION DE RICHESSE


Développement durable
L’expression est devenue quasiment un slogan de cette droite, néolibérale, qui se dit lucide, question d’attaquer ad hominem leurs détracteurs gauchistes qui comptent parmi eux ceux qui souhaitent préserver le modèle social-démocratique (tout en l’améliorant avec des réformes qui le rend plus efficace). Plutôt que d’être rejetée, cette expression devrait être réapproprié par la gauche et retrouver son sens véritable. À l’intérieur des activités de marché, la richesse d’un pays s’exprime en PIB, qui n’est pas une preuve absolue, mais tout de même un indice. S’il a le défaut de ne pas prendre en considération les activités hors-marché qui se déroulent aussi dans une économie (e.g.: une personne qui cultive un potager pour ses propres besoins ne contribue pas aux activités de marché), le PIB fournit tout de même d’importantes informations. Un PIB en croissance est l’indice d’une économie en santé. Donc, dans un marché, créer de la richesse, c’est augmenter le PIB. C’est simplement logique de reconnaître que plus on a des revenus, plus on a de possibilités à faire des dépenses dans des domaines profitables pour tous : santé, culture, éducation. Inversement, moins on a de revenus, à cause d’une faible productivité, d’une dette ou d’un déficit, moins on a de possibilités. Évidemment, il faut tout de même faire attention quand on compare des éléments macroéconomiques avec ceux qui sont microéconomiques : le Québec n’est pas une entreprise, ni un ménage, et bien pauvre est le programme économique d’un candidat disant qu’il souhaite gérer le Québec en bon père de famille…


Le PIB a aussi un défaut inhérent au capitalisme financier: il ne tient compte que de flux monétaires et n'intègre par les coûts environnementaux liés aux activités de production, comme la pollution et la déforestation, ni l'impact sur le tissu social, comme c'est le cas avec la vente de l'alcool qui génère d'importants revenus, certes, mais aussi l'alcoolisme. Une réelle création de richesse devrait donc nécessairement inclure de mesures pour minimiser les impacts négatifs sur la société et l'environnement et ne pas se limiter seulement à faire croître le PIB. Certains parleront de PIB vert.


En tant qu'indice, et non preuve, de prospérité économique, le PIB par lui-même dit peu sur le niveau de vie d'une population. La Chine, avec ses milliards d'habitants, a un PIB plus grand que celui du Québec, mais n'offre pas forcément une meilleure qualité de vie. Un futé pourra alors parler de PIB par habitant, un ratio permettant de mieux comparer la richesse relative des gens d'un pays à l'autre. Jusqu'à un certain point, ça fonctionne. Toutefois, le PIB par habitant a le grand défaut de ne pas bien indiqué la répartition de la richesse dans une société donnée: si dans une plantation de 100 habitants, une seule personne possède 1 millions de dollars et le reste sont des esclaves sans le sou, la moyenne indiquera que $10000 par habitants; si dans le village voisin, 100 personnes sont libres et possèdent tous 9000$, il y aura toujours un économiste de droite pour ne voir que l'indice abstrait et dire qu'ils sont bien pauvres... L'exemple semble un peu extrême, mais tout de même, quand 1% de la population s'accapare actuellement 99% de la richesse, on peut se demander si nos chaînes ont tout simplement une autre forme. Certainement que la maison du maître de la plantation est à Sagard. Une réelle création de richesse doit nécessairement inclure une répartition de celle-ci qui soit juste et équitable, et non une simple dilapidation du bien commun qui ne fait que créer une poignée de riches. La création de richesse, quand elle se fait d'une manière responsable sur le plan social et environnemental, est un objectif souhaitable pour le Québec. Mais quand on procède de manière néolibérale, on vide l'expression de son sens.


Si pour certains, la création de la richesse passe avant la répartition de celle-ci, d'autres feront sourciller en affirmant le contraire: c'est d'abord en répartissant la richesse qu'on peut la créer. Ça semble contre-intuitif, car évidemment, si on est sans le sous, on ne s'enrichit pas en dépensant le peu qui nous reste. Mais l'État n'est pas un ménage, les principes microéconomiques ne s'appliquent pas forcément au niveau de l'économie de l'ensemble. On le sait, bon nombre de dépenses de l'État créent des retombées économiques et même la droite justifie, par exemple, le Plan Nord en fonction non pas du coût comptable du projet (jugé comme étant déficitaire), mais en fonction des emplois créés, des impôts payés, et des dépenses de consommation engendrées par ces travailleurs. Malgré mon désaccord avec le Plan Nord (qui ne mesure pas suffisamment les impacts sociaux et environnementaux, sans compter qu'il se fait au mépris des populations autochtones), il reste que la répartition de l'argent obtenus par l'impôt est un moyen pour le gouvernement du Québec d'investir et de faire fructifier cette somme, en encourageant le développement d'emplois qui généreront des impôts encore plus importants et qui permettront une plus grande consommation que l'État peut taxer. En investissant en éducation et en formation professionnelle pour augmenter la qualité de la main-d'oeuvre, le gouvernement crée de la richesse (Qualité de la main-d'oeuvre * Quantité de main-d'oeuvre = PIB).


UNE APPROCHE PAR LA BASE



Au Québec, un bon exemple de ce qui conjugue formation professionnelle, protection de l'environnement, développement économique et responsabilité sociale est celui du réseau CFER (Centre de Formation en Entreprise et Récupération) dont la mission peut être résumé à aider les élèves en difficulté académique (1er et 2e cycle du secondaire) tout en leur donnant une formation préparatoire au marché du travail, dans un contexte qui encourage l'élève à devenir un citoyen engagé sur le plan environnemental. Concrètement, il s'agit d'une formation en alternance entre l'enseignement théorique du programme régulier adapté pour élèves en difficulté (une forme de rattrapage de la formation initiale) et la participation à des projets écologiques comme «le démantèlement de la quincaillerie de ligne d'Hydro-Québec, le tri de la quincaillerie de Bell Canada et le reboisement urbain de la Ville de Victoriaville.» Même si le programme s'adresse aux jeunes en difficulté scolaire, l'élève qui y participe est appelé à développer ses compétences en français, en mathématiques, en anglais, en sciences, en géographie, en histoire, éducation physique autant que celui qui évolue dans le cheminement régulier; il ne s'agit d'un système éducatif de second ordre pour les cancres. On offre de la culture générale, ce qui est transférable, au lieu de se limiter à des compétences spécifiques. Le réseau CFER a pris certains éléments qui semblent inspirés de la formation duale allemande, notamment l'alternance entre les études en culture général à l'école et la préparation à l'emploi en milieu de travail, mais est aussi resté dans le sillon habituel qu'est celui du rattrapage en formation initiale. En bout de ligne, l'innovation en matière de formation professionnelle ne passe pas nécessairement par l'imitation d'une recette de manière intégrale, mais par le recours à l'approche de la contingence, de manière à ce qu'on adapte les établissements et la façon d'organiser aux besoins de la communauté.

 
J'ai résidé à Victoriaville, « berceau du développement durable », pendant plusieurs années. Je me suis familiarisé avec le réseau CFER simplement en passant devant l'établissement à tous les jours en me rendant à l'école. En fait, le premier CFER a été créé à Victoriaville en 1990 comme une initiative locale plutôt que d'un projet ministériel (une approche «bottom-up» et non «top-down»). En 1995, au moment où j'effectue mon entrée au Cégep, le premier élève certifié d'un CFER est reconnu par le ministère de l'éducation. L'année suivante, 12 succursales sont ouvertes et un réseau CFER est créé. Quelques temps plus tard, en 1998, lors mon premier stage en enseignement au secondaire à la Polyvalente Louis-Joseph-Papineau à Montréal, la direction était bien surprise que je sois familier avec leur «nouveau» programme de l'établissement. Pour ma part, je trouvais bien particulier que ce soit la succursale qui est à Montréal et le siège social dans la région des Bois-Francs plutôt que l'inverse. Depuis 2010, le réseau CFER compte 21 établissements en opération. Ce réseau possède des partenariats avec plusieurs grandes entreprises et sociétés d'État, comme Bell Canada, Hydro-Québec et Bureau en gros, qui souvent offrent des contrats de travail aux élèves formés par le réseau. Mais ce qui distingue les relations du CFER de celles qu'ont les autres milieux éducatifs avec les entreprises, c'est que les activités conjointes servent à atteindre des objectifs liés à la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE), comme la récupération de composantes chez Bureau en gros, plutôt que de servir de besoins de productivité immédiats. Ces partenariats publics-privés sont aussi davantage orientés vers les besoins de la composante «offre» du marché du travail (les employés).

Le cas du réseau CFER en région n'est pas unique dans le domaine de la formation professionnelle. On retrouve à Victoriaville d'autres établissements, comme l'École nationale du meuble et de l'ébénisterie (qui, comme le CFER, a un rapport inversé avec la métropole en ayant une succursale à Montréal)[6] et le Centre de formation professionnelle Vision 20 20. L'innovation dans la formation de la main-d'oeuvre peut provenir la base, des communautés elles-mêmes, plutôt que d'une décision prise au sommet par le gouvernement qui impose des solutions mur-à-mur.

On peut spéculer pourquoi la formation professionnelle occupe autant de place à Victoriaville. La première impression, c'est que la ville est un centre régional, qui offre des services (e.g.: l'hôpital, les centres d'achats et le cégep) à l'ensemble des villages et des plus petites communautés, mais n'a pas suffisamment de poids démographique pour attirer chez elle une université (alors que deux centres régionaux à proximité, Trois-Rivières et Sherbrooke, ont ce genre d'établissement). Les gens qui suivent «la voie royale» (primaire-secondaire-cégep-université), s'expatrie à l'extérieur de la ville pour recevoir une formation universitaire (bien que le cégep de Victoriaville offrent plusieurs cours de niveau universitaire en agissant comme campus de l'UQTR), puis parfois reviennent pour trouver un emploi. Comme les autres villes comblent pour une bonne part les besoins en formation universitaire de la main-d'oeuvre de Victoriaville, le manque à gagner se trouve alors chez les gens qui ne veulent pas poursuivre des études supérieures, notamment les décrocheurs scolaires (qui risquent de devenir des chômeurs chroniques). Si l'alternative à la «voie royale» est la formation professionnelle, il semble logique que la communauté en région oriente ses efforts vers celle-ci, alors que les centres plus peuplés misent sur le développement des universités et considèrent la formation professionnelle comme une préoccupation de seconde zone.  Au fil des ans, ce choix de développement aura permis à la communauté de développer une plus grande expertise en matière de formation professionnelle, d'exercer un leadership dans le domaine, et même éclipser la métropole en y installant chez celle-ci des succursales de ses propres établissements. La seconde impression, qui concerne spécifiquement le CFER, c'est que la mairie de Victoriaville donne depuis des décennies une place de premier choix aux enjeux environnementaux dans sa stratégie de développement, que ce soit un service de cueillette des matières recyclables mis en place bien avant celui de Montréal, des projets d'habitation durable et la mise en ligne d'un bottin vert. La création  du CFER est peut-être une initiative du milieu éducatif, mais la présence dans le gouvernement local d'une culture favorable aux activités de recyclage et écologiques a offert un terreau fertile pour que croisse ce centre de formation professionnelle. Les interventions du gouvernement local de manière directe (puisque le centre est financé publiquement par les taxes) et indirecte (retombées politiques favorables à l'environnement) ont contribué au succès du CFER, et laisse présager que la formation professionnelle ne devrait être laissé seulement aux entreprises pendant que l'État se ferme les yeux, mais que le rôle du gouvernement est de créer les conditions gagnantes, une culture favorable, pour que cette coopération se déroule de manière optimale.

D'autre part, si la formation professionnelle au Québec devrait faire l'objet d'une plus grande intervention de l'État, notamment pour réduire le chômage, le sous-emploi et favoriser la croissance d'un marché intérieur québécois pour les biens et services qu'on produit nous-mêmes (et donc devenir moins vulnérables aux fluctuations des marchés internationaux), cet interventionnisme accru n'est pas forcément synonyme de décisions prises au sommet et de grandes politiques nationales qu'on applique à la province comme si on passait un rouleau-compresseur. Le rôle de l'État peut être assumé par ses plus petites composantes, que ce soit les gouvernements locaux que sont les mairies ou les établissements scolaires (approche bottom-up, ou ce qu'on appeler le principe de subsidiarité). 

Le cas du succès du réseau CFER, qui est passé d'un seul établissement à une vingtaine de succursales, montre que la formation professionnelle et les activités écologiques peuvent être une source de développement économique d'une communauté plutôt que de simples dépenses, que les entreprises peuvent bénéficier d'un virage vers la responsabilité sociale, et que les initiatives en éducation peuvent provenir de la base. Il y a certainement moyen de s'en inspirer pour non seulement développer des projets qui vont augmenter le PIB du Québec, mais qui vont créer réellement de la richesse pour son peuple.