Sunday, January 30, 2011

«L’économie est une chose trop sérieuse pour être confiée aux gens d'affaires !»


Malgré le titre provocateur, je ne suis pas communiste.

Par contre, ce que je constate, c’est une faiblesse dans l’idée généralement véhiculée que la compétition dans une économie est un instrument de l’efficience. Pire, on fait souvent de cette concurrence un objectif terminal qu’on érige en dogme, en oubliant complètement que la concurrence est un moyen et non un but en lui-même (et que ce moyen n’est pas toujours adapté aux solutions de marché, comme c’est le cas d’un monopole naturel comme l’est le service de distribution de l’électricité). Dans la même logique, on doit considérer que l’économie est un outil pour améliorer la société, et non un projet de société en lui-même auquel il faudrait sacrifier notre environnement, notre qualité de vie et la force de notre tissu social sur le «grand autel du veau d’or» en espérant recevoir des retombées économiques réparties sans souci d’équité. L’économie doit être subordonné au projet de société du Québec, sans toutefois se lancer dans la lourdeur admistrative d’une économie planifiée communiste, avec ses produits médiocres et ses pénuries staliniennes. Un système mixte, qui allie les meilleurs éléments de l’entrepreneuriat et de la sociale-démocratie (qu’il faut distinguer du socialisme), combinant la stratégie proactive et la recherche d’efficience (centre-droite) avec les préoccupations humanistes et le développement durable et équitable (centre-gauche), est possible.

Il reste à le bâtir.

DES LEÇONS DE 1914-1918

Il est parfois difficile de comprendre l’instant présent parce que dans le tumulte des événements, on n’a pas le recul nécessaire pour faire une analyse approfondie de la situation, vu qu’on a n’a pas accès en temps réel à toute l’information pertinente (concept du fog of war); on peut, par contre, puiser dans l’Histoire et comparer la situation actuelle avec certains événements du passé qui offrent des similarités avec celle-ci (concept de précédent), tout en prenant garde de contextualiser ces événements dans leurs réalités historiques propres. Ainsi, pour mieux comprendre les dérapages économiques actuels, on peut, par exemple, jeter un regard sur la Première guerre mondiale (1914-1918) et tenter d’en extraire des leçons pertinentes.

Pour amorcer cette comparaison entre le présent et la Grande guerre, on peut affirmer que le caractère instrumental de l’économie à l’objectif terminal qu’est le projet de société est similaire, dans une certaine mesure, à la nécessité de la subordination des objectifs militaires (objectifs de guerre) aux intérêts politiques (objectifs de paix): comme l’ouvrage De la guerre de Carl von Clausewitz (1780-1831) le disait, « la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens » [1]. Tout en se réclamant héritiers de Clausewitz et de sa guerre totale, les généraux – autant ceux de l’Entente que des Empires centraux – avaient pourtant ignoré ce principe, menant les deux blocs bélligérants à la ruine dans une quête délirante de domination à tout prix alimentée par la haine et les désirs revenchards, la délusion de la supériorité d’une stratégie offensive (ce qui est pourtant contraire à ce que préconise Clausewitz, qui considère la stratégie défensive comme étant supérieure, surtout quand elle est combinée à des tactiques offensives) ainsi qu’une simple quête personnelle pour des médailles et des promotions. Plus bouchers qu’officiers, ils envoyaient les troupes à l’abattoir, étant assurés de récompenses par ce sacrifice. « La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser faire par des militaires » finira par conclure Georges Clémenceau (1841-1929), président du Conseil lors de la IIIe république [2], mais, trop tard, le carnage était déjà fait.

Une chose qu’on peut comprendre de la Première guerre mondiale, c’est que la technologie évolue à un rythme plus rapide que les mentalités: malgré les développements en aviation, en armement (e.g.: mitrailleuse Maxim), en équipement (e.g.: le casque stahlhelm) et en logistique (embrigadement de tous les paliers industriels du pays), les généraux et les officiers adhéraient encore, avec un excès de confiance, à des vieilles méthodes tactiques héritées des guerres napoléoniennnes et des conflits coloniaux. Ces méthodes dépassées combinées aux nouvelles réalités technologiques ne firent qu’engendrer un désastre qui se comptabilisa en millions de morts, de blessés et d’endeuillés. Le livre Guns of August [3] résume les dérapages de cette guerre, tandis que le peintre Otto Dix [4] a fait des portraits assez évocateurs des horreurs de celle-ci.

RÉTROSPECTIVE DE LA CRISE DES MISSILES DE CUBA

Lors de la Guerre froide, les réalités technologiques et militaires avaient à nouveau changées, étant donné la possession d’arsenaux d’armes nucléaires par chacun des adversaires: la guerre conventionnelle pouvait dorénavant apporter une destruction mutuelle instantanée, une possibilité catastrophique qui risqua de se produire lors de la Crise des missiles cubains [5], crise habilement racontée par le film Thirteen Days. Lors de ces jours de tension entre l’URSS et les États-Unis, John F. Kennedy – ayant lu le livre Guns of August – compris que le contexte militaire de son époque avait changé et que les vieilles mentalités ne pouvait qu’amener le désastre. Ainsi, JFK ne céda pas aux pressions béllicistes du Général Curtis LeMay (1906-1990) [6], évitant ainsi de transformer la Guerre froide en Nuclear Winter qui aurait résulté d’une escalade des hostilités avec l’URSS.

PERSPECTIVES ACTUELLES

Dans un contexte contemporain, les idées néolibérales et les politiques sociales d’une certaine droite sont, pour nous, les vieilles mentalités de «laissez-aller» peuvent conduire vers la ruine, étant donné qu’elles sont mal adaptées aux nouvelles réalités des avancées technologiques en télécommunication (meilleures capacitiés de coordination) et des nouveaux défis résultant de la mondialisation. Parfois même, on véhicule carrément de la pensée magique (comme c’est le cas des gens économiquement illettrés du RLQ) en niant des concepts aussi élémentaires que celui de la défaillance de marché (attestée notamment par le pouvoir de marché de certaines firmes et par les externalités) et en régurgigant les idées déconnectées de la réalité d’Ayn Rand (vu que dans le monde réel, ce ne sont pas tous les biens qui ont une rivalité d’usage et une possibilité d’exclusion d’usage, ce qui rend inefficace une organisation de l’économie basée uniquement sur des ambitions égoïstes et la transaction de biens privés).

L’État (le gouvernement et la population) ne devrait pas abdiquer son rôle stratégique en confiant entièrement «la guerre» (l’économie) aux caprices de ses généraux, des officiers et des mercenaires que sont les entreprises privées, comme le voudraient les partisans de l’utopie néolibérale, mais mettre en place une économie concertée (et non planifiée de manière stalinienne) avec des objectifs socio-économiques («objectif de paix») clairement et explicitement définis, connus de tous. Par exemple, l’État peut opter d’adhérer au protocole de Kyoto et exiger des entreprises une réduction de leur empreinte de carbone au moyen d’incitatifs comme une taxe, ou agir plus directement dans certains dossiers, notamment en interdisant l’exploitation de l’uranium à proximité de Sept-Iles, vu les multiples dangers associés aux matériaux radioactifs. Une équipe de hockey performe mieux quand elle encadrée par un entraîneur que si on laisse les joueurs oeuvrer par eux-mêmes.

On parle de concertation et non d’une étatisation complète de l’économie (une préférence à l’utilisation des incitatifs économiques plutôt qu’un interventionnisme à outrance de l’État), laissant aux entreprises privées, dans l’ensemble, la latitude de définir elles-mêmes la façon exacte d’atteindre les objectifs socio-économiques dans les délais de temps donnés («objectifs de guerre»). Ceci s’inspire un peu de la pratique du Auftragstaktik [7], tactique allemande qui permet aux officiers subalternes de décider la façon d’atteindre les objectifs fixés par l’État-major; cette décentralisation de la prise de décision a la particularité de pouvoir développer le leadership et offre une plus grande flexibilité qu’une approche étatique dans un environnement dynamique (le champs de bataille est un monde en perpétuel changement, tout comme l’environnement économique, surtout en contexte de mondialisation), sans être le chaos inefficient d’une émeute qui dérive aléatoirement, sans direction, ni objectifs stratégiques.

UNE APPLICATION CONCRÈTE

Une application simple basée sur cette approche concertée de l’économie serait la création, par exemple, d’un système de PPP (géré localement) entre les commissions scolaires et les entrepreneurs locaux qui lutterait ensemble contre le décrochage scolaire («objectif de paix» déterminé par la société) en offrant aux élèves à risque des stages rémunérés liés à des contrats de performance académique, ce qui permettrait à l’élève d’éviter à choisir entre obtenir de l’argent de poche ou son D.E.S. Quelques cours seraient enlevés au programme (e.g.: éducation physique) pour alléger l’horaire habituel et les efforts de l’élève se concentreraient surtout sur les matières du tronc commun (Mathématiques, Français). Ce programme de travail-études pourrait permettre à une épicerie d’économiser du temps et de l’argent dans l’effort de recrutement de ses commis (économiser des dépenses en RH étant un «objectif de guerre» d’une firme), et doterait les employés d’un encadrement supplémentaire provenant de l’école (une «sous-traitance» des mesures disiciplinaires), améliorant alors la discipline au travail (contribuant ainsi à l’efficience de la firme).

De telles initiatives existent déjà, comme c’est le cas avec le programme CFER [8] qui combine la lutte au décrochage scolaire aux pratiques environnementales et au développement de compétences et les attitudes professionnelles chez l’élève en difficulté. Si ce programme fonctionne (taux de placement de 85% des élèves), mais que le décrochage scolaire continue à être un problème alarmant ailleurs au Québec, bien il semble que l’élargissement de ce programme, avec des partenariats publics-privés, fait partie intégrante de la solution. Par contre, si on fait comme Richard Martineau et qu’on ne se limite qu’à de vieilles idées – en pleurnichant que l’école est trop «féminine» pour que les garçons réussissent  (un problème plutôt absent dans les écoles anglophones du Québec, pourtant assez similaires) – bien on ne développe pas des solutions réalistes, et le seul gagnant est un démagogue qui reçoit du temps d’antenne.

CONCLUSION

Bref, on dot rejeter les idées dépassées de l’utopie néolibérale et développer un système économique concerté que guide une stratégie nationale clairement explicitée, qui allie les meilleurs éléments de centre-droite (efficience, stratégie et entrepreneuriat) et de centre-gauche (sociale-démocratie, humanisme et développement durable), le tout dans une optique réaliste de résolution de problèmes. C’est en focalisant nos efforts collectifs vers des objectifs clairement définis (e.g.: positionnement basé sur l’innovation) qu’on assurera au Québec un succès sur la scène mondiale, et non en perpétuant un mélange malsain de «laisser-allez» combiné à des interventions gouvernementales aléatoires et incohérentes.

Par où commencer? En se consultant pour déterminer réalistiquement les objectifs socio-économiques du Québec.

Génération d'idées (GEDI) pourrait être un point de départ.

__________________________

[8] Programme CFER




En tant que détenteur du droit d’auteur, je publie cette œuvre sous les licences suivantes :
Vous avez la permission de copier, distribuer et/ou modifier ce document selon les termes de la Licence de documentation libre GNU, version 1.2 ou plus récente publiée par la Free Software Foundation ; sans sections inaltérables, sans texte de première page de couverture et sans texte de dernière page de couverture.