Sunday, January 30, 2011

Pour un mur de séparation entre la science et la politique

La fin du monde ne sera pas en 2012.

Néanmoins, ce n’est pas une excuse pour être négligent cette année à l’égard de l’environnement, surtout en ce qui concerne le dossier des changements climatiques, un sujet complexe ayant d’importantes répercussions sur l’ensemble de la population de la planète. Ce sujet est sérieux, et devrait faire l’objet d’une étude objective et rationelle. Hélas, motivés par l’avarice et la simple bêtise, certaines personnes, notamment ceux appartenant au Réseau Liberté-Québec (RLQ), se font émules du Tea Party américain et prêtes-noms des richissimes industries pétrolières et gazières en prônant le négationnisme sous l’étiquette édulcorante de «climato-scepticisme» [1], un néologisme ne se trouvant que dans les discours de la droite et chez les gens, plus sensés, qui dénoncent ce genre de discours qui est, rappelons-le, négationniste.

Ce que propose la droite, c’est ni plus ni moins que de l’antiscience [2].

«Extreme right-wing antiscience can be recognized by widespread appeal to conspiracy theories to explain why scientists believe what they believe, in an attempt to undermine the confidence or power usually associated to science (e.g. in global warming conspiracy theories). Another feature of conservative antiscience discourse is the widespread use of informal fallacies, in particular the false dilemma, appeal to consequences, appeal to fear, and the appeal to probability fallacies. Joseph J. Romm has sharply criticized conservative antiscience in the context of global warming saying that U.S. conservatives were displaying extreme scientific ignorance with disastrous consequences in their attempts to block bills meant to reduce carbon emissions.

Recently some of the leading critical theorists have recognized that their critiques have at times been counter-productive, and are providing strong intellectual ammunition for right-wing ideology. Writing also about these developments in the context of Climate Change, sociologist Bruno Latour noted that « dangerous extremists are using the very same argument of social construction to destroy hard-won evidence that could save our lives. Was I wrong to participate in the invention of this field known as science studies? Is it enough to say that we did not really mean what we meant »?»


Pour appuyer sa rhétorique (on évitera de dire «arguments»), le RLQ se base sur les dires de Jacques Brassard, un ancien ministre péquiste (peut-on dire «has-been»?) ayant une formation en pédagogie avec une spécialisation en Histoire. Personnellement, je n’ai rien contre l’enseignement ou l’Histoire, mais je dois constater que la science est un domaine ayant des champs de spécialisations très développés et précis, et un géographe ne peut tout simplement s’improviser chirurgien, ou une personne ayant une formation de chef cuisinier ne peut opérer un réacteur nucléaire: il semble que c’est simple, les débats concernant l’existence ou non des changements climatiques ne devraient concerner que le scientifiques ayant une formation en climatologie. Dans la situation actuelle, les gens en charge d’évaluer ce phénomène appartiennent au GIEC [4], alors que Jacques Brassard n’en fait pas partie, parce qu’il n’a aucune qualification dans le domaine de la climatologie pour émettre une opinion ayant une valeur scientifique réelle.


LA SCIENCE N’EST PAS UN CONCOURS DE POPULARITÉ



Un discours qu’on entend parfois des détracteurs du GIEC, c’est qu’il faut entendre «les deux côtés de la médaille», mais comme on vient de le mentionner, pour participer à un débat scientifique il faut d’abord avoir les qualifications minimales requises dans le domaine étudié, ce qui n’est pas le cas de gens comme Maxime «Maximum Damage» Bernier ou Jacques Brassard. De plus, les affirmations strictement scientifiques font l’objet d’une démarche objective de la part d’une personne qualifiée, d’une recherche dont les données sont vérifiables, et qui bénéficient d’une révision et d’une validation par des pairs étant eux aussi qualifiés; avec celles-ci, on peut développer des énoncés positifs, c’est-à-dire une description de la réalité telle qu’elle est (au mieux de données actuelles), qu’on ne peut réfuter (évidemment, sauf si des informations additionnelles infirme une théorie, vue que la science n’est pas dogmatique comme la religion). Aux antipodes, les opinions personnels (ce que présente le RLQ) n’offrent aucune rigueur et sont à la portée de n’importe quelle personne, que ce soit un génie ou l’idiot du village: ce sont des énoncés normatifs, qui décrivent la réalité telle qu’on souhaiterait qu’elle soit.

Dans l’étude du phénomène des changements climatiques, les énoncés normatifs (opinions personnels) n’ont aucune place. On ne peut comparer des pommes et des oranges.

Comme la science s’est construite par une accumulation d’énoncés positifs (des faits, des théories scientifiques valides), les ajouts d’éléments politisés et d’opinions personnels seraient une forme de vandalisme nuisible à l’ensemble de la collectivité humaine. Dans le passé, on a vu les dégâts que ce genre d’ingérence peut causer (avec des intensités variables), que ce soit l’intervention de l’Église catholique auprès de l’astronome Galilée pour lui faire nier que la Terre tourne, ou celle des Nazis dans le domaine de la biologie et de la médecine pour promouvoir le délire des thèses racistes et eugénistes prônées par le Reich [5]. Encore aujourd’hui, des thèses négationnistes circulent en Histoire, que ce soit pour nier le génocide arménien ou celui de la Shoah, et les chercheurs qui propagent ce genre de mensonges pour consolider des intérêts politiques sont, au minimum, de vulgaires vandales. L’intrusion du RLQ dans un débat scientifique est irresponsable et elle se fait au détriment de la collectivité québécoise. Ce que ce lobby «astroturf» fait, c’est brouiller les pistes en soulèvant démagogiquement l’opinion populaire par quelques promesses d’économies de bouts de chandelles à court terme et en occultant les répercussions à long terme des changements climatiques. C’est de la pensée magique.


Faire l’autruche face à ces changements
ne fera pas disparaître ces bouleversements environnementaux.

Parce que la droite ne possède pas une expertise scientifique permettant de légitimer ses positions et que la réalité est «biaisée» contre elle, la seule arme que ce Tea Party «made in Québec» peut avoir pour appuyer sa rhétorique, c’est le doute. Ce doute, qu’il faut distinguer du doute méthodique en science, rejoint deux catégories de gens: ceux qui, mal informés, se permettent de comparer les opinions personnels avec les énoncés scientifiques et de remettre en question la crédibilité des chercheurs, et ceux qui, motivés par le gain, se mettent volontairement des oeillières et utilisent les gens mal informés comme outils permettant de promouvoir une illusion collective qu’est la négation des changements climatiques. Quand assez de gens croient à un mensonge, on se retrouve alors avec le même genre de dérapage qu’a connu Galilée, et les pressions politiques, économiques et sociales réduisent la science qu’à une parodie d’elle-même.

SÉPARER LA SCIENCE ET LA POLITIQUE


À l’instar de la France et des États-Unis, dont les instutions politiques sont indépendantes de la religion (le Canada ne bénéficie pas, hélas, d’une telle modernité laïque étant donné les résidus monarchiques désuets qui sont encore en place, un problème auquel il faudrait remédier…), l’indépendance académique des chercheurs devrait être protégée par une charte (intégrée à la constitution) qui interdit l’intervention de l’État dans la sphère scientifique («wall of separation»), sauf pour les aspects d’ordre éthique. Ceci ayant comme but préventif d’éviter les dérapages qu’occasionneraient la prise du pouvoir par un parti de droite aux idées réactionnaires.

Cette charte, néanmoins, n’est pas une solution parfaite, dans la mesure où l’État contrôle une partie du financement de la recherche scientifique (et que le reste appartient aux intérêts du secteur privé, motivé par le mantra «survie, croissance, profits») et que, dépendamment des résultats, l’argent peut être utilisé comme un levier pour nuire aux chercheurs dont les conclusions (pourtant conformes à la réalité) déplaisent aux gens qui exercent le pouvoir («tirer sur le messager»), ce qui rappelle un congédiement à Chalk River… [6] D’où la nécessité d’avoir des meilleures possibilités de recours juridiques en cas d’intervention arbitraire du milieu politique dans le domaine scientifique, et du besoin que les médias effectuent réellement un travail d’enquête et d’information auprès de la population, ce qui ne semble pas être toujours le cas dans cet ère de l’infotainment et de la concentration de la presse.

Mais en bout de ligne, c’est aussi à chacun de nous 
de refuser de suivre le troupeau
dans ce délire négationniste 
qu’on appelle le «climato-scepticisme».


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[1] Climato-scepticisme et le RLQ
[6] Congédiement de Linda Keen: Harper appuie son ministre


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