Sunday, February 13, 2011

MÉMO 2


Dans un texte précédent (MÉMO 1), l'idée de réformer le système de l'éducation en remplaçant le MELS (Ministère de l'éducation, du sport et du loisir) par le MÉMO (le Ministère de l'Éducation et de la Main-d'oeuvre) a été présentée, abordant les changements invernant sur le contenant du système scolaire. Il sera donc question de compléter cette réflexion en abordant le contenu qui pourrait être diffusé dans un système réformé. Dans un premier temps, on peut dire que ce contenu se divise en deux catégories:

  1. L'éducation (l'apprentissage du rôle de citoyen qu'aura à jouer l'élève)
  2. La formation (la préparation de l'élève aux réalités du maché du travail)


L'ÉCOLE: UNE QUESTION DE COMPÉTENCES


Au lieu de concevoir l'école comme un système d'apprentissage de matières qui sont enseignées de manière cloisonnées, il faut considérer que, subalternes à ces deux grandes lignes directrices de l'éducation de l'élève, il y a l'apprentissage de quatre types de compétences qui s'enchevêtrent de manière organique et s'appuient mutuellement:

  1. Les compétences liées à la conceptualisation (compétences conceptuelles)
  2. Les compétences liées aux relations interpersonnelles (compétences interpersonnelles)
  3. Les compétences liées à la communication (compétences communicatives)
  4. Les compétences liées au domaine technique (compétences techniques) 


    BERGERON, Pierre G., La gestion dynamique: concepts, méthodes et applications, 4e édition, Gaëtan Morin Éditeur, 2006, p.17 et 18



1. LES COMPÉTENCES CONCEPTUELLES


Lors d'un repas en présence du navigateur Christophe Colomb, un invité aurait voulu minimiser l'importance de la découverte du Nouveau Monde en disant: «Il suffisait d'y penser.». Pour répondre à cette provocation, l'explorateur proposa un défi à ses convives. Il leur demanda de faire tenir debout un œuf dur dans sa coquille. Personne ne réussit, sauf Christophe Colomb, qui écrasa simplement l'extrémité de l'œuf. Il s'écria alors: «Il suffisait d'y penser!» 
 


Il faut penser autrement.
Par compétence conceptuelle, on entend le développement d'une vision globale, la capacité de prévoir les effets d'une décision complexe (comme aux échecs, prévoir plusieurs coups d'avance les conséquences d'une action), la créativité, et la capacité de voir un problème sous plusieurs angles (e.g.: l'aspect multidimensionnel de la concurrence: la radio n'est pas seulement en compétition contre les autres chaînes, mais aussi avec d'autres canaux de communications, comme la télé, le web). Comme les compétences conceptuelles sont souvent implicites et se développent qualitativement au lieu d'être apprises directement (et être mesurables quantitativement par un bulletin chiffré), on doit fournir un milieu favorable afin d'encourager les activités permettant à celles-ci de croître. Ceci donne alors de l'importance à l'enseignement de matières considérées à tort comme étant facultatives: les arts plastiques, l'art dramatique (particulièrement l'improvisation), et la musique. L'apprentissage de l'Histoire et la géographie s'inscrivent aussi comme des matières permettant de développer le «penser autrement», à condition qu'on y présente la différence comme étant une autre façon de vivre et d'être, et non de faire de ces cours une forme de propagande, quelle soit fédéraliste ou souverainiste, de gauche ou de droite. D'autre part, ces compétences peuvent être développées dans le cadre des matières du tronc commun, que ce soit en français par la lecture, la rédaction et les dictées enrichies (pendant lesquelles on enseigne l'étymologie et les racines grecques et latines lors de la correction), et même en mathématiques (mettre davantage l'accès sur les problèmes écrits). Il faut arrêter d'avoir peur de l'expression «compétences transversales» et de tout compartimenter hermétiquement.


Bilinguisme signifie plus que «anglais-français».
De plus, l'apprentissage d'une langue seconde, généralement l'anglais, permet à l'élève de se familiariser avec l'expérience qu'est le «lost in translation», c'est-à-dire que les mots et les concepts ne se traduisent pas exactement d'une langue à l'autre, chaque langue étant l'expression d'un système de penser en plus d'être un outil de communication. Dans son livre, Les identités meurtrières, l'auteur Amin Maalouf suggère une idée inusitée, celle de remplacer l'anglais par une autre langue, que ce soit l'allemand, ou bien l'innu; pour lui, la langue maternelle devrait être apprise d'abord, ensuite une langue seconde autre que l'anglais, et puis l'anglais. Ceci permettrait de développer davantage de liens avec l'autre, d'intégrer un paradigme linguistique supplémentaire, et éviter que les gens d'origines différentes conversent automatiquement en anglais. C'est intéressant comme approche, mais encore faut-il que les ressources financières soient là et que le personnel qualifié soit disponible. Et dans une province où on mise davantage sur une équipe de hockey qui n'existe pas que sur l'éducation de nos enfants, il y a loin de la coupe au lèvres.


Au niveau des études supérieures, les cours de philosophie au cégep s'inscrivent en continuité avec le développement des compétences conceptuelles, tout comme le sont les cours de littérature, et on doit non seulement les maintenir, mais en améliorer le contenu afin qu'on y développe davantage la créativité, le doute méthodique et l'esprit critique et qu'on évite d'en faire des périodes où on ne fait qu'apprendre par coeur une liste d'auteurs qu'on pourra citer pour se rendre intéressant en buvant un café sur Le Plateau. À l'université, quelques cours hors-programme devraient être inclus dans le cheminement de l'étudiant, comme des cours d'Histoire ou de litérature en gestion, afin d'éviter de développer chez lui le syndrome du «tunnel vision», ce que j'ai déjà abordé dans un texte précédent (Shakespeare et la gestion).


2. LES COMPÉTENCES INTERPERSONNELLES


L'esprit sportif doit prévaloir sur la compétition.
Le texte de Sabrina Guilbert, L'éducation: si on oubliait l'essentiel? (paru chez Génération d'Idées), effectue déjà un bon survol des réalités socio-affectives et psychologiques de l'élève (qu'on peut englober comme étant des compétences interpersonnelles) et des mesures à apprendre. J'évite de répéter ce qui a déjà été dit pour ne pas être redondant. Il est évident que dans le système scolaire actuel, on mise présentement trop sur la formation (préparation au marché du travail) et pas assez sur l'éducation (préparation à la citoyenneté), ce qui donne de l'importance aux activités parascolaires permettant la socialisation de l'élève avec ses pairs, aux clubs sociaux et aux travaux en équipe (notamment avec la méthode Jigsaw). Bien que les compétences interpersonnelles, comme l'entregent, le monitorage de soi, la gestion des impressions, l'empathie, l'écoute active et l'esprit d'équipe sont qualitatives et souvent implicites, donc difficilement mesurables, ceci n'enlève aucunement de valeur à celles-ci parce qu'elles préparent l'élève à intéragir avec d'autres personnes, que ce soit dans la vie publique du marché du travail (formation) ou dans la privée (éducation). Outre un meilleur financement pour le service des éducateurs spécialisés, on peut aussi améliorer les cours de morale et formation personnelle et sociale (FPS) qui, de mon expérience personnelle comme élève, se sont trop souvent résumés à des «pertes de temps organisées». Les cours d'éducation physique peuvent aussi jouer un rôle dans le mesure où mise davantage sur les sports d'équipe et le développement de l'esprit sportif (sportsmanship), et non un système du «marche ou crève», qui mise un peu trop sur l'élitisme et sur une exagération de la compétition pour produire quelques olympiens parmi la petite minorité qui en a le potentiel, le tout aux dépens du développement de tous les autres élèves et des compétences interpersonnelles qui auraient pu être développées.


Les aînés font partie de la solution
Comme complément au système scolaire conventionnel pour aider développement des compétences interpersonnelles, il y a d'abord l'implication des parents auprès des élèves, qui n'est pas toujours évidente, en raison de l'éclatement du modèle familial, ainsi que certaines barrières linguistiques chez des immigrants de première génération qui ne parlent pas suffisamment français pour comprendre les devoirs des enfants. Ce qui donne alors de l'importance à des programmes d'aide aux devoirs, de parrainage et de mentorat auprès des élèves, qu'ils soient en difficulté ou non. Dans mon parcours de vie, j'ai eu la chance de faire du bénévolat auprès de La Maison des Grands-Parents de Villeray (un centre communautaire intergénérationnel et interculturel) et j'ai remarqué qu'on obtenait des résultats positifs chez les élèves même en faisant avec eux la lecture à haute voix (en variant les voix et les tons pour chacuns des personnages), ou simplement en demandant «que veux-tu faire plus tard?». En regardant le «problème» du vieillissement de la population, je constate que les aînés font partie de la solution.


3. LES COMPÉTENCES COMMUNICATIVES


Peu importe la technologie, communiquer, c'est humain.
Les compétences communicatives se recroisent par moments avec les compétences interpersonnelles, dans la mesure où une personne veut faire passer positivement un message, elle doit avoir de la persuasion (je déteste l'expression «savoir se vendre»), ce qui met à contribution des traits implicites comme l'entregent, l'écoute active et la capacité de donner de la rétroaction (feedback); malgré tous les mérites des TICs (technologies de l'information et de la communication), si on ne maîtrise pas l'aspect humain de l'équation, alors on ne fait que se quereller, mais avec l'équipement dispendieux. Il faut être réceptif à ce que dit l'autre. De manière plus explicite, les compétences communicatives mesurables sont la capacité d'écrire et de converser dans une langue compréhensible, ce qui donne de l'importance à l'apprentissage du français, de sa grammaire et de son orthographe, et un besoin de resserrer les exigences chez l'élève. L'apprentissage des langues étrangères, comme l'anglais, l'allemand et l'espagnol, est aussi utile si on veut s'adresser à des gens n'appartenant pas à la francophonie, ou si on veut réduire avec eux la distance sociale en les mettant à l'aise (dans le cas échéant où on rencontre une belle latina, par exemple).


4. LES COMPÉTENCES TECHNIQUES


1 + 1 = 2

Bijoux, choux, hiboux, genoux, cailloux, joujoux, poux


Les méthodes traditionnelles ont encore leur place.
Les compétences techniques ou exécutives sont celles qu'on connaît le mieux, celles qui concernent surtout la formation: elles sont explicites, facilement évaluables, certifiables et concrètement utiles avec une application immédiate. L'apprentissage du français et des mathématiques viennent en tête. Mais présentement, on résume trop souvent le parcours de l'élève comme l'accumulation de compétences techniques, acquises à un niveau qui est seulement théorique, pas assez pratique, pas assez hands-on. Ce problème est d'ailleurs abordé dans le texte de Marc-André Ouellet, Inspirer pour moins décrocher! (paru chez Génération d'Idées). Sans diaboliser ou déprécier ces compétences et le par-coeur, il faudrait simplement remarquer (avec le tableau ci-haut), que pour un travailleur, l'importance de ces compétences techniques décroît en faveur des compétences conceptuelles au fur et à mesure qu'il gagne en rang dans une entreprise, c'est-à-dire qu'il évolue d'un contexte de certitude (e.g.: faire du 9 à 5 comme commis à l'entrée de données chez IBM), à un contexte de probabilité (e.g.: être le chef de projet pour le développement d'un nouveau logiciel) pour finir dans une contexte d'incertitude (e.g.: établir la stratégie de croissance pour les cinq prochaines années en tant que membre du board chez IBM). Par contre, les compétences interpersonnelles et les compétences communicatives demeurent d'une égale importance, peu importe le niveau hiérarchique atteint.


L'ÉCOLE: UN MILIEU LAÏC


Brièvement, l'école doit être laïque, ce qui entend l'abolition des cours de religion, par principe de liberté de conscience. Il ne s'agit pas de communisme: les parents qui souhaitent transmettre des valeurs religieuses à leurs enfants doivent s'impliquer eux-mêmes, au lieu de se fier à ce que l'État le fasse à leur place via le système scolaire. Dans les provinces anglophones, comme en Colombie-Britannique, il existe le Sunday School, entièrement privé, permettant.aux élèves d'avoir une éducation religieuse si tel est le souhait des parents. De plus, la religion ne doit pas intervenir dans l'enseignement des autres matières, notamment la biologie, où les théories créationnistes ne doivent pas être les bienvenues (inversément, accepterait-on que des scientifiques fassent irruption dans une église durant la messe pour discréditer la Genèse avec Darwin?).


L'ÉCOLE: UNE ÉDUCATION NATIONALE


Il s'agit ici de concevoir l'école comme un outil de développement d'une culture commune, d'un ciment entre les citoyens, d'un levier pour la promotion de valeurs communes que sont la démocratie, l'égalité entre les sexes, de l'acceptation de la différence (une version améliorée de la «tolérance»). Cette éducation nationale permettrait aussi de développer un bagage culturel commun. La lecture de certains livres, comme 1984, devrait faire partie des exigences du système scolaire québécois. Toutefois, la ligne entre éducation nationale et propagande est mince, et la problématique à considérer demande prudence et réflexion.

Par contre, une mesure qui peut être prise plus hâtivement (au niveau du «contenant») est l'arrêt du financement des écoles privées par l'État, afin de donner aux écoles publiques une partie des ressources qui manquent, et cesser de promouvoir une éducation à deux vitesses, qui accroît le clivage entre les classes sociales et véhicule parfois des valeurs trop élitistes (et il ne faut pas confondre «élitisme» et «excellence»: ces mots ne sont pas synonymes). Les parents qui envoient leurs enfants à l'école privée pourraient tout de même être compensés par des déductions fiscales équivalent au moment annuel prévu pour chaque élève dans le système public, vu que le retrait de ce système réduit la charge financière de l'État et la transfert aux parents.


CONCLUSION


Au niveau du contenu, le but d'une réforme qui transformerait le Ministère de l'Éducation, du Sport et du Loisir (MELS) en Ministère de l'Éducation et de la Main-d'oeuvre (MÉMO), qui prend davantage en considération les aspects humains de cheminement scolaire de l'élève, est le suivant:


Il faut arrêter de vouloir créer des gens 
qui réussissent dans la vie,
afin de développer des personnes 
qui réussissent leurs vies.


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Images (domaine public)

Oeuf: http://en.wikipedia.org/wiki/File:Senegal_egg_10s06.JPG
Tennis: http://en.wikipedia.org/wiki/File:Tennis_shake_hands_after_match.jpg
Communication:  http://en.wikipedia.org/wiki/File:Communication_shannon-weaver2.svg
Carte des familles de langues:  http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Les_familles_de_langues_sans_legende.png
Enseignante:  http://en.wikipedia.org/wiki/File:Teacher_writing_on_a_Blackboard.jpg