Saturday, February 26, 2011

OSBL et stratégie organisationnelle 1


31. Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même; en cent batailles vous ne courrez aucun danger.
32. Quand vous connaissez l’ennemi, mais que vous ne vous vous connaissez pas vous-même, vos chances de victoire sont égales.
33. Si vous êtes à la fois ignorant de l’ennemi et de vous-même, vous êtes sûr de vous trouver en péril à chaque bataille.

Sun Tzu, L'Art de la guerre




Sun Tzu
C'est un peu étrange de démarrer une réflexion sur le développpement communautaire en s'appuyant sur un traité portant sur la guerre, la paix et le conflit armée étant des activités contraires, tout comme l'est le recours à Sun Tzu, un général chinois du 5e siècle avant notre ère, pour comprendre le Québec du 21e siècle. Mais il reste les fondements d'une stratégie sont sensiblement les mêmes, que ce soit en marketing, en développement communautaire, dans le sport, dans les jeux de société, ou à la guerre: une approche planifiée pour atteindre des objectifs prémédités et ce, en prévoyant plusieurs coups d'avance le résultat souhaité. Dans le cas de Sun Tzu, celui-ci considérait la guerre comme étant néfaste l'économie et la prospérité du pays, une perte de temps et de ressources qui auraient pu être réaffecté ailleurs; d'où l'intérêt, lorsque le pays est contraint à la guerre par les pressions d'un pays voisin agressif, d'utiliser des méthodes qui minimisent le gaspillage, en armement autant qu'en vies humaines. L'approche logique et rationelle (basée sur l'accès et le contrôle de l'information) présentée dans L'Art de guerre permet au lecteur d’en tirer des leçons qui se transposent dans des situations concrètes. Des situations comme celles que vivent les organismes sans but lucratif (osbl), surtout quand elles ont des ambitions élevées et des ressources limitées.



L'ENVIRONNEMENT: NOTIONS DE BASE EN GESTION

D’abord, pour bien s’entendre sur les termes employés, le mot « environnement » en gestion n’a pas le même sens que dans la vie quotidienne, où il est souvent synonyme de nature et d’écologie. En gestion, le mot environnement concerne le milieu dans lequel l’organisation et ses membres évoluent.


L’environnement est composé de deux (2) parties complémentaires:

1. L'environnement externe
2. L'environnement interne





L'environnement externe


L’environnement externe est l’ensemble des éléments de l’organisation qui se situe à l’extérieur de celle-ci, et sur laquelle l’organisation n’a pas le contrôle. Dans cette mesure, l’environnement externe peut être perçu comme un adversaire, comme le serait, pour un général, l’armée adverse et les conditions du champ de bataille. Une bonne connaissance de l’environnement externe permet à une organisation de mieux performer.


31. Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même; en cent batailles vous ne courrez aucun danger.
32. Quand vous connaissez l’ennemi, mais que vous ne vous vous connaissez pas vous-même, vos chances de victoire sont égales.
33. Si vous êtes à la fois ignorant de l’ennemi et de vous-même, vous êtes sûr de vous trouver en péril à chaque bataille.



L’environnement externe est lui-même composé de cinq (5) dimensions (ce nombre peut varier selon la méthodologie employée) auxquelles il faut tenir compte:

 L’environnement politique et juridique
 L’environnement économique
 L’environnement socio-culturel
 L’environnement technologique
 L’environnement écologique et naturel
 L’environnement démographique

 …ou  simplement: «PESTED»


«Et de même que l’eau n’a pas de forme stable, il n’existe pas dans la guerre, de conditions permanentes.» (Sun Tzu)

En plus d'être multidimensionnel, l’environnement externe est en changement perpétuel et une organisation se doit d’éviter la complaisance et de s’adapter aux réalités de ces changements.
 
«Une armée peut être comparée exactement à de l’eau car, de même que le flot qui coule évite les hauteurs et se presse vers les terres basses, de même une armée évite la force et frappe la faiblesse.» (Sun Tzu)

Il est plus facile pour l’organisation de s’adapter à l’environnement externe, que de modifier celui-ci aux besoins et réalités de l’organisation. Si un bon joueur d’échecs connaît les positions des pièces adverses et prévoit les résultats de ses propres actions plusieurs coups d’avance (approche proactive) au lieu de jouer de façon spontanée à chaque tour (approche réactive), ou de manière aléatoire, alors une organisation devrait faire de même, en prenant connaissance de la situation de l’environnement externe et en anticipant les changements potentiels (opportunités, menaces). Bien qu'il est difficile de prédire avec succès l'avenir, la prudence demeure tout de même une vertu qui, elle, est facile à appliquer.




L’organisation se doit d’éviter de suivre des «modes» ou des «solutions miracles», en adoptant intégralement des modèles de gestion, comme le kaïzen par exemple. Certaines solutions ne sont pas adaptées aux réalités de l’organisation et de son environnement externe. On doit adopter une méthode propre à l’organisation elle-même, c’est-à-dire utiliser l’approche contingente et éviter la méthode du «One best way». Par exemple, inspirée du Japon, la firme Wal-Mart a adopté comme mesure celui du chant quotidien de l’hymne de l’entreprise par ses employés. Si cette solution fonctionne au Japon, c’est que les Japonais ont des valeurs plus collectivistes (environnement socio-culturel) et alors le chant de l’hymne de l’entreprise donne un sentiment d’appartenance et une source de motivation aux employés, alors qu'en Amérique du Nord, où les valeurs sont plus individualistes, cette mesure est peu appréciée, et elle réduit la motivation., parce qu'elle est perçue comme une obligation, une contrainte. Le maintien de cette mesure par Wal-Mart est irrationelle dans le contexte culturel nord-américain. Si on s'inspire du taoïsme (qui a certainement influencé Sun Tzu), on constate que l’eau est un élément associé au yin, un principe qui englobe des phénomènes comme la passivité, la féminité, la souplesse, etc. Le yin s’oppose notamment à l’agressivité du yang. L’approche contingente consiste donc à faire comme l’eau en prenant la forme du terrain, en adaptant l’organisme et ses méthodes aux réalités de l’environnement externe et aux ressources disponible: on favorise une approche douce plutôt que celle d'un rouleau-compresseur.


La mission


Évidemment l’approche contingente peut aussi finir par signifier «faire n’importe quoi, n’importe quand et n’importe comment». L’organisation doit alors se doter d’un objectif central, ainsi que de balises qui explicitent ses propres préférences. L’objectif central d’un organisme est sa mission. Cette mission doit être bien définie. La mission d’une armée est de vaincre l’adversaire, ce qui peut être atteint par la diplomatie, comme le général Sun Tzu le recommande, et non automatiquement en livrant bataille.

Il ne faut jamais perdre de vue la mission.

Donc, selon Sun Tzu, l’organisation devrait privilégier la diplomatie, éviter les conflits et le gaspillage que ceux-ci entraînent, ainsi que de chercher à développer et à consolider des partenariats exterieurs:  bref, valoriser la coopération plutôt que la compétition, ce qui diffère beaucoup du discours dominant actuel de concurrence à tout prix et de logique de «guerre totale» contre l'adversaire.

La mission appartient à l’environnement interne. Une organisation se doit d’équilibrer et d’harmoniser ses activités selon sa mission, ses ressources, ses membres et les réalités de l’environnement externe.




L'environnement interne


Si on peut concevoir  la relation de l’organisme avec l’environnement externe comme l’eau qui se transforme au contact de tout ce qu’elle touche, on peut alors symboliser les relations entre l'environnement interne, ses intrants (ressources)  et la mission, comme étant le feu, qui, par sa nature, transforme tout ce qu’il touche. Comme le feu, l’organisme doit activement transformer les composantes  de son environnement interne, et ce de manière à les rendre optimales afin que la mission soit atteinte. Pour revenir au taoïsme, le feu est associé au yang, un principe qui englobe des phénomènes comme l’agressivité, la masculinité, la rigidité, etc. Le yang s’oppose notamment à la passivité du yin, mais cette opposition n’est pas un dualisme de conflit absolu comme dans les religions judéo-chrétiennes, mais un ensemble harmonieux où s'épousent deux forces complémentaires. Pour bien mener la transformation des ressources dans un organisme, celui-ci doit être en mesure de bien connaître ses propres forces et faiblesses avant d'agir.


31. Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même; en cent batailles vous ne courrez aucun danger.
32. Quand vous connaissez l’ennemi, mais que vous ne vous vous connaissez pas vous-même, vos chances de victoire sont égales.
33. Si vous êtes à la fois ignorant de l’ennemi et de vous-même, vous êtes sûr de vous trouver en péril à chaque bataille.



Si on tente de se connaître soi-même en tant que osbl, on constate d'abord que la base d’un organisme est l’ensemble des individus qui le compose, les bénévoles. Chaque bénévole, à titre d’individu, a des besoins qui lui sont propres. Bien qu’un bénévole travaille sans salaire, il est tout de même motivé par un gain, c'est-à-dire la possibilité de combler un besoin. Ces besoins, Abraham Maslow les regroupe en  cinq (5) catégories: besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins sociaux, besoins d’estime, besoins d’actualisation de soi. L’expression personnalisée d’un besoin est une valeur; certaines de ces valeurs sont communes dans un groupe. La camaraderie (un besoin social) peut par exemple être comblé par un 5@7 ou toute autre activité de réseautage et de socialisation; le gain obtenu pour le bénévole dans ce cas est concret et visible. D'autre part, le gain souhaité par l’individu peut aussi être l’expression d’une valeur  plus abstraite: quelqu’un qui croit à l’entraide, à l'altruisme, peut travailler bénévolement dans une soupe populaire pour «amener du bien aux autres» et avoir comme rémunération la simple satisfaction d'avoir promu cette valeur au sein de la société. Une bonne compréhension des besoins individuels de membres, résultant d'une  évaluation routinière de l'état actuel de l'environnement interne, permet de concevoir des projets qui correspondent aux attentes et aux capacités des bénévoles.


La base du pouvoir (influence)


En ayant accès à davantage de ressources provenant de l’environnement externe, l’organisation peut utiliser cette base de pouvoir pour réussir sa mission. Certains peuvent voir négativement le mot «pouvoir» comme un nom commun, synonyme de démesure et de mégalomanie. Mais il faut voir celui-ci comme un verbe, c’est-à-dire «être capable de faire». Dans ce cas-ci, avoir du pouvoir assure la réussite de la mission. On peut aussi utiliser le mot « influence» pour désigne cet ensemble de ressources de l’environnement externe. Les ressources peuvent être financières (e.g.: dons, profits, capitaux propres), technologiques (e.g.: équipements performants, technologie unique), ou humaines (e.g.: bénévoles, employés compétents, personnel motivé). On compte aussi, parmi les éléments provenant de l’environnement externe qui renforcent la base de pouvoir, les exemples suivants:


La réputation (relations publiques et l'image auprès des autres organisme)
Les partenariats (les commanditaires, les subventions, les alliances stratégiques)
L'appui populaire («le mouvement», l'approbation du grand public)



La base de pouvoir s’appuie aussi sur l’environnement interne, parce que l’organisation apprend, développe ses compétences et son savoir-faire, et peut éventuellement utiliser les ressources externes de manière plus efficiente. Bref, une organisation, avec assez d’expérience, peu faire «plus, avec moins», c’est-à-dire optimiser le rendement des ressources utilisés en améliorant les méthodes utilisées. On compte, parmi les éléments provenant de l’environnement interne qui renforcent la base de pouvoir, les exemples suivants:


Les ressources humaines (bénévoles)
Les connaissances et expertises
Les actifs (équipement et technologie)
Le tissu social (solidarité, esprit d’équipe)



Si on schématise l'apport de l'environnement interne et externe, on peut obtenir le résultat suivant:






Il ne faut jamais perdre de vue la mission.

À travers ses activités et sa recherche d’influence, l’organisation ne doit pas oublier que la base du pouvoir est un outil, et non un but en lui-même. Comme la boussole qui pointe toujours vers le nord, on doit concevoir la base du pouvoir (le «quoi?») comme étant toujours orientée vers la poursuite de la mission de l’organisme (le «pourquoi?»).

Si le but de l’organisation (le «pourquoi?») est sa mission, et que la base du pouvoir est le principal outil (le «quoi?») qui permet sa réussite, la stratégie alors est le «comment?» de cette démarche. Sujet complexe dont le présent texte tente de trouver les mécanismes fondamentaux,  on peut toutefois résumer la stratégie comme étant le plan d’action global que se donne une organisation pour réaliser au mieux sa mission, selon les contraintes et les ressources qui lui sont spécifiques.




OUTIL DE DÉMARRAGE: LA MATRICE SWOT


 
Pour concevoir une stratégie organisationnelle, la matrice SWOT est un tableau  utile permettant de résumer les éléments importants de l’environnement, interne et externe. Ce tableau est pratique pour formuler une stratégie selon l’approche contingente, et l’ajuster au besoin lors d'une mise à jour. Son nom est un acronyme pour Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités) et Threats (menaces). Les forces et les faiblesses concernent l’environnement interne, tandis que les opportunités et les menaces concernes l’environnement externe. Il suffit simplement que le conseil d'administration (c.a.) remplissent chacune des cases avec les informations pertinentes. Dans un cas fictif, on peut obtenir le résultat suivant:




À partir de ce tableau, l'organisme est en mesure de mieux planifier ses activités pour les prochaines années. Si dans l'environnement interne, le manque de bénévoles est une faiblesse à laquelle il faut remédier avec des activités de recrutement et que l'esprit d'équipe est une force pour le groupe, peut-être qu'une série de journées porte-ouvertes permettrait à l'osbl d'attirer davantage de membres en mettant en évidence le plaisir que les volontaires actuels qu'ont en travaillant au sein de l'équipe. C'est aussi l'idée derrière le phénomène des lipdubs, bien que cette approche est à éviter puisqu'elle est maintenant considérée comme étant complètement ringarde par le grand public. En ce qui concerne l'environnement externe, les problèmes relatifs au financement signifie que l'organisme devrait faire davantage d'efforts, soit en obtenant plus de fonds par le biais de commandites provenant du secteur privé, de subventions du gouvernement et/ou de dons du grand public. L'organisme peut aussi dépenser moins, en combinant ses activités avec celles d'organismes alliés, permettant ainsi de faire des économies. Ou combiner les deux approches.


CONCLUSION


On pourrait longuement discuter de stratégie et des différentes applications de celle-ci, mais comme il s'agit d'un domaine d'études en lui-même, il préférable présentement s'en tenir à l'essentiel: dans une situation confuse, incertaine, évoluant sur un horizon temporel plus vaste, il faut se doter d'outils de réflexion et de conceptualisation qui sont supérieurs, plus sophistiqués, que le simple «gros bon sens», de la gestion «au jour le jour» et l'approche réactive, simplement pour se donner une direction, de bâtir sur les acquis, être prudent et doter une équipe d'un plan match que tous peuvent comprendre et suivre, focalisant ainsi les efforts et donnant des balises sur lesquelles les membres peuvent se fier et agir de manière autonome. 







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Sun Tzu:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Enchoen27n3200.jpg