Thursday, February 10, 2011

L'entreprise socialement responsable?


Développement durable?

Ethical oil?

Greenwashing?


Par moments, je doute beaucoup de la possibilité que les entreprises privées développent, d’une manière sincère, continue et soutenue, une réelle responsabilité sociale en raison de ce qu’on appelle le coût de renonciation (opportunity cost) – l’éternel arbitrage entre le beurre et l’argent du beurre. Les mécanismes actuels de l’économie dite de libre-marché non seulement permettent aux entreprises d'adopter des comportements néfastes pour le reste de la population grâce à une surveillance inadéquate (ou même inexistante), mais agissent comme incitatifs pour réduire les dépenses en mesures préventives, le tout  pour diminuer leur impact sur les coûts de production, en se justifiant avec le leitmotiv habituel: survie, croissance, profits. La catastrophe de la plate-forme de forage de BP dans le golfe du Mexique me vient en tête quand je pense à cet irresponsabilité motivée par l'avarice. Devant une opportunité de faire des gains substantiels, l’entreprise privée choisira ce qui avantage une minorité (elle-même et ses actionnaires) sans égard au reste de la population.


Un jour un homme demande à une femme
si elle acceptait de coucher avec lui pour 10000$.

Enthousiasmement, elle répond: «oui!»

L'homme procède par ensuite de lui demander la même faveur,
cette fois-ci pour 1$.

La femme, perplexe et insultée, lui répond vivement:
«Non, mais pour quelle genre de femme vous me prenez?»

L'homme, flegmatique, rétorque calmement:
 
«Nous avons déjà établi quelle genre de femme vous êtes.
J'essaie seulement de marchander sur le prix.»



Mauvaise blague à part, le coût de renonciation varie d’une entreprise à l’autre, le prix des firmes dites «socialement responsables» est tout simplement plus élevé que celui des firmes qui ne le sont pas. L'étiquette de «socialement responsable» semble être pour les firmes une forme de marketing institutionnel (le cas d'EDF en 2009) plutôt qu'un code de conduite réellement contraignant. Quand les efforts de responsabilisation du secteur privé sont sincères, continus et soutenus, ils dépendent largement d'un leadership exceptionnel, auquel le laisser-aller économique peut difficilement assurer la perpétuité, l'élément humain étant faillible.



LE CAS DE «MONSIEUR BOSS»


"I can resist everything except temptation."
(Oscar Wilde)


Pollution: l'occasion crée le larron.
Pour comprendre mieux le phénomène du coût de renonciation, on peut prendre, par exemple, un village localisé en région qui compte 1000 travailleurs au service d’une usine de plastique. Le propriétaire, «Monsieur Boss», vit à Toronto ; l’exemple n’est pas si différent avec un «Kamrad Soviet» à Moscou ou à Beijing, le capitalisme d'État créant les mêmes genres de tentations. au sein des échélons supérieurs du parti. L’usine de plastique, principal employeur du village, pollue à un niveau considéré «acceptable» par la population locale – après tout, même l’utilisation du cheval pollue. Puis, pour augmenter les profits mensuels de $10000, Monsieur Boss, à partir de son bureau à Toronto, décide d’accroître la production au-delà de ce niveau acceptable, sans égard pour les enjeux locaux. Pour le propriétaire, ne pas augmenter la production représente un coût de renonciation de 10000$ pour le mois en cours, une somme intéressante, surtout si on n'a pas à vivre avec les conséquences que ce gain entraîne.


Si l’entreprise avait été une coopérative, pour les 1000 employés, les gains potentiels n’auraient été que de 10$ par personne (10000$/1000 = 10$): personne n’aurait voulu polluer son village pour un simple 10$ par mois, ou du moins les villageois auraient eu leur mot à dire et une part de responsabilité dans le cas où ils opteraient pour le choix de polluer davantage. La distance entre les propriétaires et les actifs (usines) crée de la méconnaissance et de l’apathie. La concentration de la richesse résultant du capitalisme financier crée des coûts de renonciations élevés qui orientent les décisions vers des choix qui peuvent être néfastes pour la communauté dès que la tentation devient trop forte.


Mais qui est Monsieur Boss?


Évitez les théories du complot.
Contrairement à ce que des groupes comme le mouvement Zeitgeist affirment, Monsieur Boss de Toronto n’est pas un caricatural homme portant le monocle et un chapeau haut de forme, qui se réunit quotidiennement pour des réunions maçonniques avec des conspirateurs occultes. Ce patron est souvent une entité collective formée par les actionnaires, qui exerce une pression sur les dirigeants des entreprises pour augmenter les dividendes déclarées et versées. Du point de vue de l'actionnaire, quand on investit, on s’attend à faire des gains (et surtout on espère ne pas faire de pertes), souvent sans savoir toutes les conséquences liées aux bénéfices qui sont générés, le coût comptable étant bien différent du coût économique.  Pour certains, investir c’est un peu comme la saucisse hot dog: personne ne veut connaître le procéder de fabrication. Pour d'autres, il s'agit surtout d'une incompréhension du langage mathématique des finances, une VAN étant pour ceux-ci un véhicule de transport de marchandises plutôt qu'un critère de choix pour un investissement.


Qui sont les actionnaires?


Dans l'exemple présenté (très simplifié), il s’agirait d’un fonds de pension détenus par les employés du même village. Un investisseur à Toronto fait croître ce fonds, avec l’obtention d’un boni de 10%. Sur le 10000$ de profit, l’investisseur fait 1000$ et redonne 9000$ aux actionnaires (soit 9$ par personne dans le fonds de pension). Il a donc intérêt à pousser la firme à faire du profit – le boni est un incitatif à la performance de l’investisseur. Même sans le boni, il doit tout de même être compétent et éviter de faire des pertes au fonds de retraite. Sans le savoir, les 1000 employés deviennent – indirectement – responsables des pressions qui s’exercent sur eux à ce qu’on augmente la production. Ils deviennent alors, sans le savoir, artisans de leurs propres malheurs.

Évidemment, dans le monde réel, c'est plus compliqué, mais lorsqu'on souscrit à des fonds de pension, des assurances diverses et tous les autres programmes qui apparaissent sur le talon de paie, sait-on exactement où l'argent qu'on souhaite faire fructifier s'en va?


DES PISTES DE SOLUTIONS?


L'approche de la réforme

Dans un premier temps, une des solutions est d’avoir de normes environnementales, solidement encadrées par la législation et un service d'inspection, permettant de certifier des firmes comme étant des entreprises verteséquitables, et éthiques quand elles le sont réellement. Ce grand ménage au sein de certifications permettrait par la suite de créer une bourse pour que les titres des entreprises approuvées soient échangées; il ne resterait qu'à obliger les fonds publics à investir seulement dans cette bourse, même si les titres sont moins rentables que les investissements dans la vente d’armes, de cigarettes et de pétrole, ce qui donnerait aux firmes privées une compensation pour leurs efforts via un accès exclusif à des capitaux propres. Ce serait déjà un début.

Encore faut-il avoir des politiciens fiables, ce qui est tout un défi. Des gens comme Jean Charest qui, pendant un moment, se dote du développement durable et le protocole de Kyoto comme chevaux de bataille afin de se faire du capital politique sur le dos d'un rival, déçoivent lorsqu'ils font volte-face, s'agenouillant devant le veau d'or en appuyant le développement de l'industrie du gaz de schiste. L'élément humain étant faillible, les contraintes ne devraient pas seulement être effectuées par le biais des lois, mais par les mécanismes d'une constitution québécoise. Comme chacun des états américains ont individuellement une constitution, la rédaction de ce type de contrat social ne nécessite pas la souveraineté comme préalable.



L'approche «radicale»

On peut aussi, tout simplement, éliminer les actionnaires de l’équation. Plutôt que de perpétuer la querelle entre le privé et le public, on peut regarder la troisième voie qu’est la coopérative. Avec la participation des coopérants dans la gestion des entreprises, on «démocratise le capital» en réduisant la concentration de la richesse dans un nombre restreint de mains, ce qui en bout de ligne limite l’impact du coût de renonciation sur l’environnement et sur l’ensemble du mieux-être de la société. Les enjeux locaux ne seront que mieux servis, parce que l’aspect participatif de telles entreprises permettent l’habilitation (empowerment) des travailleurs, ce qui a des retombées positives éventuelles dans d’autres sphères d’activité, comme celles de la participation politique du citoyen. Il ne s'agit pas ici d'aller brandir des marteaux et des serpes et de prendre le contrôle des actifs immobilisés par la force d'une marée rouge, mais de mettre en place des politiques et des programmes de financement public pour favoriser l'émergence d'un plus grand nombre de coopératives au sein de l'économie, ainsi que de réseauter celles-ci entre elles, créant alors un mouvement qui pourrait être un nouveau joueur sur l'échiquier socio-économique, pour l'instant partagé entre le patronat, les centrales syndicales et le gouvernement. Sans être une solution miracle, une redistribution de la richesse par la base – par le biais de coopératives – est plus garant d’un réel développement durable que les pratiques actuelles du capitalisme financier auxquelles on ne fait souvent qu’appliquer un rebranding d’une apparente responsabilité sociale.


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Images (domaine public)

Usine: http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Eugen_Bracht_Hoeschstahlwerk.jpg
Aleister Crowley: http://en.wikipedia.org/wiki/File:Aleister_Crowley.jpg
Développement durable:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Sch%C3%A9ma_du_d%C3%A9veloppement_durable.svg