Monday, February 14, 2011

Les 5@7, le béhaviorisme et la gestion




Dans l'économie actuelle au Québec, les phénomènes comme la mondialisation, les transformations démographiques (e.g.: le vieillissement de la population et l'éclatement du modèle familial traditionnel) et les changements technologiques amènent un besoin pour les organismes, privés ou publics, à but lucratif ou non, de faire plus avec moins, c'est-à-dire d''être plus performants et efficients. Une des façons pour encourager cette performance est la méthode intuitive du «drive system» (la méthode du «coup de pied au c...») et de répéter l'éternel leitmotiv «soyons plus productifs!» en pressant le citron jusqu'à la dernière goutte, sans vraiment conseiller les employés sur les façons de mieux s'y prendre (une pratique dénoncée notamment par Henry Mintzberg):


Classé récemment par le Wall Street Journal parmi les dix penseurs les plus influents dans le monde des affaires, Henry Mintzberg en a particulièrement contre une certaine conception des gains de productivité qui sévit aux États-Unis depuis une bonne quinzaine d'années, au plus grand contentement des économistes et autres analystes financiers, mais qu'il estime complètement décrochée de la réalité des entreprises.

Cette vision de l'efficacité repose souvent sur des dirigeants «de passage» traités comme des vedettes et qui gèrent les entreprises «par proclamation», déplore-t-il. «Ils vont décider, par exemple, que vous devez augmenter vos ventes de 10 % sans quoi vous prenez la porte. J'ai une petite-fille de six ans et elle peut diriger comme cela.»

Éric Desrosiers, Le Devoir, le 4 décembre 2010



L'autre méthode qui vient en tête est celle de l'avare, le downsizing, avec laquelle couper partout et augmenter la charge de travail des employés semblent être la solution à tout, sans prendre en compte que le syndrome du survivant et les dégâts au tissu social de l'organisme mitigent le succès de cette pratique. Ces deux méthodes sont celles qui apparaissent spontanément, sans trop de réflexion, et se rattache à une logique de «gros bon sens». Le common sense fonctionne peut-être au niveau opérationnel (activités routinières en contexte de certitude), mais donne des résultats qui laissent à désirer quand on tente de les appliquer à un niveau supérieur, surtout au niveau stratégique (contexte d'incertitude), où des outils supérieurs sont nécessaires. On ne peut  assurer la pérennité d'un organisme d'envergure en le gérant seulement au jour le jour, en planifiant les différents projets de manière aléatoire ou selon les humeurs, et en réagissant continuellement aux changements de l'environnement comme si on était né de la dernière pluie parce qu'on n'est pas assez prévoyants: comme dans une partie d'échecs, il faut planifier chaque décision selon les résultats qu'on souhaite obtenir et ce, plusieurs coups d'avance (avoir une approche proactive plutôt que réactive). Il ne s'agit pas seulement de savoir quoi faire, mais pourquoi on le fait. Dans cette optique, le downsizing et le «drive system» sont peut être des méthodes faciles à conceptualiser et à utiliser, mais elles laissent à désirer quant aux résultats qu'on espère réellement obtenir d'elles.


Est-ce qu'il y a d'autres choix?


Ce qu'on suggérer pour qu'un organisme développe davantage son efficience, c'est d'aborder le problème par une approche systémique, en travaillant sur chacun des aspects individuels des activités du groupe, renforcer un à un chaque maillon de la chaîne, plutôt que d'aller chercher une solution miracle ailleurs. Considérant qu'avec la tertiarisation accrue de l'économie  québécoise que le secteur des services est en plein expansion et que les tâches à accomplir sont davantage de nature interactive et complémentaireyou complete me») appartenant à un environnement dynamique plutôt que séquentielle et additive («la chaîne de montage») faisant partie d'un environnement statique, il apparaît alors que l'élément humain, la capacité de pouvoir communiquer l'information adéquatement, ainsi que de développer et d'entretenir de saines relations interpersonnelles dans le milieu du travail prennent davantage d'importance. Ces activités sociales demandent efforts, énergie, occasionnent du stress, et parfois dérapent dans des conflits interpersonnels qui ralentissent ou bloquent la productivité, ce qui amène l'intérêt chez le gestionnaire (qu'il oeuvre pour une entreprise ou un osbl) de prendre de mesures correctrices pour remédier aux problèmes existants ou potentiels, tout en encourageant les situations qui sont positives ou peuvent le devenir.


UN EXEMPLE: 
LE 5@7 DU BUREAU




Un programme qu'un organisme pourrait instituer pour améliorer son rendement  et la fidélisation de sa main-d'oeuvre à long terme est celui d'une série de réunions mensuelles informelles, basées sur le modèle familier du 5@7. A priori, ceci semble n'être qu'une bonne excuse pour aller prendre une bière et de faire du social - et c'est le cas. Toutefois, lorsqu'on étudie la loi de l'effet en béhaviorisme, la théorie bifactorielle de Frederick Herzberg, le fun theory et la dynamique de groupe, particulièrement le modèle d'Yves Saint-Arnaud, plusieurs éléments ressortent pour justifier ces soirées festives:


1. Le groupe est formé d'individus. Le groupe en lui-même n'a aucune source d'énergie qui lui est propre et est tributaire de la contribution de chacun des membres. Sans l'effort des individus le groupe lui-même ne fait rien.

2. Chaque membre possède deux (2) types d'énergies, qu'il apporte au groupe: l'énergie physique (capacité d'accomplir des tâches) et l'énergie affective (capacité de se solidariser avec les autres membres de l'équipe).

3. L'énergie physique sert à accomplir des activités de tâches. Dans un organisme sans but lucratif (osbl), ceci se manifeste par les tâches routinières quotidiennes, les réunions de l'éxecutif, la participation aux équipes de travail et aux assemblées générales, etc. Ces activités sont pour la plupart explicites et les membres sont conscients d'y participer au moment où elles se produisent. La rédaction d'un rapport a un début (la page blanche) et une fin (la version finalement approuvée par le patron) et durant le processus d'écriture, il facile d'observer le progrès dans la réalisation de cette tâche et de déterminer où l'employé est rendu.

4. L'énergie affective sert à accomplir des activités de solidarisation, qui renforce la qualité des relations interpersonnelles entre les membres, l'esprit d'équipe, le tissu social de l'organisation et la cohésion dans le groupe. Il y a une différence entre un groupe de personnes travaillant individuellement vers un but collectif et une équipe qui focalise ses efforts vers ce même but. Les activités de solidarisation sont pour la plupart implicites, des «effets secondaires» des activités de tâches. Les membres sont plus ou moins conscients de participer à des activités de solidarité, mais peuvent intuitivement constater le résultat en observant l'ambiance qui prévaut et le niveau de motivation au travail de leurs collègues. L'accueil et l'intégration d'un nouveau membre au sein de l'équipe de travail est une activité de solidarisation où on observe une situation initiale (gêne et timidité) et un résultat final (réduction de la distance et pleine intégration) sans qu'on puisse déterminer le moment exact où l'intégration s'effectue.

5. Les activités d'auto-régulation ont lieu pour coordonner les activités de tâches entre elles, fournir les informations pertinentes, passer à travers les diverses procédures de communication, motiver les troupes, ou pour régler les conflits interpersonnels au sein de l'équipe. Si les activités de tâches puisent dans l'énergie physique des membres et les activités de solidarisation s'appuient sur l'énergie affective, les activités d'auto-régulation n'ont, par contre, aucune source d'énergie qui lui est propre. Toute énergie attribuée aux activtés d'auto-régulation (portant le nom d'énergie d'entretien) est donc soustraite aux deux autres types d'activités.

6. L'énergie d'entretien explique en partie le phénomène des rendements marginaux décroissants, c'est-à-dire que des groupes plus petits sont (théoriquement) plus efficients que les  plus grandes organisations monolithiques, parce qu'ils demandent moins d'efforts à coordonner, ce qui signifie que plus d'énergie (affective et physique) pouvant être utilisée ailleurs; cette décroissance de la productivité inversément proportionnelle à la taille du groupe se compare à la location d'un film dans un club vidéo lors d'un samedi soir: si on y va seul, c'est plus rapide qu'à deux, parce qu'on n'a pas besoin de consulter l'autre sur le choix à prendre; si on est 3, c'est encore plus long, parce que l'autre personne donne aussi son avis, et chaque personne supplémentaire ralenti davantage le processus de sélection.



Le modèle de la dynamique de groupe d'Yves Saint-Arnaud


Dans le cas de la planification des activités de tâches, le travail est souvent déjà fait. dans la plupart des organisations, vues qu'elles entraînent un certains nombre d'heures travaillées, l'utilisation de ressources  et résultat final tangible (ou du moins facilement observable), l'ensemble étant généralement quantifiable. Mais en ce qui concerne les activités relevant de la solidarité dans le groupe, elles sont généralement implicites et donc on ne planifie généralement pas en fonction d'elles. Pour réaffecter une plus grande portion de l'énergie d'entretien (activités d'auto-régulation) à la productivité et pour que le milieu de travail lui-même devienne pour l'employé une source d'énergie affective (motivation extrinsèque), il faut prendre en considération de façon consciente et explicite le facteur humain (solidarité) en tant que «ressource» à développer dans la planification de futures activités et de faire des activités en fonction de ce sous-objectif d'efficience, plutôt que de se contenter de développer la solidarité comme une sorte de sous-produit (externalité positive) des activités de tâches, pour ceux qui prenne la peine d'y penser. Le tout, organisé et réalisé d'une manière suffisamment subtile pour que l'ensemble du groupe ne perçoivent pas l'activité comme une corvée additionnelle aux tâches habituelles (ça tuerait l'ambiance du 5@7). À première vue, ça semble être beaucoup d'efforts et de réflexions pour à peine deux heures passées à la brasserie chaque mois, mais les concepts derrière cette sortie de bureau peuvent se transposer sur d'autres programmes de récompense (plus complexes) visant à fidéliser la main-d'oeuvre, qu'elle soit salariée (entreprise) ou bénévole (osbl).


Une approche basée sur l’expérience du participant 


Plutôt que de planifier l’évenement à partir des objectifs du conseil d’administration et des cadres afin de construire une structure à laquelle le participant devra s’adapter (en planifiant verticalement du haut vers le bas ou «top-down approach»), on prendra davantage en considération les besoins, les préoccupations, les préférences et les objectifs du participant-type et on construira l’événement en fonction des critères de choix de celui-ci (en planifiant verticalement du bas vers le haut ou «bottom-up approach»). De cette manière faite sur mesure (approche contingente), on limite les risques d’insatisfaction des participants. Ce qui veut dire que le 5@7 doit être conçu en fonction des désirs réels des membres groupes: sans caricaturer, chez des couturières de 50 ans, l'événement peut être simplement d'aller prendre un café ensemble vu que le visionnement d'un match du Canadien dans une ambiance survoltée ne correspond (peut-être) pas aux attentes de celles-ci en matière de socialisation. Il faut que les membres soient réceptifs à la proposition et que l'idée d'elle-même semble spontanée. Le 5@7 peut être remplacé par un déjeuner d'affaires, une soirée vin et fromage, ou le démarrage d'une équipe de soccer, tout dépend du contexte, de la réceptivité et de la motivation des membres.

En marketing, un produit, c’est la promesse d’une satisfaction d’un besoin. Si on se base sur la théorie des besoins hiérarchiques de MaslowPyramide de Maslow»), on peut considérer que l’événement proposé en tant que produit relève de la catégorie des besoins d'appartenance et affectif (besoins supérieurs) ou, simplement, les besoins sociaux. Au sein la catégorie identifiée des besoins (les besoins sociaux) par le gestionnaire, on peut préciser davantage la nature de ces besoins par le biais des valeurs, parce que les valeurs sont l’expression personnelle d’un besoin: l'esprit d'équipe est une valeur rattachée aux besoins sociaux, comme l'est aussi la famille, la vie de couple, la collégialité, l'amitié, la camaraderie, etc. En identifiant les valeurs associées aux besoins sociaux du public ciblé dont on souhaite la participation, on peut utiliser celles-ci pour orienter l'organisation de l'événement: si la valeur qu'on souhaite encourager chez les membres de l'organisation est la collégialité entre les participants afin que ceux-ci tissent des liens entre eux permettant de mieux intégrer les nouveaux membres de l'équipe (activité de solidarisation) à la dynamique sociale de l'organisation, on doit opter pour un événement informel, casual, par simple souci de cohérence avec le but visé. Une soirée dans une brasserie correspond davantage à cette valeur de collégialité qu'une réunion formelle à même le lieu de travail, où la hiérarchie demeure encore bien apparente.

En se basant sur l'expérience du participant, on peut établir que ce dernier se conformera à trois (3) objectifs si l'activité de solidarisation est une réussite:


1. L’objectif subordonné: l’individu se présente à l’événement de plein gré. Il est physiquement dans le lieu.

2. L’objectif central: l'individu participe en socialisant avec une ou plusieurs personnes d’une manière où il est satisfait dans l’immédiat de son expérience. Il souhaite renouveler l'expérience.

3. L’objectif supérieur: l’individu réussit à combler un besoin social parce que les éléments apportés par l’événement correspondent aux valeurs de collégialité et de camaraderie qu'il partage. Il tisse des liens sociaux plus durables avec un(e) ou plusieurs collègues de travail et s'intègre progressivement à l'équipe s'il est nouveau («il trouve sa place»), ou consolide certains acquis s'il est ancien. Le participant considère que c'est agréable travailler au sein de l'organisation parce qu'il apprécie ceux qui l'entourent dans son quotidien.



La perspective de l'employeur


Il y a autre chose que la logique «gagne ou perd»
C'est louable de vouloir le bonheur des employés et de prendre leurs besoins en considération, mais l'organisation doit aussi y trouver son compte. Dans une entreprise privée, si l'employé souhaite augmenter son propre bonheur à travers ces réunions sociales, pour sa part l'organisation qui vise à améliorer sa productivité n'y trouve pas (directement) son compte; il devient difficile de justifier une telle mesure qui mise sur un événement périphérique aux activités de production habituelles. Si on aborde les rapports entre cadres et employés de manière traditionnelle avec une logique de négociation distributive, c'est à l'employeur de tirer le maximum de la part de ses employés en échange du salaire qu'il paie déjà, afin de tirer le plus de profits et essuyer le moins de perte (augmenter les produits, diminuer les charges); tout ce qu'il cède aux employés devient une perte. Le temps consacré à la planification, l'organisation, la mise en oeuvre et le contrôle de ces 5@7 s'ajoute comme une charge aux activités de production, tout comme les coûts d'une tournée générale, si l'employeur est généreux: «Un party de noël par an, c'est déjà assez suffisant! Laissons les employés s'organiser entre eux s'ils souhaitent faire plus de socialisation! Nous ne sommes pas des g.o.!» Toutefois, dans une logique de négociation raisonnée (ou intégrative), on peut considérer que chaque partie a un objectif terminal qui lui est propre: l'employé veut accroître son bonheur, l'employeur veut accroître sa productivité. Il suffit à l'employeur de transformer le but de ses salariés en objectif instrumental, c'est-à-dire de trouver un moyen de subordonner la recherche du bonheur de ses employés à une productivité accrue. Comme on l'a déjà mentionné, une réduction du recours à l'énergie d'entretien (activités d'auto-régulation) permet de réduire les rendements marginaux décroissants dans la productivité, parce que cet énergie peut être réaffectée aux activités de tâches et aux activités de solidarisation (ou en termes plus simples: moins les gens se querellent, plus ils peuvent passer du temps à travailler, et moins qu'ils éprouvent du mécontentement à le faire).


Même des gains modestes contribuent à l'ensemble
Si une bonne ambiance de travail rend (théoriquement) les employés plus productifs, elle confère aussi d'autres bénéfices: la capacité d'attirer et de conserver la main-d'oeuvre, ce qui entraîne une réduction des coûts en recrutement et en formation, ainsi que les problèmes d'absentéisme de présentéisme; bien qu'il soit difficile d'établir réellement un corollaire entre les soirées festives et la fidélisation, à  long terme des travailleurs, on peut dire que dans une approche systémique, chaque gain, chaque renforcement d'un maillon de la chaîne, contribue à renforcer l'ensemble de l'organisation. La soirée permet aussi au gestionnaire de pratiquer une forme de gestion par déambulation lui permettant d'avoir des nouvelles et de la rétroaction de la part de ses employés, et de donner des conseils, des félicitations et des encouragements (des récompenses qui n'occasionnent aucun effet sur les flux de trésorerie) sans interrompre les activités de production dans le cours normale d'une journée de travail. Finalement, l'organisation du 5@7 est une bonne occasion de pratiquer certains aspects de la gestion participative, notamment le recours au consensus pour déterminer le moment et le lieu de l'événement, un premier pas dans le développement d'une communication davantage bidirectionnelle et un décloisonnement accru de l'entreprise, le tout permettant aux idées innovatrices de mieux circuler.


Est-ce que c'est de la manipulation émotive?


Oui et non.


Oui, dans la mesure où le programme de 5@7 s'inscrit comme une forme de conditionnement opérant, selon lequel l'employé ajuste son comportement pour recevoir une récompense, dans ce cas-ci il continue à travailler pour l'organisme (fidélisation) pour participer aux soirées festives mensuelles (stimulus positif). Non, puisque le gestionnaire ce type de programme est aussi lui-même sujet de l'expérience et approche ses subalternes avec sincérité, en relégant l'ensemble de la théorie présentée dans ce texte à un niveau implicite une fois qu'il amorce la rencontre. On peut aussi se demander: laquelle est la meilleure entreprise, celle qui prend en considération le bonheur de ses employés, même si c'est seulement pour l'instrumentaliser, ou celle qui ignore (ou réprime) ces besoins sociaux et laisse le développement affectif des employés s'étioler? Pour laquelle voudriez-vous travailler?

Quelques bémols doivent toutefois être apporté à la suggestion des 5@7 dans une entreprise. D'abord, une partie du succès de cette approche dépend des personnalités des employés et du type d'ancres de carrière (career anchors) prévalant chez ceux-ci. Il existe 8 ancres de carrières, et une personne peut en avoir plus d'une en même temps:


1. L'ancre technique fonctionnelle
2. L'ancre de la gestion
3. L'ancre de sécurité
4. L'ancre d'autonomie-indépendance
5. L'ancre de créativité-entrepreunariat
6. L'ancre de la cause sociale
7. L'ancre du défi ultime
8. L'ancre du style de vie



Certaines ancres de carrière, comme l'ancre technique-fonctionnelle, axée sur l'amour du métier lui-même et un évitement du jeu politique et des promotions verticales, sont davantage appropriées pour tenir ce genre d'événement; les gens ayant des carrières vocationnelles, comme les enseignants, les pompiers, les policiers et les garagistes, peuvent apprécier de passer plus de temps avec des gens ayant les mêmes passions qu'eux. Aux antipodes, les employés ayant comme principal ancre celui du style de vie («travailler pour vivre et non vivre pour travailler») accordent une place marginale au travail dans leurs vie, et verraient la proposition d'un 5@7 comme un fardeau supplémentaire, un moment passé avec des gens inintéressants, ou même comme une intrusion dans la façon de gérer sa vie privée.


Autre bémol, celui de la distance hiérarchique, c'est-à-dire que si le cadre est appelé à faire des évaluations de ses employés (ce sera certainement le cas) et a des pouvoirs de sanction ou de récompense, une trop grande familiarité avec les employés peut brouiller les cartes, amenant une confusion entre les liens interpersonnels et les rapports d'autorité. Ce faisant, une des conditions du succès d'un 5@7 est que le déroulement de l'activité se déroule à l'extérieur du lieu de travail, question de séparer physiquement et conceptuellement l'espace de travail (work time) et l'espace récréatif (play time) et d'éviter l'un des problèmes des partys de bureaux à Noël, qu'est la superposition des deux lieux. Aussi, less is more: le gestionnaire devrait être présent durant l'événement, certes, mais devrait quitter assez tôt la soirée afin que les employés eux-mêmes s'approprient l'activité de solidarisation entre eux, de manière à  ce le 5@7 prenne authentiquement une vie par lui-même, qu'il devienne un rituel au sein de la culture organisationnelle.


Reste la question de l'alcool. Comme on le dit, la modération a bien meilleur goût, mais comme on le voit dans certains partys de Noël, il y a des excès qui conduisent à des dérapages. Les raisons de ces excès? Si la soirée est bar open parce que le patron pait l'alcool, un employé peut vouloir logiquement maximiser l'utilité en consommant davantage qu'il ne le ferait à ses propres frais. Si les employés sont peu habitués de socialiser entre eux dans un cadre extérieur au travail, le party de Noël apparaît comme une anomalie où tout devient permis lorsqu'on prend un verre de trop. Ça revient donc au principe du less is more: plusieurs petites soirées à chaque mois, d'une durée plus brève, sont préférables à une seule soirée dans l'année, parce qu'elles évitent de concentrer en un seul point dans le temps différentes tensions socio-affectives. (Les déjeuners d'affaires et le café entre les couturières semblent ainsi être des alternatives moins problématiques que les 5@7)


La perspective d'un organisme sans but lucratif (osbl)


Dans le cadre d'un osbl, malgré l'absence de recherche de profits, la productivité reste un élément crucial: par exemple, un organisme comme Jeunesse au soleil (Sun Youth) assemble et distribue des paniers (activités de tâches) de Noël permettant de nourrir de nombreuses familles, et il faut donc que ces paniers soient disponibles à temps. Les bénévoles, même s'ils ne sont pas salariés, doivent tout de même être rémunérés. Cette rémunération peut prendre différente formes: meubler un c.v., promouvoir une cause, socialiser, etc. Même s'il ne s'agit que de vouloir «donner sans recevoir» de la part d'une personne bien intentionnée, la promotion d'une valeur de l'altruisme au sein de la société est une forme de rémunération pour le bénévole qui y croit. Bref, même les charités et les osbl ont des besoins en matière de productivité et en politique de rémunération, tout comme ces organismes doivent faire des efforts pour attirer et fidéliser la main-d'oeuvre.


L'avantage d'un osbl par rapport à l'entreprise privée, c'est qu'il attire généralement des personnes qui ont des ancres de carrière compatibles (ancre de la cause sociale, ancre technique-fonctionnelle) avec les 5@7 (ou une variante de ce genre d'activité). Le second avantage, c'est que la distance hiérarchique entre les bénévoles et le coordonnateur joue un rôle de moindre envergure que dans les relations cadre-employés: l'absence de salaire réduit l'autorité et le rapport de forces, et seuls les cas les plus graves nécessitent des sanctions. Ainsi, le coordonnateur et le conseil exécutif peuvent pleinement participer à l'activité sociale sans craindre de développer une trop grande proximité sociale avec les membres du groupe.


UNE APPLICATION CONCRÈTE:
LES SOIRÉES ART-CULTURE AUTOCHTONES
DU CPNUQAM


Le Cercle des Premières Nations de l'UQAM (CPNUQAM) est une association étudiante de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) possédant le statut d'organisme sans but lucratif (osbl) depuis 1994. Un des buts de l'organisme, dont je fais partie (mais mes opinions dans ce blog sont les miennes et non celles du groupe), est de promouvoir et de diffuser les cultures autochtones. Dans la poursuite de ce mandat, le CPNUQAM organise annuellement un événement d'envergure et ce, malgré des ressources disponibles limitées. Souvent, ces activités sont lancées conjointement avec d'autres associations ou des chaires d'études.

À titre d'exemples récents figurent:


Paroles et Pratiques artistiques autochtones au Québec d'aujourd'hui (2008)
KÉBEK: La place des Premières Nations dans un Québec interculturel (2010)


Si ces événements ont connu un succès auprès des publics ciblés (segments de marché) et même du grand public, ils ont tout de même requis une quantité importante d'effort de la part des membres de l'organisation, qui ont tous déjà un boulot en plus d'être aux études, certains étant mêmes doctorants.; d'autres ont déjà des carrières, mais maintiennent encore des liens avec l'organisme même après l'obtention du diplôme. Un des principaux défauts de vouloir concentrer tous les efforts du groupe vers un seul événement annuel, c'est qu'on attire l'attention du public certes, mais à défaut de présenter d'autres activités, l'organisme retombe vite dans l'oubli. C'est beaucoup d'efforts déployés pour recommencer à zéro à chaque année.


En 2010, les choses ont changé lorsque les membres du CPNUQAM se sont familiarisés avec le modèle de la dynamique de groupes d'Yves Saint-Arnaud et ont constaté que le groupe mettait trop l'accent sur les activités de tâches et pas assez sur les activités de solidarisation. Certes, il y avait déjà un party de Noël et une célébration enthousiaste de la Saint-Patrick, ainsi qu'un lot de sorties occasionnelles, mais rien de fondamentalement inscrit dans la stratégie de l'organisme permettant de fidéliser les bénévoles: ces événements étaient ponctuels et se produisaient de manière aléatoire. En constatant le manque à gagner en matière d'activités de solidarisation et en voulant revenir à la racine de ce que devait être une association étudiante, c'est-à-dire un organisme d'accueil et d'intégration, le CPN a lancé une série de 5@7 à partir de février 2010. L'organisation de ces soirées devait être simple: une réunion, tous les premiers jeudi de chaque mois (avec des exceptions en janvier et pour l'été) dans un établissement désigné par consensus, de façon à créer un rituel dans la culture organisationnelle; invités au rendez-vous sont les ami(e)s des membres de l'association, ainsi que les sympathisants déjà répétoriés dans les listes d'envoi et les médias sociaux, afin de tenir l'équivalent d'une séance «portes ouvertes» permettant de garder contact avec les gens extérieurs à l'organsime en même temps que l'activité de solidarisation entre les membres. Bref, le CPNUQAM a combiné une activité de GRH avec une occasion de marketing institutionnel, une façon de faire plus avec moins, sans à avoir à presser davantage le citron.


Rendu au troisième rendez-vous mensuel, l'événement s'est fixé définitivement au même lieu, le café-bar L'Escalier, simplifiant ainsi les planifications ultérieures et facilitant le développement du rituel chez les membres et les sympathisants, bien que le CPNUQAM ait décidé de faire relâche jusqu'en septembre, étant donné la fin de la session universitaire et le début des vacances d'été.


Au retour de l'automne, l'aspect marketing du 5@7 pris davantage d'importance par rapport au but initial de l'activité de solidarisation, en raison que cette soirée était devenue une façon d'afficher des liens que le CPNUQAM avait formellement consolidé avec d'autres organismes culturels autochtones de Montréal sous la bannière commune du Réseau ART-CULTURE, un réseau lui-même rattaché à une coalition plus vaste qu'est le Réseau pour la stratégie urbaine de la communauté autochtone à Montréal. Plutôt que d'avoir besoin simplement quelques tables à réserver d'avance pour accomoder les participants, l'association devait dorénavant réserver l'établissement en entier pour la date rituellement prévue (le premier jeudi de chaque mois) en raison du nombre accru de gens présents. Ajouté à ceci est le spectacle (gratuit), dorénavant greffé au 5@7, où participent ensemble des artistes autochtones, certains émergents, mais d'autres déjà connus et établis (e.g.: Kathia Rock, Shauit, Sakay Ottawa). Pour promouvoir l'événement, deux éléments: une affiche réalisée par l'artiste Christine Sioui Wawanoloath, facilement modifiable pour  faire la publicité des séances ultérieures ayant un contenu différent, et le recours au marketing viral, surtout avec le web et les réseaux sociaux, où chaque organisme du Réseau ART-CULTURE propage l'invitation à l'événement auprès de leurs propres membres et sympathisants. À partir de septembre 2010, le CPNUQAM a, donc effectivement, développé une façon de produire un événement mensuel permettant d'accroître par synergie sa visibilité er celle du Réseau ART-CULTURE, sans avoir à augmenter significativement l'effort à mettre en activité de tâches - ce qui est synonyme d'une productivé accrue. Présentement, ces soirées existent encore.

Inversément, si le CPNUQAM avait opté pour des méthodes traditionnelles axées uniquement sur les activités de tâches et les mesures coercitives, le groupe aurait probablement éclaté dans les premières semaines du recours à ces méthodes, l'absence de salaire limitant le pouvoir que l'organisme a sur ses membres.


CONCLUSION


Lorsqu'il est question de décisions à prendre à un niveau stratégique et tactique, il faut se méfier des outils qui sont simples à conceptualiser et à utiliser comme le sont les méthodes du drive system (méthode coercitive ou du «coup de pied au c...») et celle du downsizing, qui semblent trompeusement relever du «gros bon sens». Il est préférable de non seulement se demander «quoi faire?», mais aussi «pourquoi le fait-on?», afin de donner un fil conducteur aux différentes activités de l'organisme, permettant ainsi que celles-ci s'appuient mutuellement, bâtissant et consolidant sur les acquis, facilitant la croissance à long terme.

Finalement, si vous cherchez une excuse pour que votre organisme ait aussi son 5@7 sans passer pour un fêtard, vous pouvez maintenant puiser des éléments pertinents dans ce texte et ainsi vernir votre requête d'un cadre théorique cohérent.









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image (domaine public)
bière http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Photo0340.jpg
tir à la corde http://en.wikipedia.org/wiki/File:Irish_600kg_euro_chap_2009.JPG