Saturday, February 26, 2011

OSBL et stratégie organisationnelle 2


« Cette année, on va l’avoir, la coupe ! »


On peut souhaiter que l’équipe locale gagne le championnat, mais ce serait de la pensée magique de croire que des encouragements de la part des fans suffit pour qu’une équipe puisse atteindre ce but. Quand une équipe gagne peu, les fans ont tendance à délaisser les estrades… Atteindre un objectif aussi élevé que la coupe Stanley est un effort de longue haleine, un marathon et non un sprint. C’est l’effort de toute une saison, de nombreux matchs et de pratiques. La bonne volonté et un grand nombre de sympathisants est insuffisant pour atteindre les résultats souhaités. Au sport, comme à la guerre, il faut que l’organisation se donne concrètement une stratégie pour atteindre ses objectifs. La même logique s'applique pour organisme sans but lucratif (osbl).


LA STRATÉGIE ORGANISATIONNELLE


La stratégie organisationnelle permet d’établir un fil conducteur entre les différents projets, programmes, événements et activités de l’organisme de façon à assurer une cohérence et une synergie entre ces différents éléments. Au hockey, les différents matchs et les pratiques, les périodes d'entraînement et de repos, les séries éliminatoires et les finales ne sont pas des éléments indépendants et disparates, mais un ensemble d’activités qui, ensembles, contribuent à gagner la coupe.

Au Moyen Age, à l'ère des chevaliers et des châteaux-forts, quand une armée s’apprêtait à faire la guerre, elle pouvait opter pour une approche défensive ou offensive (ou une approche combinée, qu'on laisse de côté pour le moment). De manière simplifiée, si une armée adoptait une stratégie défensive, les efforts seraient alors déployés pour construire des fortifications et renforcer les murailles, faire bouillir l'huile, envoyer des éclaireurs et des espions pour mieux connaître les déplacements ennemis, stocker des vivres, et équiper les archers qui garderont l'ennemi à distance plutôt que d’envoyer massivement des troupes de l’autre côté des palissades de manière confuse dans une grande mêlée générale. Les décisions et les actions d'une armée doivent être cohérentes avec la stratégie établie, afin que tous focalisent les efforts vers le même but.

Quand une équipe de hockey désire la Coupe Stanley, elle peut choisir entre une stratégie offensive ou défensive. Par exemple, un club défensif misera sur les compétences du gardien de but et la robustesse de ses défenseurs. La «trappe» fera souvent partie du plan de match. Le choix d’une stratégie a un impact sur l’ensemble des décisions d’une organisation, sportive, militaire ou autre. Quand le propriétaire d’une équipe d’hockey opte pour une stratégie défensive, il embauche généralement un directeur-général qui partage le même point de vue. Le directeur-général sélectionnera par la suite un entraîneur et des joueurs qui correspondent aux attentes du propriétaire et les budgets que celui-ci est prêt à octroyer. De cette manière tous les membres de l’équipe adhéreront à une mission (gagner la coupe), à des idées communes et à la même culture organisationnelle.


«Mais notre osbl est trop petit pour avoir besoin d’une stratégie!»


Bien non.
 
La stratégie sert à optimiser les ressources pour accomplir au mieux la mission de l’organisme, c’est-à-dire, de faire plus avec moins. Comme vous êtes dans le milieu communautaire, vous avez problablement déjà moins… D’où l’intérêt de pouvoir maximiser les résultats de vos ressources, ou simplement de faire plus.


« Alors, quoi faire ? »


Comme on l'a déjà dans un texte précédent, une organisation doit de se doter d’une stratégie en se basant sur l’approche contingente, c’est-à-dire selon les réalités et les ressources qui sont propres à l’organisme, plutôt que d’adhérer intégralement et inflexiblement à une stratégie déjà toute faite.

Il faut donc agir logiquement et méthodiquement, en procédant par le processus de planification.




Pour une version plus élaborée de la planification stratégique, vous pouvez consulter l'ouvrage suivant:
BERGERON, Pierre G., La gestion dynamique: concepts, méthodes et applications, 4e édition, Gaëtan Morin Éditeur, 2006, p.214 


LE PROCESSUS DE PLANIFICATION


Phase 1: Le diagnostic


La première étape est de poser un diagnostic sur la situation de votre organisme, afin de connaître la nature de la problématique à laquelle la stratégie doit répondre. Souvent, face à un problème, on a tendance à vouloir avoir des réponses trop hâtivement pour agir immédiatement. Par exemple, dans une équipe de hockey, on peut blâmer l’entraîneur pour une suite de revers, mais après avoir congédier succesivement plusieurs entraîneurs, le propriétaire peut constater que le problème résulte d’un ensemble de facteurs entremêlés. Il peut alors continuer à congédier des entraîneurs, ou trouver les causes se situant à l’intérieur de l’équipe.

Avec la matrice SWOT (présentée dans le texte précédent) et les informations pertinentes, on est en mesure de choisir la bonne stratégie pour l’organisation, comme un médecin choisit le bon remède pour un patient. Comme les stratégies défensives et offensives des armées et des équipes sportives sont inadaptés pour les besoins et les buts des organismes communautaires, on peut plutôt parler de trois (3) types de stratégies appropriées au contexte d'un osbl:


1. La stratégie de croissance
2. La stratégie de maintien
3. La stratégie de retrait



Si vous êtes dans le milieu communautaire, votre organisme a probablement peu de ressources et pourrait bénéficier à en avoir davantage, que ce soit sous la forme de dons, de bénévoles, de réputation,  de visibilité, etc. Dans ce cas, l’organisation devrait adopter une stratégie de croissance, qui soutient la mission, tout en consolidant des gains au niveau de sa base du pouvoir (influence).


On peut modéliser la stratégie de croissance avec un triangle dont l’élargissement la base (base du pouvoir) contribue à accroître le succès de l’organisation. Plus la base s’élargit, plus le triangle gagne en taille.



Remarquez que ce triangle pointe vers la mission, tout comme une boussole pointe vers le nord, pour rappeler qu'il ne faut jamais perdre de vue la mission d'un organisme. La mission d'une armée est de vaincre l'adversaire, pas de livrer automatiquement le combat. Si on revient au domaine sport professionnel, on constate que bien que certains fans aient tendance à élever leur club préféré au niveau quasiment d’une religion, dans les faits, pour une équipe de hockey, la mission de l’organisation est d’être une entreprise commerciale rentable. Ceci nécessite l’atteinte d’objectifs comme la vente de billets, les droits de diffusion, des commanditaires, de la marchandises avec le logo de l’équipe, la location de loges corporatives, etc. Une équipe médiocre a de la misère à obtenir ces ressources: l’équipe doit donc être gagnante sur la glace. La mission d'un osbl joue un rôle tout aussi primordial dans le choix de ses activités, de ses objectifs.


Phase 2: Identification des objectifs




« Il n’y a pas de stratégie sans objectif. »


Outre le but de remplir sa mission et d’élargir sa base de pouvoir, l’organisation devrait énoncer de manière explicite les objectifs de cette stratégie. Les objectifs constituent les priorités que se donne un organisme dans son plan d’action. Par exemple, en constatant un manque de bénévoles dans son environnement interne (diagnostic), l’osbl peut ensuite se fixer l’objectif d’augmenter ses effectifs (objectif) par une campagne de recrutement (projet). On peut distinguer deux (2) types d’objectifs:

1. les objectifs terminaux
2. les objectifs instrumentaux



Par exemple, la conquête de la coupe Stanley est un but en lui-même, qui contribue à la mission de l’équipe de hockey, celui d’être rentable. C’est ce qu’on appelle un objectif terminal. Pour un organisme sans but lucratif, élargir la base du pouvoir (influence) est un objectif terminal.

Gagner la coupe ne se fait pas sans efforts. En plus du talent inné et individuel de chaque joueur, il faut aussi de la discipline pour développer et maintenir ce talent, et de l’esprit d’équipe pour concerter les efforts de chaque joueur, qui deviennent plus efficaces grâce à la synergie des talents. En étant plus disciplinés et en ayant plus d’esprit d’équipe, les joueurs peuvent gagner des matchs contre des équipes avec un talent individuel égal. La discipline et l’esprit d'équipe sont des objectifs instrumentaux à la victoire finale. On peut schématiser le tout avec la figure ci-dessous:




Selon ce modèle, l’atteinte de l’un des objectifs instrumentaux (la discipline ou l’esprit d’équipe) contribue à l’objectif terminal (être une équipe gagnante). Ceci est représenté par l’élargissement de la base du triangle et de la croissance du triangle lui-même, ainsi que chacun des objectifs situés sur un côté de ce triangle.


Pour un osbl, les objectifs sont évidemment différents de ceux visés par une équipe sportive. Néanmoins, le modèle du triangle du succès peut s’appliquer à l’organisation. Comme objectif terminal, une organisation peut souhaiter avoir plus d’influence dans la société pour faire avancer sa cause. En étant plus influent, le groupe peut convaincre davantage le public du bien-fondé de sa cause et inciter les gens à agir favorablement. C’est une façon d’élargir la base du pouvoir et de soutenir la mission. Pour avoir plus d’influence dans la société, le groupe doit être capable d’établir des liens avec la population et de se faire comprendre par celle-ci: le message véhiculé par l’organisme doit être pertinent avec la réalité du public qu’il essaie de contacter. Peu de gens font des dons à des collectionneurs de cure-dents, mais davantage s’impliquent pour la cause du SIDA.  La pertinence est donc un objectif instrumental. Aussi, lorsque les gens font des dons, ils s’attendent à ce que ceux-ci servent au maximum la cause: qui donnerait à une charité qui utilise 99% des sommes en frais administratifs? Il faut éviter le gaspillage et être efficients. L’efficience est un second objectif instrumental.



Phase 3: La planification d'une stratégie


En fixant ses objectifs (terminaux et instrumentaux), l’organisme peut alors planifier sa stratégie. La planification de la stratégie est un domaine d’études vaste qui dépasse le cadre de cette formation. Pour simplifier les choses un peu, on peut se limiter au modèle du triangle du succès, mais il est important noter qu’il existe d’autres manières de planifier la stratégie organisationnelle.



Source: D’ASTOUS, Alain et Jean-Paul SALLENAVE, Le marketing : de l’idée à l’action, Éditions Marie France, Montréal-Nord, 2000, p.508-509


Selon ce modèle («le triangle du succès»), l’atteinte de l’un des objectifs instrumentaux (la pertinence ou l’efficience) contribue à l’objectif terminal par l’élargissement de la base du pouvoir. On peut aussi élaborer davantage en ajoutant des sous-objectifs qui contribuent à leur tour aux objectifs instrumentaux, bien qu'il faut se rappeler que plus un plan est complexe, plus sa compréhension par l'ensemble des membres est difficile, ce qui réduit l'efficacité du plan.




Phase 4: La mise en oeuvre de la stratégie


Il s’agit ici d’établir des liens entre la stratégie organisationnelle, d’une part, et les activités, les projets, les programmes, les politiques officielles et les budgets, d’autre part. Pour une équipe d’hockey qui opte pour une stratégie défensive, le recrutement de joueurs robustes et intimidants, la formation d’un trio menaçant, et l’octroie de temps de glace à celui-ci sont des applications concrètes de cette stratégie.

Pour un organisme sans but lucratif, il faut aussi appliquer concrètement la stratégie dans la prise de décision, notamment en justifiant le choix de ses activités selon les objectfis de la stratégie. Par exemple, pour le Cercle des Premières Nations de l'UQAM (CPNUQAM,) l’organisation d’une ciné-soirée «Star Wars» pourrait attirer un vaste public étudiant, mais l’événement ne serait pas pertinent, car il ne contribue pas à sa mission d’aide auprès des étudiants autochtones. Cette justification des choix selon la stratégie doit se faire a priori (prévue d’avance) et non a posteriori (rationalisé après le fait accompli). Sinon, on fait n’importe quoi, avec à peine un mince vernis de stratégie pour se justifier.



Phase 5: Planification des programmes et des projets



Quand on planifie de façon détaillée une activité spécifique, ou qu’on prend une décision, il faut se justifier en fonction de la stratégie organisationnelle et des éléments qui s’y trouvent. Ceci demande du jugement de la part des organisateurs. La stratégie sert de fondation pour la construction de tout programme ou projet, et il faut s’y conformer, sinon les différentes activités perdent ce fil conducteur (synergie) qui permet de coordonner les efforts de l’organisme et des bénévoles. Les activités doivent être cohérentes entre elles.

Pour bien les différenciers, on peut dire que les projets sont des activités ponctuelles et les programmes sont des activité routinières. Par exemple, pour une équipe d’hockey, l’entraînement physique est un programme routinier qui appuie l’objectif instrumental de la discipline, parce que des joueurs talentueux qui ne s’entraînent pas deviennent moins performants sur la glace. Les projets, eux, ont un début et une fin clairement définis et ne servent qu’une fois (bien qu'une partie du plan peut être recyclée pour un autre projet similaire). Pour un organisme, la création d’un site web et son lancement est un projet, alors que la mise à jour subséquente du site web serait un programme. Dans le domaine du hockey, les acquisitions et les échanges de joueurs, ainsi que le congédiement et l’embauche d’entraîneurs, sont des événements exceptionnels et irréguliers au déroulement des matchs et de la saison, qui peuvent se qualifier comme étant des projets.

 

Phase 6: Évaluation des résultats (contrôle)


Un élément souvent oublié par les organisateurs est l’évaluation des résultats. Une fois une activité terminée, les bénévoles, essouflés ne prennent pas toujours le temps de réfléchir et de discuter des résultats, autrement que «c’était bien» ou «ça n’a pas marcher». Il faut scruter davantage afin de tirer le maximum de lecons dex expériences des membres, bonnes ou mauvaises. Au hockey, cette phase est bien connue chez les auditeurs de Ron Fournier. Les commentaires faits après chaque match permettent de faire ressortir les forces et faiblesses de l’équipe. Appliqué à l’organisme sans but lucratif, cette phase permet de réduire le temps nécessaire pour effectuer de futurs diagnostics (phase 1) et des planifications ultérieures. Cette phase permet de boucler la boucle et de construire successivement sur les acquis, plutôt que de laisser l'osbl dans un éternel recommencement.


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Images (domaine public)

Coupe Stanley:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Hhof_vault_rotated.jpg

Croisades:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:ConquestOfConstantinopleByTheCrusadersIn1204.jpg