Monday, February 21, 2011

Kahnawake 1838: Genèse de la situation actuelle?




Parmi les incidents du second soulèvement des Patriotes, on compte la bataille du dimanche 4 novembre 1838, à Kahnawake et qui oppose des Amérindiens aux Patriotes. Cet événement permettra au gouvernement colonial de mettre la main sur 64 Patriotes, capturés après leur défaite. L'interprétation traditionnelle de cet incident suggère une solidarité entre les Iroquois et les autorités britanniques, mais il faut tout de même nuancer avant de les identifier trop étroitement au camp des Loyaux, puisque les Mohawks cherchaient surtout à protéger leurs propres intérêts (Sossoyan, 1999).



Le lieu des affrontements est la réserve iroquoise de Kahnawake, localisée à proximité de Châteauguay, appelée à l'époque Seigneurie du Sault-Saint-Louis (Sossoyan, 1999). Le contexte historique est important, puisque l'attaque est lancée au lendemain du déclenchement du deuxième soulèvement au Bas-Canada, celui des Frères chasseurs. Les deux protagonistes, mentionnés précédemment, étaient les Mohawks, de Kahnawake, et les Patriotes, de Châteauguay. Dans le camp patriote on comptait trois meneurs: Joseph Duquet, Joseph-Narcisse Cardinal et François-Maurice Lepailleur (Burpee, 1926). Ils avaient comme effectifs environ 200 hommes, dont 60 dotés de fusils; les autres étaient armés d'épées, de fourches, d'outils et bâtons (Sossoyan, 1999). A Kahnawake, les leaders sont le chef de guerre Ignace Delisle, le missionnaire Mgr. Marcoux et Georges de Lorimier, un ami de Lepailleur. On considère qu'environ une quarantaine de Mohawks avaient pris les armes (Sossoyan, 1999). L'expédition patriote à Kahnawake devait avoir plusieurs objectifs. Le premier était de s'emparer des armes que possédaient les Mohawks, dans le but d'obtenir l'armement nécessaire à prendre d'assaut un camp militaire britannique à Laprairie. En obtenant ces armes, on voulait aussi désarmer les Mohawks, puisqu'on craignait qu'ils se rallient au gouvernement colonial. Le troisième objectif visait à conclure une alliance (ou du moins obtenir la neutralité), des Mohawks, ce qui explique l'importance de pourparlers qui auront lieu au début des hostilités. Un autre but visé était la répercussion politique qu'aurait provoqué l'occupation de Kahnawake, une réserve amérindienne, puisqu'elle aurait donné aux Patriotes le statut de belligérants. Ceci évitait que les insurgés puissent être traités comme des simples criminels et subissent la pendaison. On prévoyait aussi la saisie de vivres, mais il s'agit ici d'un moyen de motiver certains Patriotes récalcitrants par l'appât du gain. De l'autre côté, la mobilisation des Mohawks repose sur des motifs surtout défensifs: le fusil était un outil indispensable pour la survie de la communauté; bien que les Mohawks avait une économie basée sur l'agriculture (Taylor, 1992), mais quand les récoltes étaient décevantes, il fallait pallier à ce problème par la chasse. (Sossoyan, 1999). L'idée de céder les armes aux Patriotes était donc absurde pour les Mohawks.


L'incident commença avant l'aube, vers deux heures du matin, par un rassemblement de 200 Patriotes à Châteauguay, ressemblant davantage à une émeute qu'à une armée. Le recrutement s'était fait de façon douteuse: on utilisait des rumeurs d'une menace amérindienne et on a menacé certains de brûler leur fermes, ou même de mort, s'ils ne participaient pas (Sossoyan, 1999). Néanmoins, malgré l'emploi de telles méthodes, le nombre de fuyards est assez élevé.


Vers sept heures du matin, les Patriotes arrivèrent à la chapelle Saint-Jean- Baptiste, près de Kahnawake, et prirent en otage la douzaine de Mohawks (Sossoyan, 1999) qui priaient, puisque c'était dimanche. Plutôt que de mener immédiatement l'attaque, on en envoya quelques uns faire des pourparlers; les autres restaient cachés dans le bois, à l'extérieur de Kahnawake, afin de bénéficier de l'effet de surprise. L'effet de surprise aurait d'ailleurs réussit si ce n'avait été d'une vieille femme mohawk qui était à la recherche d'une vache perdue et qui tomba accidentellement sur les Patriotes dissimulés. Vers neuf heures, le village est mis sur le pied d'alerte et rapidement les Mohawks se mobilisent; un des leurs, Jacques Sohahio, partira pour Lachine afin d'obtenir le support des Lachine Volunteers (Sossoyan, 1999).


Pendant ce temps, Cardinal et Duquet, envoyés pour entreprendre des pourparlers, cherchent sans succès de gagner à leur cause deux résidents de Kahnawake: Georges de Lorimier et Ignace Delisle. Les Mohawks enverront une délégation de 10 personnes, parmi lesquels figurent de Lorimier et Ignace Delisle. Ils iront retrouver Lepailleur, accompagnés de 64 à 75 Patriotes dissimulés dans le bois, et lui demander d'aller parlementer au village (Sossoyan, 1999). Après une brève tentative d'intimider la délégation, Lepailleur accepte de se rendre avec ses hommes au village afin d'y discuter. À peine rendus au village, les Patriotes sont encerclés par une trentaine de Mohawks (Sossoyan, 1999). Bien que supérieurs en nombre, les Patriotes étaient peu enclins à se battre, et acceptèrent de se rendre. Avant la fin du matin, le combat était terminé et les Lachine Volunteers étaient arrivés trop tard. Vers deux heures de l'après-midi, douze heures après le début de l'incident, les Patriotes ayant pris part au raid sur Kahnawake étaient incarcérés à Montréal (Sossoyan, 1999).


Bien que l'incident lui-même était terminé, les Mohawks restèrent mobilisés jusqu'au lendemain, car à partir de quatre heures de l'après-midi, on se met à craindre une deuxième attaque au cours de laquelle les Patriotes, armés de canons, effectueraient des représailles contre la communauté. Il s'agira ici d'une fausse alerte alimentée par des rumeurs, mais la crainte était assez sérieuse pour que Mgr Marcoux, vers onze heures du soir, envoie une lettre demandant du renfort aux autorités britanniques (Sossoyan, 1999).


L'expédition des Patriotes sur Kahnawake a été un échec qui a conduit à la pendaison de deux de ses chefs, Cardinal et Duquet, à la Prison du Pied-du-Courant, le 21 décembre 1838. Le principal impact de cet incident aura été d'intensifier l'hostilité et, surtout, la crainte mutuelle entre les Mohawks et les Patriotes. De plus, le soutien des Lachine Volunteers pour protéger la communauté de Kahnawake aura eu pour effet de rapprocher les Mohawks du camp des Loyaux. Vraisemblablement, les Mohawks seraient restés neutres durant les troubles de 1837- 1838 si les Patriotes n'avaient pas tenté d'investir Kahnawake.





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SOSSOYAN, Matthieu, The Iroquois and the Lower-Canadian Rebellions, 1837-1838, chapitre 3, McGill University, Montréal, juillet 1999. ; BURPEE, L.J., The Oxford encyclopedia of Canadian history, Toronto, 1926: 173. ; TAYLOR, Colin, "Le Nord-Est", dans Les Indiens d'Amérique du nord, éditions Solar,1992: 231-233.

Texte paru originalement en 2000.

Images (sujet à des droits d'auteur)

Mohawk, crédit photo: Marc Saindon

Images (domaine public)

Patriotes:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Patriotes_%C3%A0_Beauharnois_en_novembre_1838_.jpg
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Pendaison_Patriotes_Montreal_1839.JPG