Saturday, February 26, 2011

OSBL et stratégie organisationnelle 2


« Cette année, on va l’avoir, la coupe ! »


On peut souhaiter que l’équipe locale gagne le championnat, mais ce serait de la pensée magique de croire que des encouragements de la part des fans suffit pour qu’une équipe puisse atteindre ce but. Quand une équipe gagne peu, les fans ont tendance à délaisser les estrades… Atteindre un objectif aussi élevé que la coupe Stanley est un effort de longue haleine, un marathon et non un sprint. C’est l’effort de toute une saison, de nombreux matchs et de pratiques. La bonne volonté et un grand nombre de sympathisants est insuffisant pour atteindre les résultats souhaités. Au sport, comme à la guerre, il faut que l’organisation se donne concrètement une stratégie pour atteindre ses objectifs. La même logique s'applique pour organisme sans but lucratif (osbl).


LA STRATÉGIE ORGANISATIONNELLE


La stratégie organisationnelle permet d’établir un fil conducteur entre les différents projets, programmes, événements et activités de l’organisme de façon à assurer une cohérence et une synergie entre ces différents éléments. Au hockey, les différents matchs et les pratiques, les périodes d'entraînement et de repos, les séries éliminatoires et les finales ne sont pas des éléments indépendants et disparates, mais un ensemble d’activités qui, ensembles, contribuent à gagner la coupe.

Au Moyen Age, à l'ère des chevaliers et des châteaux-forts, quand une armée s’apprêtait à faire la guerre, elle pouvait opter pour une approche défensive ou offensive (ou une approche combinée, qu'on laisse de côté pour le moment). De manière simplifiée, si une armée adoptait une stratégie défensive, les efforts seraient alors déployés pour construire des fortifications et renforcer les murailles, faire bouillir l'huile, envoyer des éclaireurs et des espions pour mieux connaître les déplacements ennemis, stocker des vivres, et équiper les archers qui garderont l'ennemi à distance plutôt que d’envoyer massivement des troupes de l’autre côté des palissades de manière confuse dans une grande mêlée générale. Les décisions et les actions d'une armée doivent être cohérentes avec la stratégie établie, afin que tous focalisent les efforts vers le même but.

Quand une équipe de hockey désire la Coupe Stanley, elle peut choisir entre une stratégie offensive ou défensive. Par exemple, un club défensif misera sur les compétences du gardien de but et la robustesse de ses défenseurs. La «trappe» fera souvent partie du plan de match. Le choix d’une stratégie a un impact sur l’ensemble des décisions d’une organisation, sportive, militaire ou autre. Quand le propriétaire d’une équipe d’hockey opte pour une stratégie défensive, il embauche généralement un directeur-général qui partage le même point de vue. Le directeur-général sélectionnera par la suite un entraîneur et des joueurs qui correspondent aux attentes du propriétaire et les budgets que celui-ci est prêt à octroyer. De cette manière tous les membres de l’équipe adhéreront à une mission (gagner la coupe), à des idées communes et à la même culture organisationnelle.


«Mais notre osbl est trop petit pour avoir besoin d’une stratégie!»


Bien non.
 
La stratégie sert à optimiser les ressources pour accomplir au mieux la mission de l’organisme, c’est-à-dire, de faire plus avec moins. Comme vous êtes dans le milieu communautaire, vous avez problablement déjà moins… D’où l’intérêt de pouvoir maximiser les résultats de vos ressources, ou simplement de faire plus.


« Alors, quoi faire ? »


Comme on l'a déjà dans un texte précédent, une organisation doit de se doter d’une stratégie en se basant sur l’approche contingente, c’est-à-dire selon les réalités et les ressources qui sont propres à l’organisme, plutôt que d’adhérer intégralement et inflexiblement à une stratégie déjà toute faite.

Il faut donc agir logiquement et méthodiquement, en procédant par le processus de planification.




Pour une version plus élaborée de la planification stratégique, vous pouvez consulter l'ouvrage suivant:
BERGERON, Pierre G., La gestion dynamique: concepts, méthodes et applications, 4e édition, Gaëtan Morin Éditeur, 2006, p.214 


LE PROCESSUS DE PLANIFICATION


Phase 1: Le diagnostic


La première étape est de poser un diagnostic sur la situation de votre organisme, afin de connaître la nature de la problématique à laquelle la stratégie doit répondre. Souvent, face à un problème, on a tendance à vouloir avoir des réponses trop hâtivement pour agir immédiatement. Par exemple, dans une équipe de hockey, on peut blâmer l’entraîneur pour une suite de revers, mais après avoir congédier succesivement plusieurs entraîneurs, le propriétaire peut constater que le problème résulte d’un ensemble de facteurs entremêlés. Il peut alors continuer à congédier des entraîneurs, ou trouver les causes se situant à l’intérieur de l’équipe.

Avec la matrice SWOT (présentée dans le texte précédent) et les informations pertinentes, on est en mesure de choisir la bonne stratégie pour l’organisation, comme un médecin choisit le bon remède pour un patient. Comme les stratégies défensives et offensives des armées et des équipes sportives sont inadaptés pour les besoins et les buts des organismes communautaires, on peut plutôt parler de trois (3) types de stratégies appropriées au contexte d'un osbl:


1. La stratégie de croissance
2. La stratégie de maintien
3. La stratégie de retrait



Si vous êtes dans le milieu communautaire, votre organisme a probablement peu de ressources et pourrait bénéficier à en avoir davantage, que ce soit sous la forme de dons, de bénévoles, de réputation,  de visibilité, etc. Dans ce cas, l’organisation devrait adopter une stratégie de croissance, qui soutient la mission, tout en consolidant des gains au niveau de sa base du pouvoir (influence).


On peut modéliser la stratégie de croissance avec un triangle dont l’élargissement la base (base du pouvoir) contribue à accroître le succès de l’organisation. Plus la base s’élargit, plus le triangle gagne en taille.



Remarquez que ce triangle pointe vers la mission, tout comme une boussole pointe vers le nord, pour rappeler qu'il ne faut jamais perdre de vue la mission d'un organisme. La mission d'une armée est de vaincre l'adversaire, pas de livrer automatiquement le combat. Si on revient au domaine sport professionnel, on constate que bien que certains fans aient tendance à élever leur club préféré au niveau quasiment d’une religion, dans les faits, pour une équipe de hockey, la mission de l’organisation est d’être une entreprise commerciale rentable. Ceci nécessite l’atteinte d’objectifs comme la vente de billets, les droits de diffusion, des commanditaires, de la marchandises avec le logo de l’équipe, la location de loges corporatives, etc. Une équipe médiocre a de la misère à obtenir ces ressources: l’équipe doit donc être gagnante sur la glace. La mission d'un osbl joue un rôle tout aussi primordial dans le choix de ses activités, de ses objectifs.


Phase 2: Identification des objectifs




« Il n’y a pas de stratégie sans objectif. »


Outre le but de remplir sa mission et d’élargir sa base de pouvoir, l’organisation devrait énoncer de manière explicite les objectifs de cette stratégie. Les objectifs constituent les priorités que se donne un organisme dans son plan d’action. Par exemple, en constatant un manque de bénévoles dans son environnement interne (diagnostic), l’osbl peut ensuite se fixer l’objectif d’augmenter ses effectifs (objectif) par une campagne de recrutement (projet). On peut distinguer deux (2) types d’objectifs:

1. les objectifs terminaux
2. les objectifs instrumentaux



Par exemple, la conquête de la coupe Stanley est un but en lui-même, qui contribue à la mission de l’équipe de hockey, celui d’être rentable. C’est ce qu’on appelle un objectif terminal. Pour un organisme sans but lucratif, élargir la base du pouvoir (influence) est un objectif terminal.

Gagner la coupe ne se fait pas sans efforts. En plus du talent inné et individuel de chaque joueur, il faut aussi de la discipline pour développer et maintenir ce talent, et de l’esprit d’équipe pour concerter les efforts de chaque joueur, qui deviennent plus efficaces grâce à la synergie des talents. En étant plus disciplinés et en ayant plus d’esprit d’équipe, les joueurs peuvent gagner des matchs contre des équipes avec un talent individuel égal. La discipline et l’esprit d'équipe sont des objectifs instrumentaux à la victoire finale. On peut schématiser le tout avec la figure ci-dessous:




Selon ce modèle, l’atteinte de l’un des objectifs instrumentaux (la discipline ou l’esprit d’équipe) contribue à l’objectif terminal (être une équipe gagnante). Ceci est représenté par l’élargissement de la base du triangle et de la croissance du triangle lui-même, ainsi que chacun des objectifs situés sur un côté de ce triangle.


Pour un osbl, les objectifs sont évidemment différents de ceux visés par une équipe sportive. Néanmoins, le modèle du triangle du succès peut s’appliquer à l’organisation. Comme objectif terminal, une organisation peut souhaiter avoir plus d’influence dans la société pour faire avancer sa cause. En étant plus influent, le groupe peut convaincre davantage le public du bien-fondé de sa cause et inciter les gens à agir favorablement. C’est une façon d’élargir la base du pouvoir et de soutenir la mission. Pour avoir plus d’influence dans la société, le groupe doit être capable d’établir des liens avec la population et de se faire comprendre par celle-ci: le message véhiculé par l’organisme doit être pertinent avec la réalité du public qu’il essaie de contacter. Peu de gens font des dons à des collectionneurs de cure-dents, mais davantage s’impliquent pour la cause du SIDA.  La pertinence est donc un objectif instrumental. Aussi, lorsque les gens font des dons, ils s’attendent à ce que ceux-ci servent au maximum la cause: qui donnerait à une charité qui utilise 99% des sommes en frais administratifs? Il faut éviter le gaspillage et être efficients. L’efficience est un second objectif instrumental.



Phase 3: La planification d'une stratégie


En fixant ses objectifs (terminaux et instrumentaux), l’organisme peut alors planifier sa stratégie. La planification de la stratégie est un domaine d’études vaste qui dépasse le cadre de cette formation. Pour simplifier les choses un peu, on peut se limiter au modèle du triangle du succès, mais il est important noter qu’il existe d’autres manières de planifier la stratégie organisationnelle.



Source: D’ASTOUS, Alain et Jean-Paul SALLENAVE, Le marketing : de l’idée à l’action, Éditions Marie France, Montréal-Nord, 2000, p.508-509


Selon ce modèle («le triangle du succès»), l’atteinte de l’un des objectifs instrumentaux (la pertinence ou l’efficience) contribue à l’objectif terminal par l’élargissement de la base du pouvoir. On peut aussi élaborer davantage en ajoutant des sous-objectifs qui contribuent à leur tour aux objectifs instrumentaux, bien qu'il faut se rappeler que plus un plan est complexe, plus sa compréhension par l'ensemble des membres est difficile, ce qui réduit l'efficacité du plan.




Phase 4: La mise en oeuvre de la stratégie


Il s’agit ici d’établir des liens entre la stratégie organisationnelle, d’une part, et les activités, les projets, les programmes, les politiques officielles et les budgets, d’autre part. Pour une équipe d’hockey qui opte pour une stratégie défensive, le recrutement de joueurs robustes et intimidants, la formation d’un trio menaçant, et l’octroie de temps de glace à celui-ci sont des applications concrètes de cette stratégie.

Pour un organisme sans but lucratif, il faut aussi appliquer concrètement la stratégie dans la prise de décision, notamment en justifiant le choix de ses activités selon les objectfis de la stratégie. Par exemple, pour le Cercle des Premières Nations de l'UQAM (CPNUQAM,) l’organisation d’une ciné-soirée «Star Wars» pourrait attirer un vaste public étudiant, mais l’événement ne serait pas pertinent, car il ne contribue pas à sa mission d’aide auprès des étudiants autochtones. Cette justification des choix selon la stratégie doit se faire a priori (prévue d’avance) et non a posteriori (rationalisé après le fait accompli). Sinon, on fait n’importe quoi, avec à peine un mince vernis de stratégie pour se justifier.



Phase 5: Planification des programmes et des projets



Quand on planifie de façon détaillée une activité spécifique, ou qu’on prend une décision, il faut se justifier en fonction de la stratégie organisationnelle et des éléments qui s’y trouvent. Ceci demande du jugement de la part des organisateurs. La stratégie sert de fondation pour la construction de tout programme ou projet, et il faut s’y conformer, sinon les différentes activités perdent ce fil conducteur (synergie) qui permet de coordonner les efforts de l’organisme et des bénévoles. Les activités doivent être cohérentes entre elles.

Pour bien les différenciers, on peut dire que les projets sont des activités ponctuelles et les programmes sont des activité routinières. Par exemple, pour une équipe d’hockey, l’entraînement physique est un programme routinier qui appuie l’objectif instrumental de la discipline, parce que des joueurs talentueux qui ne s’entraînent pas deviennent moins performants sur la glace. Les projets, eux, ont un début et une fin clairement définis et ne servent qu’une fois (bien qu'une partie du plan peut être recyclée pour un autre projet similaire). Pour un organisme, la création d’un site web et son lancement est un projet, alors que la mise à jour subséquente du site web serait un programme. Dans le domaine du hockey, les acquisitions et les échanges de joueurs, ainsi que le congédiement et l’embauche d’entraîneurs, sont des événements exceptionnels et irréguliers au déroulement des matchs et de la saison, qui peuvent se qualifier comme étant des projets.

 

Phase 6: Évaluation des résultats (contrôle)


Un élément souvent oublié par les organisateurs est l’évaluation des résultats. Une fois une activité terminée, les bénévoles, essouflés ne prennent pas toujours le temps de réfléchir et de discuter des résultats, autrement que «c’était bien» ou «ça n’a pas marcher». Il faut scruter davantage afin de tirer le maximum de lecons dex expériences des membres, bonnes ou mauvaises. Au hockey, cette phase est bien connue chez les auditeurs de Ron Fournier. Les commentaires faits après chaque match permettent de faire ressortir les forces et faiblesses de l’équipe. Appliqué à l’organisme sans but lucratif, cette phase permet de réduire le temps nécessaire pour effectuer de futurs diagnostics (phase 1) et des planifications ultérieures. Cette phase permet de boucler la boucle et de construire successivement sur les acquis, plutôt que de laisser l'osbl dans un éternel recommencement.


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Images (domaine public)

Coupe Stanley:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Hhof_vault_rotated.jpg

Croisades:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:ConquestOfConstantinopleByTheCrusadersIn1204.jpg

OSBL et stratégie organisationnelle 1


31. Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même; en cent batailles vous ne courrez aucun danger.
32. Quand vous connaissez l’ennemi, mais que vous ne vous vous connaissez pas vous-même, vos chances de victoire sont égales.
33. Si vous êtes à la fois ignorant de l’ennemi et de vous-même, vous êtes sûr de vous trouver en péril à chaque bataille.

Sun Tzu, L'Art de la guerre




Sun Tzu
C'est un peu étrange de démarrer une réflexion sur le développpement communautaire en s'appuyant sur un traité portant sur la guerre, la paix et le conflit armée étant des activités contraires, tout comme l'est le recours à Sun Tzu, un général chinois du 5e siècle avant notre ère, pour comprendre le Québec du 21e siècle. Mais il reste les fondements d'une stratégie sont sensiblement les mêmes, que ce soit en marketing, en développement communautaire, dans le sport, dans les jeux de société, ou à la guerre: une approche planifiée pour atteindre des objectifs prémédités et ce, en prévoyant plusieurs coups d'avance le résultat souhaité. Dans le cas de Sun Tzu, celui-ci considérait la guerre comme étant néfaste l'économie et la prospérité du pays, une perte de temps et de ressources qui auraient pu être réaffecté ailleurs; d'où l'intérêt, lorsque le pays est contraint à la guerre par les pressions d'un pays voisin agressif, d'utiliser des méthodes qui minimisent le gaspillage, en armement autant qu'en vies humaines. L'approche logique et rationelle (basée sur l'accès et le contrôle de l'information) présentée dans L'Art de guerre permet au lecteur d’en tirer des leçons qui se transposent dans des situations concrètes. Des situations comme celles que vivent les organismes sans but lucratif (osbl), surtout quand elles ont des ambitions élevées et des ressources limitées.



L'ENVIRONNEMENT: NOTIONS DE BASE EN GESTION

D’abord, pour bien s’entendre sur les termes employés, le mot « environnement » en gestion n’a pas le même sens que dans la vie quotidienne, où il est souvent synonyme de nature et d’écologie. En gestion, le mot environnement concerne le milieu dans lequel l’organisation et ses membres évoluent.


L’environnement est composé de deux (2) parties complémentaires:

1. L'environnement externe
2. L'environnement interne





L'environnement externe


L’environnement externe est l’ensemble des éléments de l’organisation qui se situe à l’extérieur de celle-ci, et sur laquelle l’organisation n’a pas le contrôle. Dans cette mesure, l’environnement externe peut être perçu comme un adversaire, comme le serait, pour un général, l’armée adverse et les conditions du champ de bataille. Une bonne connaissance de l’environnement externe permet à une organisation de mieux performer.


31. Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même; en cent batailles vous ne courrez aucun danger.
32. Quand vous connaissez l’ennemi, mais que vous ne vous vous connaissez pas vous-même, vos chances de victoire sont égales.
33. Si vous êtes à la fois ignorant de l’ennemi et de vous-même, vous êtes sûr de vous trouver en péril à chaque bataille.



L’environnement externe est lui-même composé de cinq (5) dimensions (ce nombre peut varier selon la méthodologie employée) auxquelles il faut tenir compte:

 L’environnement politique et juridique
 L’environnement économique
 L’environnement socio-culturel
 L’environnement technologique
 L’environnement écologique et naturel
 L’environnement démographique

 …ou  simplement: «PESTED»


«Et de même que l’eau n’a pas de forme stable, il n’existe pas dans la guerre, de conditions permanentes.» (Sun Tzu)

En plus d'être multidimensionnel, l’environnement externe est en changement perpétuel et une organisation se doit d’éviter la complaisance et de s’adapter aux réalités de ces changements.
 
«Une armée peut être comparée exactement à de l’eau car, de même que le flot qui coule évite les hauteurs et se presse vers les terres basses, de même une armée évite la force et frappe la faiblesse.» (Sun Tzu)

Il est plus facile pour l’organisation de s’adapter à l’environnement externe, que de modifier celui-ci aux besoins et réalités de l’organisation. Si un bon joueur d’échecs connaît les positions des pièces adverses et prévoit les résultats de ses propres actions plusieurs coups d’avance (approche proactive) au lieu de jouer de façon spontanée à chaque tour (approche réactive), ou de manière aléatoire, alors une organisation devrait faire de même, en prenant connaissance de la situation de l’environnement externe et en anticipant les changements potentiels (opportunités, menaces). Bien qu'il est difficile de prédire avec succès l'avenir, la prudence demeure tout de même une vertu qui, elle, est facile à appliquer.




L’organisation se doit d’éviter de suivre des «modes» ou des «solutions miracles», en adoptant intégralement des modèles de gestion, comme le kaïzen par exemple. Certaines solutions ne sont pas adaptées aux réalités de l’organisation et de son environnement externe. On doit adopter une méthode propre à l’organisation elle-même, c’est-à-dire utiliser l’approche contingente et éviter la méthode du «One best way». Par exemple, inspirée du Japon, la firme Wal-Mart a adopté comme mesure celui du chant quotidien de l’hymne de l’entreprise par ses employés. Si cette solution fonctionne au Japon, c’est que les Japonais ont des valeurs plus collectivistes (environnement socio-culturel) et alors le chant de l’hymne de l’entreprise donne un sentiment d’appartenance et une source de motivation aux employés, alors qu'en Amérique du Nord, où les valeurs sont plus individualistes, cette mesure est peu appréciée, et elle réduit la motivation., parce qu'elle est perçue comme une obligation, une contrainte. Le maintien de cette mesure par Wal-Mart est irrationelle dans le contexte culturel nord-américain. Si on s'inspire du taoïsme (qui a certainement influencé Sun Tzu), on constate que l’eau est un élément associé au yin, un principe qui englobe des phénomènes comme la passivité, la féminité, la souplesse, etc. Le yin s’oppose notamment à l’agressivité du yang. L’approche contingente consiste donc à faire comme l’eau en prenant la forme du terrain, en adaptant l’organisme et ses méthodes aux réalités de l’environnement externe et aux ressources disponible: on favorise une approche douce plutôt que celle d'un rouleau-compresseur.


La mission


Évidemment l’approche contingente peut aussi finir par signifier «faire n’importe quoi, n’importe quand et n’importe comment». L’organisation doit alors se doter d’un objectif central, ainsi que de balises qui explicitent ses propres préférences. L’objectif central d’un organisme est sa mission. Cette mission doit être bien définie. La mission d’une armée est de vaincre l’adversaire, ce qui peut être atteint par la diplomatie, comme le général Sun Tzu le recommande, et non automatiquement en livrant bataille.

Il ne faut jamais perdre de vue la mission.

Donc, selon Sun Tzu, l’organisation devrait privilégier la diplomatie, éviter les conflits et le gaspillage que ceux-ci entraînent, ainsi que de chercher à développer et à consolider des partenariats exterieurs:  bref, valoriser la coopération plutôt que la compétition, ce qui diffère beaucoup du discours dominant actuel de concurrence à tout prix et de logique de «guerre totale» contre l'adversaire.

La mission appartient à l’environnement interne. Une organisation se doit d’équilibrer et d’harmoniser ses activités selon sa mission, ses ressources, ses membres et les réalités de l’environnement externe.




L'environnement interne


Si on peut concevoir  la relation de l’organisme avec l’environnement externe comme l’eau qui se transforme au contact de tout ce qu’elle touche, on peut alors symboliser les relations entre l'environnement interne, ses intrants (ressources)  et la mission, comme étant le feu, qui, par sa nature, transforme tout ce qu’il touche. Comme le feu, l’organisme doit activement transformer les composantes  de son environnement interne, et ce de manière à les rendre optimales afin que la mission soit atteinte. Pour revenir au taoïsme, le feu est associé au yang, un principe qui englobe des phénomènes comme l’agressivité, la masculinité, la rigidité, etc. Le yang s’oppose notamment à la passivité du yin, mais cette opposition n’est pas un dualisme de conflit absolu comme dans les religions judéo-chrétiennes, mais un ensemble harmonieux où s'épousent deux forces complémentaires. Pour bien mener la transformation des ressources dans un organisme, celui-ci doit être en mesure de bien connaître ses propres forces et faiblesses avant d'agir.


31. Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même; en cent batailles vous ne courrez aucun danger.
32. Quand vous connaissez l’ennemi, mais que vous ne vous vous connaissez pas vous-même, vos chances de victoire sont égales.
33. Si vous êtes à la fois ignorant de l’ennemi et de vous-même, vous êtes sûr de vous trouver en péril à chaque bataille.



Si on tente de se connaître soi-même en tant que osbl, on constate d'abord que la base d’un organisme est l’ensemble des individus qui le compose, les bénévoles. Chaque bénévole, à titre d’individu, a des besoins qui lui sont propres. Bien qu’un bénévole travaille sans salaire, il est tout de même motivé par un gain, c'est-à-dire la possibilité de combler un besoin. Ces besoins, Abraham Maslow les regroupe en  cinq (5) catégories: besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins sociaux, besoins d’estime, besoins d’actualisation de soi. L’expression personnalisée d’un besoin est une valeur; certaines de ces valeurs sont communes dans un groupe. La camaraderie (un besoin social) peut par exemple être comblé par un 5@7 ou toute autre activité de réseautage et de socialisation; le gain obtenu pour le bénévole dans ce cas est concret et visible. D'autre part, le gain souhaité par l’individu peut aussi être l’expression d’une valeur  plus abstraite: quelqu’un qui croit à l’entraide, à l'altruisme, peut travailler bénévolement dans une soupe populaire pour «amener du bien aux autres» et avoir comme rémunération la simple satisfaction d'avoir promu cette valeur au sein de la société. Une bonne compréhension des besoins individuels de membres, résultant d'une  évaluation routinière de l'état actuel de l'environnement interne, permet de concevoir des projets qui correspondent aux attentes et aux capacités des bénévoles.


La base du pouvoir (influence)


En ayant accès à davantage de ressources provenant de l’environnement externe, l’organisation peut utiliser cette base de pouvoir pour réussir sa mission. Certains peuvent voir négativement le mot «pouvoir» comme un nom commun, synonyme de démesure et de mégalomanie. Mais il faut voir celui-ci comme un verbe, c’est-à-dire «être capable de faire». Dans ce cas-ci, avoir du pouvoir assure la réussite de la mission. On peut aussi utiliser le mot « influence» pour désigne cet ensemble de ressources de l’environnement externe. Les ressources peuvent être financières (e.g.: dons, profits, capitaux propres), technologiques (e.g.: équipements performants, technologie unique), ou humaines (e.g.: bénévoles, employés compétents, personnel motivé). On compte aussi, parmi les éléments provenant de l’environnement externe qui renforcent la base de pouvoir, les exemples suivants:


La réputation (relations publiques et l'image auprès des autres organisme)
Les partenariats (les commanditaires, les subventions, les alliances stratégiques)
L'appui populaire («le mouvement», l'approbation du grand public)



La base de pouvoir s’appuie aussi sur l’environnement interne, parce que l’organisation apprend, développe ses compétences et son savoir-faire, et peut éventuellement utiliser les ressources externes de manière plus efficiente. Bref, une organisation, avec assez d’expérience, peu faire «plus, avec moins», c’est-à-dire optimiser le rendement des ressources utilisés en améliorant les méthodes utilisées. On compte, parmi les éléments provenant de l’environnement interne qui renforcent la base de pouvoir, les exemples suivants:


Les ressources humaines (bénévoles)
Les connaissances et expertises
Les actifs (équipement et technologie)
Le tissu social (solidarité, esprit d’équipe)



Si on schématise l'apport de l'environnement interne et externe, on peut obtenir le résultat suivant:






Il ne faut jamais perdre de vue la mission.

À travers ses activités et sa recherche d’influence, l’organisation ne doit pas oublier que la base du pouvoir est un outil, et non un but en lui-même. Comme la boussole qui pointe toujours vers le nord, on doit concevoir la base du pouvoir (le «quoi?») comme étant toujours orientée vers la poursuite de la mission de l’organisme (le «pourquoi?»).

Si le but de l’organisation (le «pourquoi?») est sa mission, et que la base du pouvoir est le principal outil (le «quoi?») qui permet sa réussite, la stratégie alors est le «comment?» de cette démarche. Sujet complexe dont le présent texte tente de trouver les mécanismes fondamentaux,  on peut toutefois résumer la stratégie comme étant le plan d’action global que se donne une organisation pour réaliser au mieux sa mission, selon les contraintes et les ressources qui lui sont spécifiques.




OUTIL DE DÉMARRAGE: LA MATRICE SWOT


 
Pour concevoir une stratégie organisationnelle, la matrice SWOT est un tableau  utile permettant de résumer les éléments importants de l’environnement, interne et externe. Ce tableau est pratique pour formuler une stratégie selon l’approche contingente, et l’ajuster au besoin lors d'une mise à jour. Son nom est un acronyme pour Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités) et Threats (menaces). Les forces et les faiblesses concernent l’environnement interne, tandis que les opportunités et les menaces concernes l’environnement externe. Il suffit simplement que le conseil d'administration (c.a.) remplissent chacune des cases avec les informations pertinentes. Dans un cas fictif, on peut obtenir le résultat suivant:




À partir de ce tableau, l'organisme est en mesure de mieux planifier ses activités pour les prochaines années. Si dans l'environnement interne, le manque de bénévoles est une faiblesse à laquelle il faut remédier avec des activités de recrutement et que l'esprit d'équipe est une force pour le groupe, peut-être qu'une série de journées porte-ouvertes permettrait à l'osbl d'attirer davantage de membres en mettant en évidence le plaisir que les volontaires actuels qu'ont en travaillant au sein de l'équipe. C'est aussi l'idée derrière le phénomène des lipdubs, bien que cette approche est à éviter puisqu'elle est maintenant considérée comme étant complètement ringarde par le grand public. En ce qui concerne l'environnement externe, les problèmes relatifs au financement signifie que l'organisme devrait faire davantage d'efforts, soit en obtenant plus de fonds par le biais de commandites provenant du secteur privé, de subventions du gouvernement et/ou de dons du grand public. L'organisme peut aussi dépenser moins, en combinant ses activités avec celles d'organismes alliés, permettant ainsi de faire des économies. Ou combiner les deux approches.


CONCLUSION


On pourrait longuement discuter de stratégie et des différentes applications de celle-ci, mais comme il s'agit d'un domaine d'études en lui-même, il préférable présentement s'en tenir à l'essentiel: dans une situation confuse, incertaine, évoluant sur un horizon temporel plus vaste, il faut se doter d'outils de réflexion et de conceptualisation qui sont supérieurs, plus sophistiqués, que le simple «gros bon sens», de la gestion «au jour le jour» et l'approche réactive, simplement pour se donner une direction, de bâtir sur les acquis, être prudent et doter une équipe d'un plan match que tous peuvent comprendre et suivre, focalisant ainsi les efforts et donnant des balises sur lesquelles les membres peuvent se fier et agir de manière autonome. 







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Sun Tzu:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Enchoen27n3200.jpg

Monday, February 21, 2011

Boycottage et contrebande tels que proposés par le Parti patriote




La pratique de la contrebande, c'est-à-dire la vente, le transport et l'achat de biens de nature ou de provenance illicite, a joué un rôle important dans le programme de dissidence des Patriotes, après le mécontentement provoqué par les 10 résolutions de Russell. En effet, l'attitude favorable des Patriotes à la circulation des marchandises de contrebande est une suite logique à une tentative de court-circuiter le régime colonial britannique, puisqu'on instaure une économie parallèle qui échappe au contrôle de la métropole et de ses administrateurs.


De plus, la contrebande permettait d'attaquer financièrement le gouvernement colonial. Les tarifs douaniers sur les importations sont une source de revenu pour les autorités. La substitution de biens d'origine britannique par des marchandises de contrebande est aussi nuisible aux industries et à l'économie de la métropole. Les Patriotes voudront donc éliminer l'appui commercial des autorités britanniques par l'instauration d'une économie parallèle, basée sur une certaine autarcie locale, sur les produits de contrebande provenant surtout des États-Unis et par l'arrêt de l'achat des produits britanniques.


Cette stratégie est similaire à celle employée par les rebelles américains, avant l'indépendance, pour contrer l'Angleterre. Les Américains ayant gagné leur indépendance, il est vraisemblable qu'elle pouvait être une source d'inspiration pour certains Patriotes. L'efficacité d'une économie parallèle est particulièrement observable en 1767, alors qu'un mouvement de boycottage des produits de la métropole permit de diminuer les importations de 50%, qui passent de 3.8 millions livres sterling à 1.9 millions de livres sterling (Bourdon et Lamarre, 1996). Les pertes enregistrées étaient considérables et ont affaibli la métropole.


le commerce triangulaire au XIXe siècle
Une autre préoccupation est un désir des Patriotes de renforcer une économie parallèle déjà en place, dans le but d'en faire un moyen de pression sur les autorités coloniales. On doit constater que la contrebande était un phénomène omniprésent dans les colonies britanniques. Le commerce illicite des biens, surtout provenant des États-Unis, fournissait, par exemple, 90% de la mélasse de Terre-Neuve en 1807 (Brown, 1990). Ce type d'approvisionnement de biens offrait aux colonies des produits tels le rhum, le thé et le sucre, à des prix avantageux pour les colons, et se faisait aux dépens de la métropole. En fait, le commerce avec les États-Unis avait pour effet d'affaiblir, sans qu'aucun motif politique ne soit en cause, le commerce triangulaire entre la métropole, ses colonies des Antilles et celles de l'Amérique du nord. Le renforcement de la contrebande aurait donné une poussée suffisante pour court-circuiter ce commerce triangulaire.


Louis-Joseph Papineau (1781-1876)
Le projet d'économie parallèle des Patriotes aura d'abord un volet licite: le boycottage. Cette forme passive de résistance encourageait la population à se priver de produits importés de la métropole et à les substituer, si possible, par des produits d'origine canadienne-française. Le deuxième volet de ce système économique est le recours, illicite, à la contrebande qui devait appuyer le boycottage. La mise en place de ce projet se fera lors de plusieurs assemblées populaires. Plusieurs motions favorables à la contrebande seront votées au cours de mai 1837. On visera à boycotter les importations, particulièrement celles qui sont sujet à des tarifs douaniers élevés: le thé, le tabac, le vin et le rhum (Le Canadien, 1837). On favorise le développement d'industries locales susceptibles de faire compétition à la métropole (La Minerve, 1837). Les motions votées préciseront aussi un appui à la contrebande. Ce type de commerce sera reconnu légitime par les Patriotes, et la dénonciation des contrebandiers auprès des autorités britanniques y sera proscrite (Le Canadien, 1837). Si on ne peut être certain de l'efficacité du recours à la contrebande contre les autorités britanniques, on peut toutefois avoir la certitude que l'implantation d'une économie parallèle n'était pas une idée marginale au sein du mouvement patriote, puisque Louis-Joseph Papineau ira lui-même donner son appui à ce type de stratégie. Lors d'un discours à l'assemblée de Saint-Laurent, le 15 mai 1837, Papineau appelle la foule au boycottage et à la contrebande, des moyens de pression qu'il préfère au recours aux armes (Frégault, 1963). Il y réitère et résume les motions déjà adoptées, et prêche par l'exemple. De plus, Papineau fait explicitement le lien entre l'utilisation de la contrebande par les Patriotes et celle qu'en ont fait les Américains:


«C'est la marche qu'ont pris les Américains, dix ans avant de combattre. Ils ont bien commencé, et ils ont bien fini dans des circonstances semblables à celles où nous sommes placés [...] je crois que nous devons [...] discontinuer l'usage des vins, eaux de vie, rhums et de toutes autres liqueurs spiritueuses, importées et taxées. [...] j'ai de suite renoncé à l'usage de sucre raffiné mais taxé, et acheté pour l'usage de ma famille du sucre d'érable; je me suis procuré du thé venu en contrebande [...] J'ai écrit à la campagne pour me procurer des toiles et des lainages fabriqués dans le pays, [...] me dispenser d'en acheter d'importation. J'ai cessé de mettre du vin sur ma table et j'ai dit à mes amis: Si vous voulez vous contenter [...] d'eau, de bière, ou de cidre canadiens» 

(Frégault, 1963)





En somme, la contrebande a été un moyen de pression économique que purent se permettre d'utiliser les Patriotes afin de faire avancer des revendications politiques auprès des autorités britanniques.







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Texte paru originalement en 2000.

LAMARRE, Jean et Yves BOURDON, Les États-Unis: mythes et réalités, éditions Beauchemin, Laval (Québec),1996: 43 BROWN, Craig Histoire générale du Canada, éditions du Boréal, Québec, 1990: 241 Le journal Le Canadien, édition du 15 mai 1837. Le journal de La Minerve, édition du 18 mai 1837. FRÉGAULT, Guy, Histoire du Canada par les textes, tome I, Montréal, éditions Fides, Montréal, 1963 :199..

Images (domaine public):

Patriotes:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Assembl%C3%A9e_des_six-comt%C3%A9s_painting.jpg
Louis-Jospeh Papineau:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Louis-Joseph_Papineau.jpg
Commerce triangulaire:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Triangular_trade.png

Kahnawake 1838: Genèse de la situation actuelle?




Parmi les incidents du second soulèvement des Patriotes, on compte la bataille du dimanche 4 novembre 1838, à Kahnawake et qui oppose des Amérindiens aux Patriotes. Cet événement permettra au gouvernement colonial de mettre la main sur 64 Patriotes, capturés après leur défaite. L'interprétation traditionnelle de cet incident suggère une solidarité entre les Iroquois et les autorités britanniques, mais il faut tout de même nuancer avant de les identifier trop étroitement au camp des Loyaux, puisque les Mohawks cherchaient surtout à protéger leurs propres intérêts (Sossoyan, 1999).



Le lieu des affrontements est la réserve iroquoise de Kahnawake, localisée à proximité de Châteauguay, appelée à l'époque Seigneurie du Sault-Saint-Louis (Sossoyan, 1999). Le contexte historique est important, puisque l'attaque est lancée au lendemain du déclenchement du deuxième soulèvement au Bas-Canada, celui des Frères chasseurs. Les deux protagonistes, mentionnés précédemment, étaient les Mohawks, de Kahnawake, et les Patriotes, de Châteauguay. Dans le camp patriote on comptait trois meneurs: Joseph Duquet, Joseph-Narcisse Cardinal et François-Maurice Lepailleur (Burpee, 1926). Ils avaient comme effectifs environ 200 hommes, dont 60 dotés de fusils; les autres étaient armés d'épées, de fourches, d'outils et bâtons (Sossoyan, 1999). A Kahnawake, les leaders sont le chef de guerre Ignace Delisle, le missionnaire Mgr. Marcoux et Georges de Lorimier, un ami de Lepailleur. On considère qu'environ une quarantaine de Mohawks avaient pris les armes (Sossoyan, 1999). L'expédition patriote à Kahnawake devait avoir plusieurs objectifs. Le premier était de s'emparer des armes que possédaient les Mohawks, dans le but d'obtenir l'armement nécessaire à prendre d'assaut un camp militaire britannique à Laprairie. En obtenant ces armes, on voulait aussi désarmer les Mohawks, puisqu'on craignait qu'ils se rallient au gouvernement colonial. Le troisième objectif visait à conclure une alliance (ou du moins obtenir la neutralité), des Mohawks, ce qui explique l'importance de pourparlers qui auront lieu au début des hostilités. Un autre but visé était la répercussion politique qu'aurait provoqué l'occupation de Kahnawake, une réserve amérindienne, puisqu'elle aurait donné aux Patriotes le statut de belligérants. Ceci évitait que les insurgés puissent être traités comme des simples criminels et subissent la pendaison. On prévoyait aussi la saisie de vivres, mais il s'agit ici d'un moyen de motiver certains Patriotes récalcitrants par l'appât du gain. De l'autre côté, la mobilisation des Mohawks repose sur des motifs surtout défensifs: le fusil était un outil indispensable pour la survie de la communauté; bien que les Mohawks avait une économie basée sur l'agriculture (Taylor, 1992), mais quand les récoltes étaient décevantes, il fallait pallier à ce problème par la chasse. (Sossoyan, 1999). L'idée de céder les armes aux Patriotes était donc absurde pour les Mohawks.


L'incident commença avant l'aube, vers deux heures du matin, par un rassemblement de 200 Patriotes à Châteauguay, ressemblant davantage à une émeute qu'à une armée. Le recrutement s'était fait de façon douteuse: on utilisait des rumeurs d'une menace amérindienne et on a menacé certains de brûler leur fermes, ou même de mort, s'ils ne participaient pas (Sossoyan, 1999). Néanmoins, malgré l'emploi de telles méthodes, le nombre de fuyards est assez élevé.


Vers sept heures du matin, les Patriotes arrivèrent à la chapelle Saint-Jean- Baptiste, près de Kahnawake, et prirent en otage la douzaine de Mohawks (Sossoyan, 1999) qui priaient, puisque c'était dimanche. Plutôt que de mener immédiatement l'attaque, on en envoya quelques uns faire des pourparlers; les autres restaient cachés dans le bois, à l'extérieur de Kahnawake, afin de bénéficier de l'effet de surprise. L'effet de surprise aurait d'ailleurs réussit si ce n'avait été d'une vieille femme mohawk qui était à la recherche d'une vache perdue et qui tomba accidentellement sur les Patriotes dissimulés. Vers neuf heures, le village est mis sur le pied d'alerte et rapidement les Mohawks se mobilisent; un des leurs, Jacques Sohahio, partira pour Lachine afin d'obtenir le support des Lachine Volunteers (Sossoyan, 1999).


Pendant ce temps, Cardinal et Duquet, envoyés pour entreprendre des pourparlers, cherchent sans succès de gagner à leur cause deux résidents de Kahnawake: Georges de Lorimier et Ignace Delisle. Les Mohawks enverront une délégation de 10 personnes, parmi lesquels figurent de Lorimier et Ignace Delisle. Ils iront retrouver Lepailleur, accompagnés de 64 à 75 Patriotes dissimulés dans le bois, et lui demander d'aller parlementer au village (Sossoyan, 1999). Après une brève tentative d'intimider la délégation, Lepailleur accepte de se rendre avec ses hommes au village afin d'y discuter. À peine rendus au village, les Patriotes sont encerclés par une trentaine de Mohawks (Sossoyan, 1999). Bien que supérieurs en nombre, les Patriotes étaient peu enclins à se battre, et acceptèrent de se rendre. Avant la fin du matin, le combat était terminé et les Lachine Volunteers étaient arrivés trop tard. Vers deux heures de l'après-midi, douze heures après le début de l'incident, les Patriotes ayant pris part au raid sur Kahnawake étaient incarcérés à Montréal (Sossoyan, 1999).


Bien que l'incident lui-même était terminé, les Mohawks restèrent mobilisés jusqu'au lendemain, car à partir de quatre heures de l'après-midi, on se met à craindre une deuxième attaque au cours de laquelle les Patriotes, armés de canons, effectueraient des représailles contre la communauté. Il s'agira ici d'une fausse alerte alimentée par des rumeurs, mais la crainte était assez sérieuse pour que Mgr Marcoux, vers onze heures du soir, envoie une lettre demandant du renfort aux autorités britanniques (Sossoyan, 1999).


L'expédition des Patriotes sur Kahnawake a été un échec qui a conduit à la pendaison de deux de ses chefs, Cardinal et Duquet, à la Prison du Pied-du-Courant, le 21 décembre 1838. Le principal impact de cet incident aura été d'intensifier l'hostilité et, surtout, la crainte mutuelle entre les Mohawks et les Patriotes. De plus, le soutien des Lachine Volunteers pour protéger la communauté de Kahnawake aura eu pour effet de rapprocher les Mohawks du camp des Loyaux. Vraisemblablement, les Mohawks seraient restés neutres durant les troubles de 1837- 1838 si les Patriotes n'avaient pas tenté d'investir Kahnawake.





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SOSSOYAN, Matthieu, The Iroquois and the Lower-Canadian Rebellions, 1837-1838, chapitre 3, McGill University, Montréal, juillet 1999. ; BURPEE, L.J., The Oxford encyclopedia of Canadian history, Toronto, 1926: 173. ; TAYLOR, Colin, "Le Nord-Est", dans Les Indiens d'Amérique du nord, éditions Solar,1992: 231-233.

Texte paru originalement en 2000.

Images (sujet à des droits d'auteur)

Mohawk, crédit photo: Marc Saindon

Images (domaine public)

Patriotes:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Patriotes_%C3%A0_Beauharnois_en_novembre_1838_.jpg
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Pendaison_Patriotes_Montreal_1839.JPG

Saturday, February 19, 2011

Comportement du Consommateur: Valoriser une approche ludique


En marketing, dans le cadre du cours Comportement du consommateur, j'ai lu le manuel Le comportement du consommateur (3e édition) écrit par Jean-Charles Chebat, Pierre Filiatrault et Michel Laroche. Si les contenus sont très intéressant, l'approche pour les présenter pourraient être remaniés un peu, question d'appliquer du marketing à l'enseignement du marketing lui-même. Après tout, si une publicité est un ensemble de répétitions d'entretien servant à inculquer un comportement ou une idée chez le consommateur ciblé, l'enseignement fait sensiblement la même chose chez l'étudiant. J'avais déjà auparavant amorcé cette rélexion avec le texte Comportement du Consommateur: «La Matrice d'Howard», en soulignant l'intérêt de schématiser davantage pour aller à l'essence d'une idée afin de faciliter sa transmission, son apprentissage, par simple souci d'efficience.


D'abord en ce qui concerne l'organisation du livre lui-même, la méthode conventionnelle de tout catégoriser en chapitres est valide, certes, mais ce n'est le genre de contenu qui risque de développer davantage la créativité chez un étudiant en marketing. Il y a un manque d'originalité, et l'expression «on ne change pas une formule gagnante!» devrait s'appliquer dans les matières plus austères comme la  comptabilité, et la finance pas le marketing. On pourrait aller puiser ailleurs, par exemple en litérature, et s'inspirer de l'auteur Umberto Eco. Dans son ouvrage Le nom de la rose, qui est conjugue habilement ensemble la fiction historique  se déroulant dans un monastère et le roman policier, Eco organise les chapitres selon les heures de la journée telles qu'elles étaient conçues à l'ère médiévale (Liturgie des Heures); ainsi, au lieu du traditionnel «chapitre 1», on peut lire «matines, jour 1». L'expression vêpres rajoute plus à l'ambiance que de dire «17h07», surtout qu'à l'époque du récit, il était difficile de déterminer avec autant de précision le moment exact de la journée. Dans un autre livre, Le Pendule de Foucault, Umberto Eco aborde avec scepticisme l'ésotérisme et les théories du complot, et donne comme titres à ses chapitres les titres des Sephiroth, symboles qui figurent dans la Kabbale, afin de contribuer l'atmosphère mystérieuse du récit. Bien qu'intéressants, ces deux thématiques n'ont peu ou pas de liens avec le marketing, bien la façon dont Umberto Eco s'y prend mérite bien un peu d'attention. Si on transpose la méthode en litérature d'Eco sur le contenu du livre Le comportement du consommateur, tout en prenant des sujets peut-être mieux adaptés pour le marketing, on peut transformer ce livre de façon à favoriser une approche plus ludique, en justifiant cette façon de faire avec la loi de l'effet en béhaviorisme, c'est-à-dire qu'un stimulus plaisant est plus susceptible de modifier un comportement (e.g.: l'apprentissage d'un concept) qu'un stimulus neutre ou déplaisant. Deux thématiques qui peuvent spontanément venir à l'esprit quand on aborde le sujet du comportement du consommateur (parmi une panoplie de choix possibles) sont celles de la partie de golf et celle de l'enquête policière.



SUGGESTION 1: LA PARTIE DE GOLF


Le contenant

Si on prend la méthode d'Umberto Eco et qu'on l'applique au manuel en choisissant la partie de golf comme thématique, il est possible de réorganiser le contenu en 18 chapitres (plutôt que les 14 actuels) correspondant à chacun des 18 trous d'un parcours, avec l'index à la fin figurant comme étant le «19ème trou». Un changement trivial, mais qui s'appuie sur la loi de l'effet pour mieux faire passer le message.

Le choix d'une discipline sportive comme thématique s'explique dans la mesure où le marketing est une discipline pratiquée dans un milieu très compétitif, comme le sont les tournois, et le futur mercaticien doit se préparer très tôt à cette réalité. Mais pourquoi le golf, un sport individuel? Lorsqu'on considère ce qu'est l'essence de la compétition, on réalise que ce n'est pas tant de vaincre l'adversaire qui compte (autrement, un athlète olympique pourrait courser contre des gamins de 6 ans et gagner à tout coup) que de se surpasser soi-même, de chercher l'excellence, en performance autant qu'en matière éthique (notion de fair-play et de sportsmanship). Alors que la plupart des autres sports imitent la guerre (hockey, football), le golf est sensiblement calqué sur la vie: le succès est un savant mélange de richesse personnelle, de qualité des outils, de talent individuel,  d'expérience,  d'état d'esprit, de l'influence de l'environnement... et d'un peu de chance.  Contrairement au hockey, dans lequel on doit compter le plus de but, le golf est un sport qu'on gagne en  ayant le pointage le plus bas, en faisant le moins de coups possibles à chaque trou et en évitant les erreurs (e.g.: en expédiant la balle dans la trappe de sable, dans le lac, etc.), ce qui est, en bout de ligne, la  même recherche d'efficience que doit viser un mercaticien. De plus, comme de nombreuses ententes à de hauts niveaux se prennent sur le terrain de golf, c'est simplement logique de familiariser le lecteur avec la terminologie et les pratiques de ce sport.


Le contenu

Au niveau de la matière abordée, il s'agit de garder le même contenu théorique, tout en le revêtant d'un vernis, ce qui peut sembler un superficiel. À titre d'exemple, si on prend la figure 5.10 à la page 119 du livre (le modèle de catégorisation de Brisoux et Laroche), on observe un tableau similaire à celui qui figure ci-contre.

Maintenant, si on modifie le tableau afin qu'il intègre aussi le golf, on obtient le résultat suivant:


 

Un changement modeste (qui fait peut-être sourciller) mais qui n'affecte pas la théorie que l'étudiant doit apprendre en tant que telle. Cette approche est plus susceptible de laisser une impression durable chez le lecteur que le ferait un énième tableau présenté avec la même esthétique que celle présentée originalement dans le livre Le comportement du consommateur.


On peut aussi changer plus dramatiquement le contenu du cours en utilisant d'autres de méthodes de schématisation que celles privilégiées dans le manuel. Par exemple,  à la page 59, on utilise un tableau similaire à celui de gauche pour illuster les caractéristiques des différents canaux de communication auxquels se réfèrent le consommateur lorsqu'il effectue une recherche pour un achat complexe, une simple matrice avec deux variables: la nature du canal de communication (personnel ou impersonnel) et le contrôle qu'exerce (ou non) le mercaticien sur cette source d'information. Le recours à l'imagerie du golf peut donner un résultat différent:




Dans ce modèle formé de cercles concentriques, on met en évidence que dans le parcours du consommateur avisé, celui-ci a tendance à aller d'abord vers les canaux de communication pour lesquels il a le plus confiance, en commençant par la recherche interne, c'est-à-dire ses propres souvenirs et expériences, puis il va vers les gens  de son entourage qu'il considère fiables et ayant une certaine expertise dans le domaine concerné (canaux personnels hors du contrôle du mercaticien), et ensuite les sources médiatiques qu'il juge étant neutre (canaux impersonnels hors du contrôle du mercaticien). En plus de la théorie, on peut intégrer au tableau un scénario de consommation en utilisant une méthode différente du tableau à deux variables présenté précédemment. Le changement est alors bien plus que superficiel.


SUGGESTION 2: L'ENQUÊTE POLICIÈRE


Comme thématique alternative, on peut aussi pour comparer l’étude d’un comportement du consommateur à l’enquête policière. L’acte d’achat et l’acte criminel sont effectivement des comportements humains, avec des facteurs situationnels et des motivations sous-jacentes. Si le policier travaille dans le but de prévenir et de réduire l’occurrence de certains comportements néfastes au sein de la société, le mercaticien travaille avec des méthodes similaires dans le but de promouvoir au sein de la société des comportements jugés comme étant positifs pour l’entreprise qui l’emploie. Certains peuvent peut-être critiquer le mercaticien comme étant à la source du «crime» qu'est la surconsommation (et tout le phénomène de la société de consommation), mais quand ceux-ci devraient prendre en considération le marketing sociétal, qui peut-être utiliser pour promouvoir des causes sociales (e.g.: l'équité salariale pour les femmes, un spectacle bénéfice) ou pour contrer des phénomènes nuisibles comme la pollution, la violence conjugale, les agressions sexuelles, la toxicomanie, l'alcoolisme, le décrochage scolaire, etc. Les gauchistes doivent comprendre que le problème n'est pas tant dans le contenant (le marketing) que dans le contenu (ce qu'on encourage). De plus, il ne faut pas oublier qu'en aidant la vente de produits, le responsable en marketing aide son entreprise à survivre, et donc assurent que les travailleurs de la firme gardent leurs emplois.


Mais revenons au comportement du consommateur en faisant écho aux idées d'Umberto en adoptant une thématique.


Le contenant

Si l'approche de la partie de golf met l'accent en partie sur la compétition,  celle de l'enquête policière met davantage celui-ci sur une vision plus analytique d'une situation donnée, axée sur la rigueur et le recours à pratiques méthodiques, qui renforcent l'habitude chez l'étudiant de toujours se référer aux  5 questions essentielles:


Quoi?
 Où?
Qui?
Quand?
Comment?
 Pourquoi?



En plus, on tisse des liens avec les séries policières, dont la popularité ne peut être démentie vue l'abandondance de l'offre à la télévision (CSI, Law and Order, Bones, X-Files, etc.), au cinéma, tout comme en litérature (Arthur Conan Doyle, Agatha Christie, etc.). S'associer à cette popularité, c'est de puiser dans la loi de l'effet pour donner une expérience d'apprentissage améliorée. Afin donner une atmosphère ludique au contenu théorique, on peut faire de nombreuses associations d'idées entre le comportement du consommateur et l'enquête policière:


- le crime: l'acte d'achat
- la scène de crime: le lieu de l'achat
- l'arme du crime: le mode de paiement
- les circonstances du crime: les facteurs situationnels
- le mobile: la motivation
- le récidivisme: la fréquence d'achat
- le complice du crime: le vendeur (ou une autre personne) lors de la vente
- l'enquêteur: le mercaticien
- l'enquête policière: l'enquête marketing
- le suspect: le consommateur
- la déposition du suspect: le témoignage du consommateur
- le rapport du coroner: l'étude de marché




Le contenu

On peut considérer que l’enquête criminelle étudie un acte (e.g. meurtre) qui est généré par des motivations intrinsèques et des facteurs circonstanciels, tout comme le marketing étudie des principes similaires  pour comprendre l'acte d’achat du consommateur. On pourrait aussi faire le pont entre ces deux domaines en effectuant une application de l’équation (2) du modèle d’intention comportementale de Fishbein (figurant à la page 136 du manuel) dans le domaine de la criminalité (plutôt que celui du magasinage): on constaterait probablement que les comportements criminels «d’opportunité» (e.g.:  l'achat de cigarettes de contrebande, excès de vitesse sur la route) sont plus fréquents que les actes plus haineux (e.g.: meurtre, viol) parce que ces derniers sont considérés comme étant particulièrement répréhensibles par le milieu social. Le milieu social lui-même a un impact, tout comme les valeurs qui y prédominent: il y a vraisemblablement plus de criminels chez les motards One percenter, où la violence et l'intimidation physiques sont des méthodes de persuasion considérées valides, que dans un club de bridge ou une équipe de curling, groupes pour lesquelles le recours à ces façons entraîne l'ostracisme. Inversément, les comportements jugés positifs par le milieu social, comme l'acquisition d'une BMW pour un consommateur évoluant dans une sous-culture yuppie et souscrivant aux valeurs de celles-ci,  ont plus de chances de se produire que ceux qui sont découragés (e.g.: l'achat d'une voiture de marque Lada).



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Images (domaine public):

Sherlock Holmes: http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Sherlock_holmes_pipe_hat.jpg
Scène de crime:
http://en.wikipedia.org/wiki/File:US_Army_CID_agents_at_crime_scene.jpg



Monday, February 14, 2011

Les 5@7, le béhaviorisme et la gestion




Dans l'économie actuelle au Québec, les phénomènes comme la mondialisation, les transformations démographiques (e.g.: le vieillissement de la population et l'éclatement du modèle familial traditionnel) et les changements technologiques amènent un besoin pour les organismes, privés ou publics, à but lucratif ou non, de faire plus avec moins, c'est-à-dire d''être plus performants et efficients. Une des façons pour encourager cette performance est la méthode intuitive du «drive system» (la méthode du «coup de pied au c...») et de répéter l'éternel leitmotiv «soyons plus productifs!» en pressant le citron jusqu'à la dernière goutte, sans vraiment conseiller les employés sur les façons de mieux s'y prendre (une pratique dénoncée notamment par Henry Mintzberg):


Classé récemment par le Wall Street Journal parmi les dix penseurs les plus influents dans le monde des affaires, Henry Mintzberg en a particulièrement contre une certaine conception des gains de productivité qui sévit aux États-Unis depuis une bonne quinzaine d'années, au plus grand contentement des économistes et autres analystes financiers, mais qu'il estime complètement décrochée de la réalité des entreprises.

Cette vision de l'efficacité repose souvent sur des dirigeants «de passage» traités comme des vedettes et qui gèrent les entreprises «par proclamation», déplore-t-il. «Ils vont décider, par exemple, que vous devez augmenter vos ventes de 10 % sans quoi vous prenez la porte. J'ai une petite-fille de six ans et elle peut diriger comme cela.»

Éric Desrosiers, Le Devoir, le 4 décembre 2010



L'autre méthode qui vient en tête est celle de l'avare, le downsizing, avec laquelle couper partout et augmenter la charge de travail des employés semblent être la solution à tout, sans prendre en compte que le syndrome du survivant et les dégâts au tissu social de l'organisme mitigent le succès de cette pratique. Ces deux méthodes sont celles qui apparaissent spontanément, sans trop de réflexion, et se rattache à une logique de «gros bon sens». Le common sense fonctionne peut-être au niveau opérationnel (activités routinières en contexte de certitude), mais donne des résultats qui laissent à désirer quand on tente de les appliquer à un niveau supérieur, surtout au niveau stratégique (contexte d'incertitude), où des outils supérieurs sont nécessaires. On ne peut  assurer la pérennité d'un organisme d'envergure en le gérant seulement au jour le jour, en planifiant les différents projets de manière aléatoire ou selon les humeurs, et en réagissant continuellement aux changements de l'environnement comme si on était né de la dernière pluie parce qu'on n'est pas assez prévoyants: comme dans une partie d'échecs, il faut planifier chaque décision selon les résultats qu'on souhaite obtenir et ce, plusieurs coups d'avance (avoir une approche proactive plutôt que réactive). Il ne s'agit pas seulement de savoir quoi faire, mais pourquoi on le fait. Dans cette optique, le downsizing et le «drive system» sont peut être des méthodes faciles à conceptualiser et à utiliser, mais elles laissent à désirer quant aux résultats qu'on espère réellement obtenir d'elles.


Est-ce qu'il y a d'autres choix?


Ce qu'on suggérer pour qu'un organisme développe davantage son efficience, c'est d'aborder le problème par une approche systémique, en travaillant sur chacun des aspects individuels des activités du groupe, renforcer un à un chaque maillon de la chaîne, plutôt que d'aller chercher une solution miracle ailleurs. Considérant qu'avec la tertiarisation accrue de l'économie  québécoise que le secteur des services est en plein expansion et que les tâches à accomplir sont davantage de nature interactive et complémentaireyou complete me») appartenant à un environnement dynamique plutôt que séquentielle et additive («la chaîne de montage») faisant partie d'un environnement statique, il apparaît alors que l'élément humain, la capacité de pouvoir communiquer l'information adéquatement, ainsi que de développer et d'entretenir de saines relations interpersonnelles dans le milieu du travail prennent davantage d'importance. Ces activités sociales demandent efforts, énergie, occasionnent du stress, et parfois dérapent dans des conflits interpersonnels qui ralentissent ou bloquent la productivité, ce qui amène l'intérêt chez le gestionnaire (qu'il oeuvre pour une entreprise ou un osbl) de prendre de mesures correctrices pour remédier aux problèmes existants ou potentiels, tout en encourageant les situations qui sont positives ou peuvent le devenir.


UN EXEMPLE: 
LE 5@7 DU BUREAU




Un programme qu'un organisme pourrait instituer pour améliorer son rendement  et la fidélisation de sa main-d'oeuvre à long terme est celui d'une série de réunions mensuelles informelles, basées sur le modèle familier du 5@7. A priori, ceci semble n'être qu'une bonne excuse pour aller prendre une bière et de faire du social - et c'est le cas. Toutefois, lorsqu'on étudie la loi de l'effet en béhaviorisme, la théorie bifactorielle de Frederick Herzberg, le fun theory et la dynamique de groupe, particulièrement le modèle d'Yves Saint-Arnaud, plusieurs éléments ressortent pour justifier ces soirées festives:


1. Le groupe est formé d'individus. Le groupe en lui-même n'a aucune source d'énergie qui lui est propre et est tributaire de la contribution de chacun des membres. Sans l'effort des individus le groupe lui-même ne fait rien.

2. Chaque membre possède deux (2) types d'énergies, qu'il apporte au groupe: l'énergie physique (capacité d'accomplir des tâches) et l'énergie affective (capacité de se solidariser avec les autres membres de l'équipe).

3. L'énergie physique sert à accomplir des activités de tâches. Dans un organisme sans but lucratif (osbl), ceci se manifeste par les tâches routinières quotidiennes, les réunions de l'éxecutif, la participation aux équipes de travail et aux assemblées générales, etc. Ces activités sont pour la plupart explicites et les membres sont conscients d'y participer au moment où elles se produisent. La rédaction d'un rapport a un début (la page blanche) et une fin (la version finalement approuvée par le patron) et durant le processus d'écriture, il facile d'observer le progrès dans la réalisation de cette tâche et de déterminer où l'employé est rendu.

4. L'énergie affective sert à accomplir des activités de solidarisation, qui renforce la qualité des relations interpersonnelles entre les membres, l'esprit d'équipe, le tissu social de l'organisation et la cohésion dans le groupe. Il y a une différence entre un groupe de personnes travaillant individuellement vers un but collectif et une équipe qui focalise ses efforts vers ce même but. Les activités de solidarisation sont pour la plupart implicites, des «effets secondaires» des activités de tâches. Les membres sont plus ou moins conscients de participer à des activités de solidarité, mais peuvent intuitivement constater le résultat en observant l'ambiance qui prévaut et le niveau de motivation au travail de leurs collègues. L'accueil et l'intégration d'un nouveau membre au sein de l'équipe de travail est une activité de solidarisation où on observe une situation initiale (gêne et timidité) et un résultat final (réduction de la distance et pleine intégration) sans qu'on puisse déterminer le moment exact où l'intégration s'effectue.

5. Les activités d'auto-régulation ont lieu pour coordonner les activités de tâches entre elles, fournir les informations pertinentes, passer à travers les diverses procédures de communication, motiver les troupes, ou pour régler les conflits interpersonnels au sein de l'équipe. Si les activités de tâches puisent dans l'énergie physique des membres et les activités de solidarisation s'appuient sur l'énergie affective, les activités d'auto-régulation n'ont, par contre, aucune source d'énergie qui lui est propre. Toute énergie attribuée aux activtés d'auto-régulation (portant le nom d'énergie d'entretien) est donc soustraite aux deux autres types d'activités.

6. L'énergie d'entretien explique en partie le phénomène des rendements marginaux décroissants, c'est-à-dire que des groupes plus petits sont (théoriquement) plus efficients que les  plus grandes organisations monolithiques, parce qu'ils demandent moins d'efforts à coordonner, ce qui signifie que plus d'énergie (affective et physique) pouvant être utilisée ailleurs; cette décroissance de la productivité inversément proportionnelle à la taille du groupe se compare à la location d'un film dans un club vidéo lors d'un samedi soir: si on y va seul, c'est plus rapide qu'à deux, parce qu'on n'a pas besoin de consulter l'autre sur le choix à prendre; si on est 3, c'est encore plus long, parce que l'autre personne donne aussi son avis, et chaque personne supplémentaire ralenti davantage le processus de sélection.



Le modèle de la dynamique de groupe d'Yves Saint-Arnaud


Dans le cas de la planification des activités de tâches, le travail est souvent déjà fait. dans la plupart des organisations, vues qu'elles entraînent un certains nombre d'heures travaillées, l'utilisation de ressources  et résultat final tangible (ou du moins facilement observable), l'ensemble étant généralement quantifiable. Mais en ce qui concerne les activités relevant de la solidarité dans le groupe, elles sont généralement implicites et donc on ne planifie généralement pas en fonction d'elles. Pour réaffecter une plus grande portion de l'énergie d'entretien (activités d'auto-régulation) à la productivité et pour que le milieu de travail lui-même devienne pour l'employé une source d'énergie affective (motivation extrinsèque), il faut prendre en considération de façon consciente et explicite le facteur humain (solidarité) en tant que «ressource» à développer dans la planification de futures activités et de faire des activités en fonction de ce sous-objectif d'efficience, plutôt que de se contenter de développer la solidarité comme une sorte de sous-produit (externalité positive) des activités de tâches, pour ceux qui prenne la peine d'y penser. Le tout, organisé et réalisé d'une manière suffisamment subtile pour que l'ensemble du groupe ne perçoivent pas l'activité comme une corvée additionnelle aux tâches habituelles (ça tuerait l'ambiance du 5@7). À première vue, ça semble être beaucoup d'efforts et de réflexions pour à peine deux heures passées à la brasserie chaque mois, mais les concepts derrière cette sortie de bureau peuvent se transposer sur d'autres programmes de récompense (plus complexes) visant à fidéliser la main-d'oeuvre, qu'elle soit salariée (entreprise) ou bénévole (osbl).


Une approche basée sur l’expérience du participant 


Plutôt que de planifier l’évenement à partir des objectifs du conseil d’administration et des cadres afin de construire une structure à laquelle le participant devra s’adapter (en planifiant verticalement du haut vers le bas ou «top-down approach»), on prendra davantage en considération les besoins, les préoccupations, les préférences et les objectifs du participant-type et on construira l’événement en fonction des critères de choix de celui-ci (en planifiant verticalement du bas vers le haut ou «bottom-up approach»). De cette manière faite sur mesure (approche contingente), on limite les risques d’insatisfaction des participants. Ce qui veut dire que le 5@7 doit être conçu en fonction des désirs réels des membres groupes: sans caricaturer, chez des couturières de 50 ans, l'événement peut être simplement d'aller prendre un café ensemble vu que le visionnement d'un match du Canadien dans une ambiance survoltée ne correspond (peut-être) pas aux attentes de celles-ci en matière de socialisation. Il faut que les membres soient réceptifs à la proposition et que l'idée d'elle-même semble spontanée. Le 5@7 peut être remplacé par un déjeuner d'affaires, une soirée vin et fromage, ou le démarrage d'une équipe de soccer, tout dépend du contexte, de la réceptivité et de la motivation des membres.

En marketing, un produit, c’est la promesse d’une satisfaction d’un besoin. Si on se base sur la théorie des besoins hiérarchiques de MaslowPyramide de Maslow»), on peut considérer que l’événement proposé en tant que produit relève de la catégorie des besoins d'appartenance et affectif (besoins supérieurs) ou, simplement, les besoins sociaux. Au sein la catégorie identifiée des besoins (les besoins sociaux) par le gestionnaire, on peut préciser davantage la nature de ces besoins par le biais des valeurs, parce que les valeurs sont l’expression personnelle d’un besoin: l'esprit d'équipe est une valeur rattachée aux besoins sociaux, comme l'est aussi la famille, la vie de couple, la collégialité, l'amitié, la camaraderie, etc. En identifiant les valeurs associées aux besoins sociaux du public ciblé dont on souhaite la participation, on peut utiliser celles-ci pour orienter l'organisation de l'événement: si la valeur qu'on souhaite encourager chez les membres de l'organisation est la collégialité entre les participants afin que ceux-ci tissent des liens entre eux permettant de mieux intégrer les nouveaux membres de l'équipe (activité de solidarisation) à la dynamique sociale de l'organisation, on doit opter pour un événement informel, casual, par simple souci de cohérence avec le but visé. Une soirée dans une brasserie correspond davantage à cette valeur de collégialité qu'une réunion formelle à même le lieu de travail, où la hiérarchie demeure encore bien apparente.

En se basant sur l'expérience du participant, on peut établir que ce dernier se conformera à trois (3) objectifs si l'activité de solidarisation est une réussite:


1. L’objectif subordonné: l’individu se présente à l’événement de plein gré. Il est physiquement dans le lieu.

2. L’objectif central: l'individu participe en socialisant avec une ou plusieurs personnes d’une manière où il est satisfait dans l’immédiat de son expérience. Il souhaite renouveler l'expérience.

3. L’objectif supérieur: l’individu réussit à combler un besoin social parce que les éléments apportés par l’événement correspondent aux valeurs de collégialité et de camaraderie qu'il partage. Il tisse des liens sociaux plus durables avec un(e) ou plusieurs collègues de travail et s'intègre progressivement à l'équipe s'il est nouveau («il trouve sa place»), ou consolide certains acquis s'il est ancien. Le participant considère que c'est agréable travailler au sein de l'organisation parce qu'il apprécie ceux qui l'entourent dans son quotidien.



La perspective de l'employeur


Il y a autre chose que la logique «gagne ou perd»
C'est louable de vouloir le bonheur des employés et de prendre leurs besoins en considération, mais l'organisation doit aussi y trouver son compte. Dans une entreprise privée, si l'employé souhaite augmenter son propre bonheur à travers ces réunions sociales, pour sa part l'organisation qui vise à améliorer sa productivité n'y trouve pas (directement) son compte; il devient difficile de justifier une telle mesure qui mise sur un événement périphérique aux activités de production habituelles. Si on aborde les rapports entre cadres et employés de manière traditionnelle avec une logique de négociation distributive, c'est à l'employeur de tirer le maximum de la part de ses employés en échange du salaire qu'il paie déjà, afin de tirer le plus de profits et essuyer le moins de perte (augmenter les produits, diminuer les charges); tout ce qu'il cède aux employés devient une perte. Le temps consacré à la planification, l'organisation, la mise en oeuvre et le contrôle de ces 5@7 s'ajoute comme une charge aux activités de production, tout comme les coûts d'une tournée générale, si l'employeur est généreux: «Un party de noël par an, c'est déjà assez suffisant! Laissons les employés s'organiser entre eux s'ils souhaitent faire plus de socialisation! Nous ne sommes pas des g.o.!» Toutefois, dans une logique de négociation raisonnée (ou intégrative), on peut considérer que chaque partie a un objectif terminal qui lui est propre: l'employé veut accroître son bonheur, l'employeur veut accroître sa productivité. Il suffit à l'employeur de transformer le but de ses salariés en objectif instrumental, c'est-à-dire de trouver un moyen de subordonner la recherche du bonheur de ses employés à une productivité accrue. Comme on l'a déjà mentionné, une réduction du recours à l'énergie d'entretien (activités d'auto-régulation) permet de réduire les rendements marginaux décroissants dans la productivité, parce que cet énergie peut être réaffectée aux activités de tâches et aux activités de solidarisation (ou en termes plus simples: moins les gens se querellent, plus ils peuvent passer du temps à travailler, et moins qu'ils éprouvent du mécontentement à le faire).


Même des gains modestes contribuent à l'ensemble
Si une bonne ambiance de travail rend (théoriquement) les employés plus productifs, elle confère aussi d'autres bénéfices: la capacité d'attirer et de conserver la main-d'oeuvre, ce qui entraîne une réduction des coûts en recrutement et en formation, ainsi que les problèmes d'absentéisme de présentéisme; bien qu'il soit difficile d'établir réellement un corollaire entre les soirées festives et la fidélisation, à  long terme des travailleurs, on peut dire que dans une approche systémique, chaque gain, chaque renforcement d'un maillon de la chaîne, contribue à renforcer l'ensemble de l'organisation. La soirée permet aussi au gestionnaire de pratiquer une forme de gestion par déambulation lui permettant d'avoir des nouvelles et de la rétroaction de la part de ses employés, et de donner des conseils, des félicitations et des encouragements (des récompenses qui n'occasionnent aucun effet sur les flux de trésorerie) sans interrompre les activités de production dans le cours normale d'une journée de travail. Finalement, l'organisation du 5@7 est une bonne occasion de pratiquer certains aspects de la gestion participative, notamment le recours au consensus pour déterminer le moment et le lieu de l'événement, un premier pas dans le développement d'une communication davantage bidirectionnelle et un décloisonnement accru de l'entreprise, le tout permettant aux idées innovatrices de mieux circuler.


Est-ce que c'est de la manipulation émotive?


Oui et non.


Oui, dans la mesure où le programme de 5@7 s'inscrit comme une forme de conditionnement opérant, selon lequel l'employé ajuste son comportement pour recevoir une récompense, dans ce cas-ci il continue à travailler pour l'organisme (fidélisation) pour participer aux soirées festives mensuelles (stimulus positif). Non, puisque le gestionnaire ce type de programme est aussi lui-même sujet de l'expérience et approche ses subalternes avec sincérité, en relégant l'ensemble de la théorie présentée dans ce texte à un niveau implicite une fois qu'il amorce la rencontre. On peut aussi se demander: laquelle est la meilleure entreprise, celle qui prend en considération le bonheur de ses employés, même si c'est seulement pour l'instrumentaliser, ou celle qui ignore (ou réprime) ces besoins sociaux et laisse le développement affectif des employés s'étioler? Pour laquelle voudriez-vous travailler?

Quelques bémols doivent toutefois être apporté à la suggestion des 5@7 dans une entreprise. D'abord, une partie du succès de cette approche dépend des personnalités des employés et du type d'ancres de carrière (career anchors) prévalant chez ceux-ci. Il existe 8 ancres de carrières, et une personne peut en avoir plus d'une en même temps:


1. L'ancre technique fonctionnelle
2. L'ancre de la gestion
3. L'ancre de sécurité
4. L'ancre d'autonomie-indépendance
5. L'ancre de créativité-entrepreunariat
6. L'ancre de la cause sociale
7. L'ancre du défi ultime
8. L'ancre du style de vie



Certaines ancres de carrière, comme l'ancre technique-fonctionnelle, axée sur l'amour du métier lui-même et un évitement du jeu politique et des promotions verticales, sont davantage appropriées pour tenir ce genre d'événement; les gens ayant des carrières vocationnelles, comme les enseignants, les pompiers, les policiers et les garagistes, peuvent apprécier de passer plus de temps avec des gens ayant les mêmes passions qu'eux. Aux antipodes, les employés ayant comme principal ancre celui du style de vie («travailler pour vivre et non vivre pour travailler») accordent une place marginale au travail dans leurs vie, et verraient la proposition d'un 5@7 comme un fardeau supplémentaire, un moment passé avec des gens inintéressants, ou même comme une intrusion dans la façon de gérer sa vie privée.


Autre bémol, celui de la distance hiérarchique, c'est-à-dire que si le cadre est appelé à faire des évaluations de ses employés (ce sera certainement le cas) et a des pouvoirs de sanction ou de récompense, une trop grande familiarité avec les employés peut brouiller les cartes, amenant une confusion entre les liens interpersonnels et les rapports d'autorité. Ce faisant, une des conditions du succès d'un 5@7 est que le déroulement de l'activité se déroule à l'extérieur du lieu de travail, question de séparer physiquement et conceptuellement l'espace de travail (work time) et l'espace récréatif (play time) et d'éviter l'un des problèmes des partys de bureaux à Noël, qu'est la superposition des deux lieux. Aussi, less is more: le gestionnaire devrait être présent durant l'événement, certes, mais devrait quitter assez tôt la soirée afin que les employés eux-mêmes s'approprient l'activité de solidarisation entre eux, de manière à  ce le 5@7 prenne authentiquement une vie par lui-même, qu'il devienne un rituel au sein de la culture organisationnelle.


Reste la question de l'alcool. Comme on le dit, la modération a bien meilleur goût, mais comme on le voit dans certains partys de Noël, il y a des excès qui conduisent à des dérapages. Les raisons de ces excès? Si la soirée est bar open parce que le patron pait l'alcool, un employé peut vouloir logiquement maximiser l'utilité en consommant davantage qu'il ne le ferait à ses propres frais. Si les employés sont peu habitués de socialiser entre eux dans un cadre extérieur au travail, le party de Noël apparaît comme une anomalie où tout devient permis lorsqu'on prend un verre de trop. Ça revient donc au principe du less is more: plusieurs petites soirées à chaque mois, d'une durée plus brève, sont préférables à une seule soirée dans l'année, parce qu'elles évitent de concentrer en un seul point dans le temps différentes tensions socio-affectives. (Les déjeuners d'affaires et le café entre les couturières semblent ainsi être des alternatives moins problématiques que les 5@7)


La perspective d'un organisme sans but lucratif (osbl)


Dans le cadre d'un osbl, malgré l'absence de recherche de profits, la productivité reste un élément crucial: par exemple, un organisme comme Jeunesse au soleil (Sun Youth) assemble et distribue des paniers (activités de tâches) de Noël permettant de nourrir de nombreuses familles, et il faut donc que ces paniers soient disponibles à temps. Les bénévoles, même s'ils ne sont pas salariés, doivent tout de même être rémunérés. Cette rémunération peut prendre différente formes: meubler un c.v., promouvoir une cause, socialiser, etc. Même s'il ne s'agit que de vouloir «donner sans recevoir» de la part d'une personne bien intentionnée, la promotion d'une valeur de l'altruisme au sein de la société est une forme de rémunération pour le bénévole qui y croit. Bref, même les charités et les osbl ont des besoins en matière de productivité et en politique de rémunération, tout comme ces organismes doivent faire des efforts pour attirer et fidéliser la main-d'oeuvre.


L'avantage d'un osbl par rapport à l'entreprise privée, c'est qu'il attire généralement des personnes qui ont des ancres de carrière compatibles (ancre de la cause sociale, ancre technique-fonctionnelle) avec les 5@7 (ou une variante de ce genre d'activité). Le second avantage, c'est que la distance hiérarchique entre les bénévoles et le coordonnateur joue un rôle de moindre envergure que dans les relations cadre-employés: l'absence de salaire réduit l'autorité et le rapport de forces, et seuls les cas les plus graves nécessitent des sanctions. Ainsi, le coordonnateur et le conseil exécutif peuvent pleinement participer à l'activité sociale sans craindre de développer une trop grande proximité sociale avec les membres du groupe.


UNE APPLICATION CONCRÈTE:
LES SOIRÉES ART-CULTURE AUTOCHTONES
DU CPNUQAM


Le Cercle des Premières Nations de l'UQAM (CPNUQAM) est une association étudiante de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) possédant le statut d'organisme sans but lucratif (osbl) depuis 1994. Un des buts de l'organisme, dont je fais partie (mais mes opinions dans ce blog sont les miennes et non celles du groupe), est de promouvoir et de diffuser les cultures autochtones. Dans la poursuite de ce mandat, le CPNUQAM organise annuellement un événement d'envergure et ce, malgré des ressources disponibles limitées. Souvent, ces activités sont lancées conjointement avec d'autres associations ou des chaires d'études.

À titre d'exemples récents figurent:


Paroles et Pratiques artistiques autochtones au Québec d'aujourd'hui (2008)
KÉBEK: La place des Premières Nations dans un Québec interculturel (2010)


Si ces événements ont connu un succès auprès des publics ciblés (segments de marché) et même du grand public, ils ont tout de même requis une quantité importante d'effort de la part des membres de l'organisation, qui ont tous déjà un boulot en plus d'être aux études, certains étant mêmes doctorants.; d'autres ont déjà des carrières, mais maintiennent encore des liens avec l'organisme même après l'obtention du diplôme. Un des principaux défauts de vouloir concentrer tous les efforts du groupe vers un seul événement annuel, c'est qu'on attire l'attention du public certes, mais à défaut de présenter d'autres activités, l'organisme retombe vite dans l'oubli. C'est beaucoup d'efforts déployés pour recommencer à zéro à chaque année.


En 2010, les choses ont changé lorsque les membres du CPNUQAM se sont familiarisés avec le modèle de la dynamique de groupes d'Yves Saint-Arnaud et ont constaté que le groupe mettait trop l'accent sur les activités de tâches et pas assez sur les activités de solidarisation. Certes, il y avait déjà un party de Noël et une célébration enthousiaste de la Saint-Patrick, ainsi qu'un lot de sorties occasionnelles, mais rien de fondamentalement inscrit dans la stratégie de l'organisme permettant de fidéliser les bénévoles: ces événements étaient ponctuels et se produisaient de manière aléatoire. En constatant le manque à gagner en matière d'activités de solidarisation et en voulant revenir à la racine de ce que devait être une association étudiante, c'est-à-dire un organisme d'accueil et d'intégration, le CPN a lancé une série de 5@7 à partir de février 2010. L'organisation de ces soirées devait être simple: une réunion, tous les premiers jeudi de chaque mois (avec des exceptions en janvier et pour l'été) dans un établissement désigné par consensus, de façon à créer un rituel dans la culture organisationnelle; invités au rendez-vous sont les ami(e)s des membres de l'association, ainsi que les sympathisants déjà répétoriés dans les listes d'envoi et les médias sociaux, afin de tenir l'équivalent d'une séance «portes ouvertes» permettant de garder contact avec les gens extérieurs à l'organsime en même temps que l'activité de solidarisation entre les membres. Bref, le CPNUQAM a combiné une activité de GRH avec une occasion de marketing institutionnel, une façon de faire plus avec moins, sans à avoir à presser davantage le citron.


Rendu au troisième rendez-vous mensuel, l'événement s'est fixé définitivement au même lieu, le café-bar L'Escalier, simplifiant ainsi les planifications ultérieures et facilitant le développement du rituel chez les membres et les sympathisants, bien que le CPNUQAM ait décidé de faire relâche jusqu'en septembre, étant donné la fin de la session universitaire et le début des vacances d'été.


Au retour de l'automne, l'aspect marketing du 5@7 pris davantage d'importance par rapport au but initial de l'activité de solidarisation, en raison que cette soirée était devenue une façon d'afficher des liens que le CPNUQAM avait formellement consolidé avec d'autres organismes culturels autochtones de Montréal sous la bannière commune du Réseau ART-CULTURE, un réseau lui-même rattaché à une coalition plus vaste qu'est le Réseau pour la stratégie urbaine de la communauté autochtone à Montréal. Plutôt que d'avoir besoin simplement quelques tables à réserver d'avance pour accomoder les participants, l'association devait dorénavant réserver l'établissement en entier pour la date rituellement prévue (le premier jeudi de chaque mois) en raison du nombre accru de gens présents. Ajouté à ceci est le spectacle (gratuit), dorénavant greffé au 5@7, où participent ensemble des artistes autochtones, certains émergents, mais d'autres déjà connus et établis (e.g.: Kathia Rock, Shauit, Sakay Ottawa). Pour promouvoir l'événement, deux éléments: une affiche réalisée par l'artiste Christine Sioui Wawanoloath, facilement modifiable pour  faire la publicité des séances ultérieures ayant un contenu différent, et le recours au marketing viral, surtout avec le web et les réseaux sociaux, où chaque organisme du Réseau ART-CULTURE propage l'invitation à l'événement auprès de leurs propres membres et sympathisants. À partir de septembre 2010, le CPNUQAM a, donc effectivement, développé une façon de produire un événement mensuel permettant d'accroître par synergie sa visibilité er celle du Réseau ART-CULTURE, sans avoir à augmenter significativement l'effort à mettre en activité de tâches - ce qui est synonyme d'une productivé accrue. Présentement, ces soirées existent encore.

Inversément, si le CPNUQAM avait opté pour des méthodes traditionnelles axées uniquement sur les activités de tâches et les mesures coercitives, le groupe aurait probablement éclaté dans les premières semaines du recours à ces méthodes, l'absence de salaire limitant le pouvoir que l'organisme a sur ses membres.


CONCLUSION


Lorsqu'il est question de décisions à prendre à un niveau stratégique et tactique, il faut se méfier des outils qui sont simples à conceptualiser et à utiliser comme le sont les méthodes du drive system (méthode coercitive ou du «coup de pied au c...») et celle du downsizing, qui semblent trompeusement relever du «gros bon sens». Il est préférable de non seulement se demander «quoi faire?», mais aussi «pourquoi le fait-on?», afin de donner un fil conducteur aux différentes activités de l'organisme, permettant ainsi que celles-ci s'appuient mutuellement, bâtissant et consolidant sur les acquis, facilitant la croissance à long terme.

Finalement, si vous cherchez une excuse pour que votre organisme ait aussi son 5@7 sans passer pour un fêtard, vous pouvez maintenant puiser des éléments pertinents dans ce texte et ainsi vernir votre requête d'un cadre théorique cohérent.









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