Sunday, July 31, 2011

Tetris urbain: maximiser l'utilisation de l'espace public

Hochelaga-Maisonneuve, 31 juillet 2011


Chaque jour en allant prendre un café je passe devant une cour d'école primaire qui a la particularité d'être occupée en tant que terrain de jeux durant quelques heures où les élèves prennent des pauses durant la semaine, et puis qui a ensuite l'aspect – la majorité du temps – d'une immense surface bétonnée vide sans vie. On paie des taxes pour essentiellement maintenir du vide bétonnée.

Pourtant il est possible de faire pousser quelque chose sur de l'asphalte.

Il me semble qu'il y aurait moyen d'optimiser l'utilisation de la cour d'école, notamment durant les fins de semaines, avec des initiatives peu ou pas coûteuses qui peuvent graduellement s'emboîter les unes sur les autres pour éventuellement faire de cet espace vide un point de focalisation dans la revitalisation du quartier. Ces idées ne sont pas nouvelles, mais simplement je trouve ça vaut que la peine de les rassembler ensemble. De toutes manière, ces idées ne semblent pas être suffisamment répandues.

Il faudrait plus de centre-vies que de centre-villes.


* * *


un terrain souvent vacant
Étape 1: La vente de garage communautaire

Plutôt que d'avoir de manière sporadique et désorganisée des ventes de garage un peu partout dans le quartier, il serait possible de simplement de centraliser ces kiosques à un seul point de vente, la cour d'école. Certes, pour le vendeur, ça demande un peu plus d'effort pour transporter les marchandises jusqu'au nouveau lieu, mais avec plusieurs ventes de garage dans un même lieu, le site s'improvise alors en marché aux puces communautaire, offrant davantage de produits aux clients, ce qui est plus susceptible de les attirer. Pour un(e) jeune qui veut se démarrer un kiosque de limonade ou de vente de bijoux artisanaux, ce lieu de rencontre communautaire dans sa cour d'école devient un meilleur point de départ que ne le serait le coin de sa rue; en plus, il est mieux encadré.

Le stationnement du personnel pourrait servir aux clients et aux vendeurs, vu que les enseignants et la direction n'en ont pas besoin la fin de semaine parce qu'il n'y a pas de cours.

Aussi, considérant que les système scolaire québécois est un peu épuisé en partie à cause de la faible implication des parents et de la communauté dans la recherche de mieux-être des élèves, la vente de garage communautaire a au moins le mérite de placer physiquement les parents et les gens du quartier sur le site de l'école. Tout grand voyage commence par un simple pas.


Étape 2: Troc-tes-trucs

Si dans les communautés anglophones, le phénomène d'échange de biens usagés (swap meet) est davantage connu, le Québec connaît déjà plusieurs de ces initiatives grâce à l'organisme Troc-tes-trucs [1]. Il me semble que ça ne relève pas de la sorcellerie de vouloir greffer une activité de troc en même temps qu'une vente de garage, vue que la majorité des gens peuvent marcher et mâcher de la gomme en même temps.



Infrastructure sous-utilisée
Étape 3: Le panier bio

En transformant la cour d'école en point de vente (de manière constante) à chaque fin de semaine, il devient plus simple pour des organismes comme Oasis bio express [2] ou Fermier de famille d'Équiterre [3] d'effectuer des livraisons de paniers de légumes biologiques à prix modique. Déjà, trois points de chute pour Fermier de famille existent dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, un au Marché Maisonneuve (superbe endroit), un autre sur le coin de la rue Sicard et Sainte-Catherine et un tierce dans le coin de la rue Rouville et de Saint-Germain. Il suffirait donc d'intégrer ces activités déjà existantes dans une utilisation plus intensive des cours d'écoles, ce qui demande que de légères modifications. Un coup parti, ce n'est pas très difficile d'installer un kiosque d'Équiterre (ou d'un autre groupe communautaire) sur lieu du marché aux puces communautaire s'il y a une foule suffisante pour le justifier, kiosque permettant de recruter d'autres participants au programme Fermier de famille, ce qui permet à long terme de tisser des liens économiques entre le développement rural et urbain.


Étape 4: Mon école complètement cirque

Avec un clown comme maire, par surprenant que le festival Montréal Complètement cirque [4] connaisse beaucoup de succès.

Mauvaise blague à part, il me semble que si une cour d'école est visitée par une foule durant la fin de semaine qu'il soit possible que les élèves puissent profiter de la présence de cet auditoire improvisé pour faire démonstrations de leurs talents: chant, humour, jonglerie, musique, etc. Pour l'école, il suffirait de réorienter un peu le contenu de leurs programmes pour que durant la semaine les élèves se préparent à faire une prestation: les cours d'éducation physique peuvent certainement servir à enseigner la jonglerie [5]; les cours de français peuvent servir à la rédaction de poèmes pouvant être lus devant la foule; les élèves «tannants» auraient l'occasion de s'improviser humouristes; et les activités de chorale et les cours de musique peuvent facilement s'intégrer sans trop de changements.

Ceci permettrait de donner aux jeunes un sens d'appartenance à leur école, qui irait donc au-delà du simple parcours académique. Pour les parents, ce serait l'occasion de voir de manière hebdomadaire le cheminement des élèves et de tisser davantage de liens avec l'école et avec les autres parents.


Étape 5: Copier la recette ailleurs

Si en quelques années, ce genre de convergence de projets de revitalisation de quartier a du succès, il sera certainement copier par les autres. Et c'est tant mieux.


* * *


Pour revenir à mon point de départ, il y a dans cet espace bétonné qu'est la cour d'école, des occasions de développement communautaire et économique qui ne sont pas exploitées. Et au Québec, ce ne sont pas les espaces vacants en béton qui manquent.

Culturellement, le Québec a le fardeau d'une mentalité de «suiveux», héritée de l'Église catholique et de sa tradition absolutiste (et non du syndicalisme, comme se plaisent à dire certains «drétteux» à travers leur chapeau...), qui nous a habitué à attendre l'initiative de la part des autorités, plutôt que la prendre nous-mêmes – un autre obstacle à surmonter, mais qui n'est pas insurmontable avec un peu de volonté et quelques bons exemples de succès.

Un autre problème du Québec, c'est que sur le plan politique, il y a d'un côté, il y a une droite capitaliste qui ne voit pas dans ce genre de projet de convergence communautaire la possibilité d'accroître le PIB vus que les biens échangés ne sont pas neufs, donc pas comptabilisés dans le calcul de cet indice économique (un indice, qui dans le fond, sert surtout à comparer le output industriel des pays s'ils devaient se faire la guerre...) et que les activités artistiques des élèves ne génèrent pas de revenus, alors de l'autre bord, on a une certaine gauche qui veut tout changer le système avec des idées top-down marxistes ou de type Zeitgeist, mais qui n'accomplit pas grand-chose (heureusement, car l'économie planifiée serait un désastre autant qu'un marché libre à 100%). Entre Charybde et Scylla, il est possible de prendre les meilleurs aspect de la gauche (préoccupations humanitaires et écologiques) et de la droite (entrepreneuriat et recherche d'efficience), de construire un projet simple sur lequel d'autres activités peuvent graduellement s'emboîter comme des blocs Lego.

Jouer à Tetris avec l'espace urbain ne changera peut-être pas le monde, mais c'est un début pour à la fois rentabiliser les lieux publics et pour solidifier le tissu social d'un quartier.






Sources:

[1] Troc-tes-trucs: http://www.troctestrucs.qc.ca/
[2] Oasis bio express: http://oasisbioexpress.ca/
[3] Équiterre – Fermier de famille: http://www.equiterre.org/solution/fermier-de-famille
[4] Montréal Complètement cirque: http://www.montrealcompletementcirque.com/
[5] Les Arts du cirque à l'école primaire: http://artsducirque.canalblog.com/