Wednesday, July 6, 2011

POUR L’INTÉGRATION DES PREMIÈRES NATIONS DANS UNE APPROCHE MULTILATÉRALE DU DÉVELOPPEMENT D’UN MODÈLE INTERCULTUREL QUÉBÉCOIS

 
«On dit au Québec que le pâté chinois est un mets bien de «chez nous», alors que la plupart des ingrédients qui le composent ne le sont pas. Dans le steak-blé-d’inde-patates se cache une histoire d’échanges culturelles. D’abord, les pommes de terre proviennent d’Amérique du Sud: elles ont été ramenées en Europe par les Conquistadors espagnols en tant que rations dans les navires; de ces mêmes navires, certains ont échoués sur les côtes d’Irlande après l’invasion ratée de l’Invicible Armada en Angleterre – et ce sont les Irlandais, après le début de l’exode vers Amérique du Nord, qui ont amené la pomme de terre au Québec. Le maïs était inconnu des colons français, qui l’obtinrent en commerçant avec les Autochtones d’ici. S’il y avait du gibier au Québec, le bœuf domestique par contre est une importation française. Finalement, le ketchup qui recouvre le tout provient originalement de l’Inde – où il était à base de champignons – et fut amener ici dans les rations des troupes britanniques; les tomates qui allaient devenir l’élément clé du ketchup, elles, proviennent du Mexique.»


Sans échanges culturels, 
on ne mangerait probablement que du navet.


La différence, c’est ce qui rend la vie intéressante.


La démographie de la province du Québec connaît présentement une période de transition concernant sa composition ethnique, qui devient progressivement de plus en plus diverse. C’est une période de remise en question des valeurs prédominantes de la société, où certains Québécois dits «de souche» (connaissant un faible taux de natalité) ressentent un certain malaise, avec l’arrivée accrue des nouveaux arrivants. Certains versent dans l’utilitarisme (l’argument du «plus grand bien pour le plus grand nombre») ou dans le nativisme (l’argument «on était là les premiers!») pour légitimer l’institutionnalisation de certains éléments culturels (comme la langue française), parfois aux dépens des minorités culturelles. Les «nativistes» oublient peut-être que bien avant l’arrivée de Jacques Cartier, plusieurs collectivités étaient déjà solidement installés en ce territoire depuis des siècles. Étrange pour une province dont la devise est Je me souviens.

Malgré les nombreuses difficultés rencontrées, cette période de remise en question a contribué au développement d’un modèle de société au Québec dit interculturel, dans lequel la diversité de la population est régie par des valeurs fondamentales et une culture commune qui s’additionne aux particularités spécifiques des différentes communautés, par opposition au modèle multiculturel canadien («mosaïque des peuples»), où chaque communauté culturelle maintien indépendamment son mode de vie, en conformité avec un cadre juridique commun, tout en communicant minimalement avec le reste de la société – ce qui équivaut à vivre en vase clos et amène à long terme des dérapages comme le communautarisme en Europe et une méfiance mutuelle basée sur l’ignorance. De plus, certains associent – à tort – les échanges culturels au péril de l’assimilation: par exemple, quand les premiers Français installés au Québec ont obtenu des Amérindiens le processus de la fabrication du sirop d’érable, aucun des groupes impliqués dans l’échange interculturel n’a perdu son identité, et au aujourd’hui, la cabane à sucre est une tradition «bien québécoise», tout comme l’épluchette de maïs, la raquette, etc. En bout de ligne, les échanges interculturels bénéficient à tous. Il est donc préférable, au Québec, de bâtir sur nos ressemblances plutôt de de s’isoler les uns aux autres. Et, surtout, d’apprendre à apprécier nos différences.

Parce que le modèle interculturel est plus favorable à long terme au développement de l’harmonie sociale au Québec et à l’accroissement des échanges interculturels auxquels tous bénéficient, les Premières Nations pourraient aussi bénéficier d’une meilleure intégration sociale et économique grâce à ce modèle. Toutefois, on remarque dans la construction d’un modèle interculturel québécois une sous-représentation des préoccupations spécifiques aux Premières Nations, considérés comme étant un cas à part. Comme le rapporte le journal Le Devoir (11 juin 2008):


L’absence des valeurs autochtones

L’association Femmes autochtones du Québec est déçue de constater que le rapport de la commission Bouchard-Taylor et les chefs des partis politiques québécois ne reconnaissent pas la place de la culture, des valeurs et des langues autochtones au Québec. […] Le concept d’accommodements raisonnables ne s’applique évidemment pas aux peuples autochtones. C’est entre autres pour cette raison que les commissaires ont choisi d’écarter de leur mandat cette question. […] Cependant, lorsqu’il s’agit d’analyser l’interculturalisme, la discrimination et l’identité au sein de la société québécoise, il est essentiel de reconnaître la place des problématiques autochtones dans le débat.


Parce que je considère que les Autochtones sont au centre de mes préoccupations, j’affirme: oui à un Québec interculturel, mais à condition que les Premières Nations y trouvent une place convenable où elles peuvent survivre et prospérer. Bâtir un Québec intercuturel, c’est trouver un terrain d’entente commun, et non de fixer la culture québécoise dite «de souche» comme étant la norme à laquelle toutes les autres communautés culturelles doivent se conformer et éventuellement s’assimiler.

L’intégration des Premières Nations au projet d’un Québec interculturel est un dossier complexe, pouvant même provoquer des débats houleux. D’un côté, à titre collectif, les Premières Nations forment historiquement la société d’accueil initiale du Québec: les Québécois dits «de souche» sont des descendants des colons français – eux-mêmes des immigrants! On pourrait alors légitimer les revendications autochtones par le même principe de «nativisme» mentionné antérieurement, mais ceci rendrait stériles toutes futures discussions. À la différence des communautés culturelles issues de l’immigration, récente ou autre, les Premières Nations ne bénéficient de patrie ancestrale (homeland) à l’extérieur du Québec: les Québécois d’origine pakistanaise ou française peuvent toujours se fier à ce que le Pakistan et la France préservent respectivement leurs cultures sur d’autres continents; ce n’est pas le cas pour les Autochtones en Amérique du Nord. La culture des Abénakis est menacée d’une réelle disparition à l’échelle mondiale. L’absence d’un homeland extérieur à l’Amérique, où les Premières Nations auraient un poids démographique suffisant pour perpétuer leurs cultures, justifie leurs revendications.

De l’autre côté, les Premières Nations forment sur le plan démographique un ensemble de minorités totalisant environ 80000 de membres, alors que la province du Québec compte 7 millions d’habitants; dans une logique d’une légitimité par le bénéfice pour le plus grand nombre, les Allochtones peuvent avoir gain de cause. On peut alors se demander: qui accomode qui?

Il serait simpliste de perpétuer un modèle de discussion bilatéral, dans lequel on assume d’abord que les Premières Nations appartiennent tous à une sorte de «monoculture amérindienne» définie par la méconnaissance, les préjugés et les stéréotypes véhiculés par la majorité de descendance française du Québec et les médias de masse: il y a une diversité dans la composition des Premières Nations (11 Nations), et déjà il y existe une dynamique interculturelle dans laquelle chaque groupe est conscient d’appartenir à un ensemble collectif, sans que ceci occasionne la négation de son identité propre. Les Allocthones devraient davantage prendre cette diversité en considération. L’intégration des Premières Nations au projet interculturel du Québec devrait aussi être en continuité avec la dynamique qui prévaut en ce moment (cumulation de différentes identités), et des efforts devraient être faits pour que le projet en question ne soit pas perçu comme une tentative d’assimilation des Autochtones à la majorité.

À ceci se rajoute la question de cette majorité allocthtone avec laquelle les Premières Nations discutent du projet d’avenir du Québec. On la définie hâtivement comme un bloc homogène composé de Québécois dits «de souche» parce que ce groupe y est majoritaire; toutefois, plusieurs voix distinctes émergent quand on prend la peine d’écouter, que ce soit celles des communautés culturelles formées des immigrants nouvellement arrivés, ou clles des collectivités plus anciennement établies (e.g.: Irlandais). De ce bloc perçu initialement comme étant homogène, on voit apparaître chez les Allochtones une diversité similaire à celle des Premières Nations.

D’autre part, la majorité allochtone avec laquelle les Premières Nations discutent est aussi hâtivement définie comme un bloc homogène composé de Québécois dits «de souche» parce que ce groupe y est majoritaire; toutefois, une panoplie de voix distinctes émergent quand on prend la peine d’écouter, que ce soit celles des communautés nouvellement arrivées (e.g.: Hispanophones), ou celles plus anciennement établies (e.g.: Irlandais). En raison de cette diversité, les discussions concernant le caractère interculturel du Québec devraient par cohérence sortir des modèles dualistes (entre Autochtones et Allochtones, et entre Québécois et immigrants) pour faire place à une approche plénière et multilatérale qui met en valeur la richesse de la différence en étant davantage inclusif envers celle-ci.

À cause de cette diversité, les discussions concernant le caractère interculturel du Québec devraient par cohérence sortir de ce modèle dualiste et bilatéral qui prévaut présentement dans les relations entre Autochtones et Allochtones, pour faire place à une approche multilatérale qui met en valeur la richesse de cette diversité, tout en permettant aux Premières Nations d’échanger avec les communautés culturelles directement, sans passer par l’intermédiaire de la majorité québécoise dite «pure laine».

En somme, en raison de la complexité de la problématique abordée dans le rôle des Autochtones concernant le développement du modèle interculturel québécois, il serait souhaitable pour corriger certaines failles de la Commission Bouchard-Taylor de démarrer un processus consultatif auprès de la population de la province du Québec – un lieu de rencontres et d’échanges entre les Québécois «de souche», les Autochtones et les communautés culturelles – sur d’échanges multilatéraux qui intègrent pleinement les Premières Nations.