Saturday, May 14, 2011

Le parcours alpin: La culture allemande et l'entreprise

Essai sur la gestion et la culture d'un pays


[rédaction en cours]




Le trajet de l'expédition: 
Table des matières


1. Les préparatifs avant l'expédition:
    Introduction

2. Apprivoiser la montagne: 
    Définir l'Allemagne

3. Sortir des sentiers battus:
    Définir la culture allemande

3.1. Ce que disent les chiffres
3.2. Le berceau culturel: la langue allemande
3.3. La déviance par aux tendances de la majorité
3.4. Distinguer identité et appartenances
3.5. L'effet de halo

4. Des pentes escarpées:
    Les institutions (le cas de l'armée allemande)

5. L'étage alpin:
    L'entreprise en tant que produit culturel allemand

6. La vue du sommet: Conclusion

7. Souvenirs de l'expédition: 
    Bibliographie

7.1. Ouvrages consultés
7.2. Ressources web
7.3. Kino: Suggestions cinématographiques
7.4. Images (domaine public)

 


1. Les préparatifs avant l'expédition: 
    Introduction


Au Québec, quand on parle de commerce international, on a peut-être tendance à se référer hâtivement au voisin du sud, les États-Unis, et à négliger les autres. S'il est vrai que les États-Uniens sont les destinataires de la considérable majorité des exportations québécoises, d'autres pays ne sont tout même pas à négliger: en 1996, l'Allemagne occupait le deuxième rang des exportations du Québec, surclassant même le Japon et la France (voir le tableau ci-dessous).




Dans le contexte actuel de mondialisation de l'économie et de concurrence accrue, il serait important de comprendre les mentalités des gens avec lesquels on peut être des partenaires commerciaux (ou des rivaux), parce qu’une meilleure compréhension de l’autre réduit les obstacles de communication avec celui-ci. Comme l'Allemagne semble une destination intéressante et réceptive pour le commerce québécois, on devrait tenter de mieux comprendre les Allemands afin de: (1) percer le marché de l'Allemagne, (2) maximiser le potentiel des alliances stratégiques avec les firmes locales et (3) mieux comprendre le raisonnement de rivaux germaniques.

Pour ce faire, il est inadéquat de se baser sur des clichés, comme celui du Bavarois en lederhosen qui boit de la Löwenbräu en faisant du yodel, et de le transposer à l'ensemble de l'Allemagne contemporaine: ce serait l'équivalent, pour un Allemand, d'assumer que les Canadiens, d'Halifax à  Vancouver, sont des francophones fêtant à la cabane à sucre. Quand on se construit un scénario (afin de se préparer d'avance à certaines éventualités prévisibles et de se doter de divers «plan B» en cas de revers ou de difficulté), il faut aller au-delà des simples stéréotypes et des préjugés parce que la réalité sur le terrain est très différente des simples lieux communs. Mêmes les images moins folkloriques, comme celle d'une Allemagne qui réussit économiquement grâce à sa main-d'oeuvre qualifiée et efficiente, n'est pas sans certains pièges de généralisation hâtive.

À l'instar de l'alpinisme, l'approche priviligiée dans le cadre de ce travail en est une qui part de la base («bottom-up») parce que c'est aussi celle de la gestion allemande (Barmeyer et Davoine, p. 13): on tentera d'abord de définir l'Allemagne en tant que telle, puis la culture allemande elle-même, ainsi que les institutions qui émergent de celle-ci, (en se limitant au cas de l'armée), pour finalement s'interroger sur l'entreprise en tant que «produit culturel» allemand, c'est-à-dire en la définissant comme la somme successive des trois éléments précédemment mentionnés. 

Bref, on abordera: (1) les questions du territoire et des frontières de l'Allemagne,  (2)  le domaine de la culture allemande, des particularités de la langue allemande, ainsi que le risques pouvant être inhérents aux typologies qui généralisent trop hâtivement (3) le cas spécifique de l'armée allemande, une des institutions influentes de cette société, et (4) les éléments prédominants dans la culture organisationnelle des entreprises allemandes que sont la «machine bien huîlée», le «parcours d'alpiniste», l'approche basée sur les parties intéressées (stakeholders).


2. Apprivoiser la montagne: 
    Définir l'Allemagne


A priori, on n'a qu'à pointer sur la carte. Non? Pourtant, c'est loin d'être aussi facile. Comme la montagne qu'on prévoit escalader, c'est une fois rendu sur le terrain qu'on constate que la réalité est différente de l'image qu'on se faisait. Certains confondent l'Allemagne et le monde germanique, une région qui englobe aussi la Suisse, l'Autriche et le Liechtenstein. Parfois, ce flou est accidentel, comme lorsqu'on considère Freud ou Mozart pour des Allemands alors que ceux-ci sont Autrichiens. 

Pour d'autres, ce flou est intentionnel, le fruit du pangermanisme, une doctrine selon laquelle l'Allemagne est synonyme du monde germanique. Par exemple, Adolf Hitler, né en Autriche se considérait comme étant un Allemand (l'Anschluss lui donna techniquement raison); par contre son compatriote Georg Von Trapp est resté farouchement Autrichien, comme le raconte La mélodie du bonheur.

La zone linguistique allemande
Si on transpose cette situation à celle de la France, on peut dire que cette dernière et la francophonie ne sont pas des synonymes, bien que la France soit le pivot de cet ensemble linguistique. Certains Français considèrent les Québécois comme des «cousins» (minimisant les différences culturelles et faisant à l'antécédent colonial qu'a été la Nouvelle-France en Amérique)  alors que ces derniers peuvent parfois parler de «maudits Français», accentuant ainsi les différences. Toutefois, les pays de la francophonie se trouvent séparés sur plusieurs continents, tandis que la majorité des pays germaniques sont limitrophes à l'Allemagne (voir la carte ci-contre), rendant cette transposition imparfaite.

À défaut d'un consensus pour définir l'Allemagne, on peut dire que deux tendances se font concurrence dans l'espace linguistique allemand: certains encouragent les différences nationales (la légende de Guillaume Tell en Suisse; en Autriche, l'attachement envers les Habsbourgs, tel que présenté dans la trilogie cinématographique Sissi); pour d'autres, on minimise les différences «régionales» au profit d'une «Grande Allemagne»: il y a eu la brève union de l'Allemagne et l'Autriche lors de l'Anschluss en 1938, ainsi que l'unification de la RFA et de la RDA en 1990. Aux antipodes du pangermanisme, on remarque une résistance au développement d'une culture allemande unique à l'intérieur de l'Allemagne elle-même, ce phénomène étant rapporté dans le film Goodbye, Lenin!, qui trace la survie du sentiment d'appartenance à l'Allemagne de l'est (Ostalgie) même après la réunification (Barmeyer et Davoine, p.18). Les murs n'ont pas toujours besoin d'une existence physique pour diviser.



Plutôt que de faire une recherche historique exhaustive sur l'émergence de l'État allemand depuis Charlemagne et le Saint Empire, on peut dire que ce pays n'est pas un concept immuable, mais un continuum, un processus dynamique influencé par une mosaïque d'agents qui participent en tant que forces centripètes ou centrifuges, à l'interne comme à l'externe. S'il faut définir de l'Allemagne pour les besoins immédiats d'analyse, alors on peut la désigner selon ses frontières en 2011. Il y a néanmoins une perméabilité accrue de ces frontières à cause de la participation allemande à l'Union européenne; ceci favorise la mobilité des populations, ce qui contribue à remettre en question ce qu'est l'Allemagne dans le contexte d'une Europe unifiée. Bref, définir objectivement l'Allemagne n'est pas simple parce que toutes les définitions un poids politique et que le contexte change sans cesse.



3. Sortir des sentiers battus: 
    Définir la culture allemande




3.1. Ce que disent les chiffres


Si on regarde les recherches de Geert Hofstede (Davel, Dupuis et Chanlat, p.78), on pourrait définir la culture, allemande comme relevant de quatre critères quantitatifs: l'individualisme (I/C), la distance hiérarchique (DH), le contrôle de l'incertitude (CI) et la masculinité (M/F). Le tableau ci-dessous compare les résultats obtenus dans cette étude par l'Allemagne (la RFA, vue que l'étude date de 1980) et le Canada:


Avec cette approche quantitative, on peut constater que les Allemands sont individualistes, mais moins que les Canadiens, tolère peu la distance hiérarchique, préfèrent exercer davantage un contrôle sur l'incertitude et ont une culture un peu plus «masculine» que celle du Canadiens. Du moins, c'est ce qu'on peut dire à partir de données obtenus en 1980, bien avant que les länder («provinces») de la RDA ait intégrés la République fédérale allemande. Cette vision de la culture est aussi critiquée par Philippe Iribarne, qui souligne que les indices d'Hofstede peuvent s'exprimer très différemment, à score égal, d'un pays à l'autre en raison des autres variables d'une culture et de son bagage historique. Pour mieux comprendre ce que disent les chiffres, on doit se familiariser avec la culture allemande, tout en évitant une approche «carte postale», c'est-à-dire une typologie un peu trop folklorique.

3.2. Le berceau culturel: la langue allemande


Le principal élément culturel rassembleur de l'Allemagne, c'est sa langue. Bien qu'elle soit partagée par des pays voisins, on ne dit pas «parler autrichien» (à moins de parler des dialectes locaux), mais bien «parler allemand». La langue allemande présente des caractéristiques qui lui sont propres, distinctes du français et de l'anglais, deux langues qui pourtant lui ressemblent. Hormis les différences esthétiques, comme l'utilisation fréquente du umlaut (ä,ö,ü), l'absence des autres accents, ainsi que l'existence d'une nouvelle lettre (ß) qui joue le rôle d'un «double s», l'utilisation des majuscules pour les noms communs et sa propre forme de guillemets, la langue allemande se distingue d'abord par la fréquente longueur et la complexité de ses mots. Par exemple:

J'étudie la littérature. (français)
I study literature. (anglais)
Ich studiere Literaturwissenschaft. (allemand)


En plus d'être souvent longs (Barmeyer et Davoine, p.22), chaque mot a aussi ses propres règles: «L'allemand accentue chaque mot selon un schéma propre à ce mot, contrairement au français, qui accentue systématiquement la dernière syllable non muette» (Christensen, Fox et Raimond, p.25). Si la langue n'est pas seulement un outil de communication, mais aussi une manière de penser, peut-être que d'avoir l'allemand comme langue maternelle renforcerait l'individualisme, mais pas assez significativement pour obtenir des résultats supérieurs aux Canadiens ou aux Français. S'interroger sur la culture allemande va au-delà de la simple mécanique de cause et effet.

Par ailleurs, on remarque le rôle de la langue allemande en tant que paradigme quand on traduit les expressions suivantes:

vision du monde (français)
worldview (anglais)
Weltanschauung (allemand)


Si vision du monde et worldview reviennent à dire «la façon que je vois le monde» (le sujet a un rôle actif), le mot Weltanschauung signifie plutôt «la façon que le monde m'apparaît» (l'objet joue un rôle actif, tandis que le sujet est passif). Ainsi, d'autres concepts, comme le contrôle de l'incertitude, sont peut-être perçus différemment par les Allemands.

La langue de Goethe se distingue aussi de celle de Molière parce qu'elle privilégie la communication à «contexte faible» (Barmeyer et Davoine, p.15-16), plus directe et laissant moins de place à l'implicite. La mécanique de la création de nouveaux mots en langue allemande y joue peut-être un rôle: alors qu'en français on invente des termes en se basant sur une obscure étymologie grecque ou latine (e.g.: considérer, du latin considerare, signifie approximativement «observer avec les étoiles»), les Allemands, eux, créent des mots comme on emboîte des blocs Lego (Christensen, Fox et Raimond, p11), disant simplement Schuhmacher (dans le sens «soulier + fabriquant») au lieu de référer nébuleusement au cuir de Cordoue en disant coordonnier. Cette simplicité contribue peut-être à une approche du changement par étapes, axé sur la consolidation des acquis.

En somme, une délégation québécoise devrait avoir une base en allemand (au lieu de se contenter de la langue des affaires qu'est l'anglais), par politesse mais aussi pour éviter le phénomène du lost in translation et ainsi réduire les risques de dissonance culturelle.


3.3. La déviance par rapports aux tendances de la majorité


Klaus Nomi (1944-1983)
Toute lumière laisse une ombre. Celui qui parle de tendances culturelles dominantes souligne, même sans en parler, l'existence d'une déviance vis-à-vis ces tendances: la contre-culture. Oui, l'Allemagne, c'est le pays de Bach et de Wagner, mais aussi celui de Klaus Nomi, de Rammstein, de Blümchen, de Kraftwerk, de Welle: Erdball, d'Otto Dix et de Bertold Brecht. Si on parle de piété et de l'héritage luthérien (Barmeyer et  Davoine, p.16), il faut aussi les comparer avec Friedrich Nietzche et Karl Marx, ainsi qu'avec la décadence présentée dans les films Der blaue Engel (avec Marlene Dietrich) et Cabaret. Il y a certes eu des personnages autoritaires comme Hitler et Bismarck, mais il y a aussi des contestaires tels que Sophie Scholl, Oskar Schindler et Martin Niemöller. Quand on dit que les Allemands sont disciplinés et ordonnés (ce qui semble confirmé par un taux plutôt élevé de contrôle d'incertitude), il ne faut pas oublier qu'il existe parallèlement un courant anarchiste, qu'on présente d'ailleurs dans le film Was tun, wenn's brennt?. Et il ne faut pas oublier que la culture allemande, comme toutes les autres, n'est pas un concept immuable parce qu'elle est influencée par les cultures étrangères et les changements générationnels.

Bref, la culture allemande est formée de contrastes parce que les Allemands ne sont pas produits en série à partir du même moule, bien qu'ils croissent à partir d'un même «terreau» culturel qui leur donnent des référents communs (différents que ceux d'une délégation commerciale québécoise). En analysant les chiffres obtenus par Hofstede, il faut aussi tenir compte que de gens qui n'adhèrent pas à une tendance. Si une tendance est dominante, il ne faut pas automatiquement assumer que «Hans» y souscrit en tant qu'«Allemand générique».


3.4. Distinguer identité et appartenances


Comme le souligne Amin Maalouf dans l'ouvrage Les identités meurtrières, il y a une différence entre les appartenances et identité (Maalouf, p.16-21). Selon sa définition, à laquelle j'adhère, quand on parle d'appartenances, il s'agit de tous les groupes auxquels ont peut relier une personne, parmi lesquels figurent les groupes culturels comme les Allemands, mais aussi les gauchers, les fans du Bayern Munich, les gens avec les yeux bleus, les musulmans, les femmes, les personnes myopes etc. Certaines appartenances ont plus d'importances que d'autres, et cette importance elle-même peut varier selon le contexte: être fan du Canadien de Montréal en août a une faible importance, alors qu'au printemps, durant les séries éliminatoires, cette appartenance est un facteur important de socialisation et de consommation de bière; être Allemand parmi des Allemands n'a pas le même impact que d'être le seul Allemand parmi un groupe de Québécois. Associé au concept des appartenances et celui de l'identité, c'est-à-dire l'ensemble combinée des appartenances qui rend chacun individuellement unique parce qu'il est impossible d'avoir exactement la même. Une confusion entre appartenances et identité amène des dérapages, qui peuvent se limiter au simple stéréotype du Bavarois en lederhosen qui peut agacer certains Allemands (se faisant toujours parler d'Oktoberfest à chaque fois qu'ils recontrent des étrangers), mais peuvent aussi avoir des résultats plus graves, comme c'est le cas avec l'antisémitisme, où une personne est carrément diabolisée sur la base d'une simple appartenance, dans ce cas-ci religieuse. En définissant la culture allemande comme une appartenance et non une identité, on réduit déjà ces risques.


3.5. L'effet de halo


Finalement, en tentant de développer une typologie centrée sur la dimension culturelle, on risque peut-être de passer de Charybde en Scylla en accentuant trop certaines de ces différences et en les «institutionnalisant». L'arbre fini par cacher la forêt. Lors d'une négociation avec «Hans Friedman», un Québécois pourrait ne voir qu'un Allemand, et lorsqu'il parle avec «Mustafa Ben Bellah», ne considérer que les origines arabo-musulmanes de ce dernier. On parle alors de l'effet de halo (Schemerhorn et Hunt, p.134) une erreur de perception selon laquelle une persone se fait une impression générale à partir d'une seule caractéristique d'un individu, dans ce cas-ci, les origines ethniques. Le problème principal de cette erreur est que certains différends ou incompréhensions peuvent être considérées comme résultant d'une dissonance culturelle alors qu'il s'agit réellement de conflits interpersonnels, et en ne pouvant pas bien diagnostiquer un problème, on arrive difficilement à trouver la solution qui est appropriée pour le résoudre.

Pour éviter l'effet de halo chez les membres d'une délégation québécoise avant qu'ils partent en «expédition», il faut accroître la familiarité de ceux-ci avec la culture allemande dans sa diversité, d'abord par le visionnement de films, l'écoute de musique et des visites dans les restaurants pertinents. Par la suite, on peut continuer avec des programmes plus ambitieux de jumelage interculturel avec des immigrants allemands déjà installés au Québec, afin de faciliter l'apprentissage d'une base de la langue allemande (suggérée à la page 7) et que, par exemple, «Hans l'Allemand générique» deviennent éventuellement «Hans Friedman, le farceur avec qui je joue aux quilles le samedi» au fil des intéractions avec celui-ci. Réduire la méconnaissance réduit aussi les stéréotypes.




4. Des pentes escarpées
    Les institutions (le cas de l'armée allemande)



De la culture allemande émergent des institutions qui soutiennent et préservent un ou des aspects spécifiques de celle-ci, comme par exemple le Bundestag (parlement) qui s'occupe de la dimension politique. Ces institutions influencent à leur tour la culture en agissant comme moteur de changement (mais parfois aussi comme boulet). Une des institutions ayant un rôle significatif dans la société allemande est son armée, vus les conflits d'envergure auxquels l'Allemagne a été mêlée (Guerres napoléoniennes, Guerre franco-prussienne, la Première et la Seconde guerre mondiale): ceux-ci demandèrent un recrutement massif d'effectifs via la conscription, suivies de démobilisations qui retournèrent vers la population civile une panoplie de gens ayant été formés à travailler à la manière militaire. Sans oublier que ces conflits amenèrent un embrigadement de tous les palliers industriels par la pratique de la «guerre totale», liant étroitement l'économie et l'effort de guerre. Cette perméabilité entre la société civile et militaire au cours des deux derniers siècles n'est pas unique à l'Allemagne, vue que la France a connu des expériences similaires en tant que son principal antagoniste, mais qui s'exprime d'une manière qui lui est propre pour des raisons culturelles.



Un aspect qui distingue l'armée allemande de celle de la France est le parcours des officiers, entraînés d'abord parmi les soldats en ne recevant pas de traitement préférentiel et gravissant lentement les échelons (une meilleure familiarité avec ses troupes facilitent peut-être l'officier allemand à déléguer davantage); les Français, eux, ont une approche élitiste qui dès le départ font des officiers une sorte d'aristocratie. Ces deux façons de procéder se retrouvent aussi au civil, chez les cadres: le parcours alpin ou le «modèle allemand» et la vision élitiste du «modèle latin» en France semblent suivre les mêmes traces que celles des officiers.

Un second apport des institutions est celui de ses penseurs. Pour l'armée allemande, les contributions de Carl von Clausewitz sont significatives, surtout le concept du «fog of war» (brouillard informationnel selon lequel un décideur n'a pas accès en temps réel à toutes les informations pertinentes pour faire le choix optimal) et celui de la friction (l'ensemble d'impondérables qui empêchent un projet d'être réalisé au pied de la lettre). Ces deux concepts ont eu un impact sur la conception de la planification militaire et des échos subséquent dans la société civile en Allemagne et dans le reste de l'Occient. Avant Clausewitz, les officiers faisaient de la guerre une sorte d'algèbre contraignant la réalité aux théories («le succès se mesurant par la capacité à exécuter le plan»), après la diffusion de l'oeuvre De la guerre, il est devenu davantage question que l'État-major délègue une partie de la prise de décision aux gens sur le terrain («pour réussir, il faut être capable de réajuster le plan»). Bref, bien que les chiffres d'Hofstede affirment que les Allemands désirent contrôler l'incertitude plus qu'au Canada (voir tableau p.5), la façon que peut s'exprimer ce désir peut varier en raison de l'influence des institutions. D'autres institutions influencent elles aussi d'autres traits culturels.


5. L'étage alpin: L'entreprise en tant que produit culturel allemand


«Si un pays est destiné à l'industrie manufacturière, c'est à coup sûr l'Allemagne. Le haut rang qu'elle occupe dans les sciences, dans les beaux-arts et dans la littérature, de même que sous le rapport de l'enseignement, de l'administration publique et des institutions d'utilité générale; son sens moral et religieux, son amour du travail et de l'économie; sa persévérance opiniâtre en même temps que son esprit inventif, sa population considérable et robuste, l'étendue et la nature de son territoire, le développement de son agriculture, ses ressources naturelles, sociales et intellectuelles, tout lui donne cette vocation

- Friedrich List



Tributaire des influences culturelles, dont certaines sont déjà adressées dans l'essai Une mosaïque culturelle allemande de Marie-Pier Michaud-Dionne, le concept de l'entreprise tel qu'il est vécu en Allemagne diffère de celui du Québec. Dans une perspective de gestion des ressources humaines (GRH), quand on parle d'un modèle allemand, on sous-entend un système où les banques et les syndicats jouent un rôle important auprès des entreprises, exigeant chacun respectivement une rentabilité à court terme et de bonnes conditions de travail; l'État joue aussi un rôle interventionniste auprès de la firme, que ce soit en matière de formation professionnelle et de développement durable. On est loin d'une vision états-unienne de privatisation à tout prix et d'une confrontation avec les syndicats. Évidemment, cette façon de faire n'est pas immuable et elle est remise en question.

Une expression souvent associée une firme allemande est celle de la «machine bien huilée», une façon de décrire la préférence culturelle allemande pour un contrôle élevé de l'incertitude combinée à une faible tolérance à la distance hiérarchique. Dans ce type d'organisation, le recours à la hiérarchie n'est pas toujours nécessaire parce qu'on valorise une autonomie rattachée à la compétence technique de l'individu: une personne formée adéquatement et ayant accès aux données disponibles sur le terrain peut prendre une décision sans être «téléguidée» par un siège social qui n'a pas accès à ces informations pertinentes en temps réel (fog of war). L'avantage de cette méthode est qu'elle permet un temps de réaction plus rapide chez les employés lors de changements dans l'environnement externe au niveau opérationnel (routines quotidiennes). Le désavantage de ce type de système est une certaine lenteur au niveau stratégique: parce qu'ils sont habitués à fonctionner de manière plus autonome, les employés peuvent être réticents à adhérer aux projets de développement organisationnel d'un siège social jugé trop distant: la recherche de consensus semble alors une approche mieux adaptée, bien que plus lente, que les méthodes dirigistes. Dans un contexte d'affaires allemand, il faut aussi plus de temps pour concerter les intérêts des parties prenantes (stakeholders), comme les syndicats, que dans une firme américaine, où domine le principe de maximiser l'avoir d'un seul groupe, les actionnaires (shareholder value). Toutefois, cette approche allemande encourage davantage la responsabilité sociale d'une firme.




Une seconde expression reliée à l'entreprise allemande est celle du «parcours d'alpinistes» ou du parcours alpin des cadres, un aspect en partie tributaire de la culture militaire allemande (voir p.8) mais aussi du concept de Bildung, qu'on peut traduire approximativement comme le développement individuel d'une culture générale (ce concept est abordé de manière détaillé dans l'essai Marie-Pier Michaud-Dionne). Ce processus de formation, d'évaluation et de promotion des cadres qu'on nomme développement fonctionnel ou «modèle germanique» est caractérisé par une phase d'identification de potentiel plus longue des cadres (résultat probable d'un désir plus élevé de contrôler l'incertitude), qui sont appelés à travailler d'abord parmi les simples employés comme (les officiers allemands sont formés avec le reste des troupes) et à développer une polyvalence en occupant plusieurs fonctions dans les échelons inférieurs. Dans un deuxième temps, lors de la phase de développement de potentiel, les cadres évoluent au sein d'une seule fonction (e.g.: marketing, finances, etc.) pour le restant de leurs carrières. Les promotions dans l'enreprise se font à l'interne (plutôt que d'admettre des «outsiders» en recrutant des cadres supérieurs à l'externe), ce qui renforce la culture organisationnelle de la firme allemande. La familiarité qu'un cadre supérieur a avec son entreprise, à tous les échelons et dans la plupart des fonctions, compense ses inquiétudes rattachées au contrôle de l'incertitude et cette confiance explique en partie une plus grande facilité à déléguer et à accorder de l'autonomie aux employés subalternes. Évidemment, les méthodes de chaque firmes varient aussi entre elles, et une certaine peuvent dévier de cette approche et favoriser une méthode plus élitiste.

L'impact de ce parcours alpin lors d'échanges interculturels est le suivant: comparés aux cadres des firmes québécoises, américaines ou françaises (qui ont une approche plus élitiste de recrutement), les cadres allemands ont, à niveau hiérarchique égal, généralement plus d'expérience dans la fonction qu'ils occupent que leurs interlocuteurs étrangers qui, eux, sont parfois parachutés d'une fonction à l'autre; formés à l'interne, ils connaissent davantage les rouages de leur propre firme (mais gravissent plus lentement les échelons) que les cadres français, qui peuvent «butiner» d'une entreprise à l'autre sans même passer par une phase d'identification de potentiel. Si dans une approche élitiste, l'origine du diplômé joue un rôle important (e.g. un MBA de Harvard versus celui provenant de l'UQAM), dans une approche axée sur le développement fonctionnel, la longue période de formation et d'assimilation à la culture organisationnelle d'une firme allemande fait en sortes qu'on parle d'un cadre en fonction de son employeur plutôt que son lieu d'études: ainsi, «on parle, par exemple, d’un Siemens-Ingenieur pour un ingénieur formé dans l’entreprise Siemens». Les Allemands bénéficient de cultures organisationnelles plus fortes, certes, mais cet avantage a aussi l'inconvénient d'être un boulet lorsqu’il est question de coopérer avec des firmes étrangères ayant des méthodes différentes, que ce soit dans le contexte d'une alliance stratégique ou d'une fusion, ou simplement quand ils passent au service d'un autre employeur.

Toutes ces différences de structures organisationnelles sont susceptibles de créer de dissonances culturelles. Pour assurer une communication interculturelle optimale, il ne faut pas les sous-estimer les divergences, ni les simplifier à des simples stéréotypes en disant qu'un tel phénomène est «typiquement allemand».


6. La vue du sommet: 
    Conclusion


Quand on parle de l'influence de la culture allemande en gestion, il faut se rappeler que «culture», «Allemagne» et «gestion» sont domaines d'études plutôt que de simples sujets. Il y a différentes façons de voir ces éléments: pour certains, la culture sert simplement à «fournir des modes de résolution de problèmes récurrents [...], par exemple, les étapes à suivre pour faire la cour à quelqu’un, faire une proposition de mariage», alors que pour d'autres, le dimension culturelle est beaucoup plus poétique. Des panoplies d'interprétations existent, mais ce qu'il faut retenir quand on parle de culture, allemande ou autre, c'est d'éviter de faire de la réification, c'est-à-dire transformer un concept abstrait en objet concret. La culture allemande n'est pas un concept figé dans le temps. La montagne qui au loin semble immuable, subit quotidiennement de nombreux changements (notamment météorologiques), ce qui fait qu'on n'effectue jamais exactement le même parcours lorsqu'on l'escalade et que plusieurs surprises, bonnes ou mauvaises, peuvent survenir.

Pour faciliter le travail d'une délégation québécoise en sol allemand, la formation en gestion de la diversité culturelle et la sensibilisation aux enjeux interculturels jouent des rôles essentiels, comme le ferait l'entraînement sur un mur d'escalade pour alpiniste avant son expédition. Mais surtout, si une expédition peut bénéficier de l'expérience d'un guide et de l'aide de porteurs pour minimiser les risques et réduire le fardeau de la tâche à accomplir, alors une délégation aurait intérêt à profiter elle-aussi des conseils d'un «Sherpa», c'est-à-dire un animateur ou médiateur ayant une formation interculturelle pertinente aux relations commerciales Québec-Allemagne, et du support de consultants culturels, ainsi que des interprètes parlant couramment français, anglais et allemand. Avec cette équipe de soutien, la délégation est plus apte à comprendre le point de vue de l'autre qu'elle ne le serait en ayant appris par coeur les données d'Hofstede combinées à quelques clichés rassemblés hâtivement en une typologie qui définit l'entreprise allemande comme une «machine bien huîlée», parce que les gens (compétents) ayant l'expérience du terrain ont de meilleures capacités à discerner les changements qui se produisent au quotidien dans l'environnement socio-culturel et à réagir de manière rapide et appropriée, comparativement à un groupe constitué uniquement de gestionnaires québécois, moins flexibles vu le caractère essentiellement théorique de la formation qu'ils reçoivent; parce que les éléments qui la composent doivent être «filtrée» par les chercheurs et diffusée d'abord dans les cercles académiques, la théorie change plus lentement que l'environnement culturel allemand qu'elle tente de définir et de relier aux méthodes de gestion, bien que ceci ne lui enlève pas toute valeur: si même si la situation est différente sur le terrain, une «carte topographique» est toujours utile.

[texte à compléter]

7. Souvenirs de l'expédition:
    Bibliographie


7.1. Ouvrages consultés


L'Allemand pour le voyage, éditions Berlitz, Lausanne (Suisse), 1985, 192 p.

Le Québec chiffres en main, édition 2007, Institut de la statistique du Québec (ISQ), Québec (Québec), 2007, 56 p.

ANDLERS, Charles et Paul Henri MICHEL, Les origines du pangermanisme (1800-1888), Louis
Conard libraire-éditeur, 1915, 335 p.

AUDET, Michel, Victor HAINES et al., Relever les défis de la gestion des ressources humaines, 2e édition, Gaëtan Morin éditeur, Montréal (Québec), 2004, 706 p.

AUFDERSTRAßE, Harmut, Heiko BOCK et al., Themen aktuell 1, Kursbuch + Arbeitsbuch, éditions Hueber, Allemagne, 2003, 147 p.

BARMEYER, Christoph I. et Éric DAVOINE, «Culture et gestion en Allemagne : la «machine bien huilée», dans Eduardo Davel, Jean-Pierre Dupuis et Jean-François Chanlat, Gestion en contexte interculturel : approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’Université Laval et Télé-université (UQAM), 2008.

CHEBAT, Jean-Charles, Pierre FILIATRAULT et Michel LAROCHE, Le comportement du consommateur, 3e édition, Gaëtan Morin éditeur, Montréal (Québec), 2006, 542 p.

CHRISTENSEN, Paulina, Anne FOX et Claude RAIMOND, L'allemand pour les nuls, éditions FIRST, Paris (France), 2007, 239 p.

CLAUSEWITZ, Carl von, De la guerre, présenté par Gérard CHALIAND et traduit par Laurent MURAWIEC, éditions Perrin, 2006, Paris (France), 427 p.

DAVEL, Eduado, Jean-Pierre DUPUIS et Jean-François CHANLAT, Gestion en contexte interculturel: approches, problématiques, pratiques et plongées, Les Presses de l'Université Laval (PUL) et Téluq, Québec (Québec), 472 p.

GOULD, Jay Stephen, La mal-mesure de l'homme, Éditions Ramsay, collection Le Livre de poche, Paris (France), 1983, 447 p.

GROSSER, Alfred, L'Allemagne de notre temps: 1945-1978, Collection Pluriel, éditions Fayard, Paris (France), 1978, 704 p.

HILGEMAN, Werner et Hermann KINDER, traduit par Raymond ALBECK, Atlas historique: de l'apparition de l'homme sur la terre à l'ère atomique, Libraire Académique Perrin, Paris, 1993, 651 p.

LIST, Friedrich, Système national d'économie politique, traduit par Henri RICHELOT, éditions Gallimard, Sainr-Amand (France), 1998, 573 p.

MAALOUF, Amin, Les identités meurtrières, collection Le livre de poche, éditions Grasset & Fasquelle, Paris (France), 1998, 189 p.

MOUGEL, François-Charles et Séverine PACTEAU, Histoire des relations internationales: XIXe et XXe siècles, collection Que sais-je?, Presses universitaires de France (PUF), France, 2000, 128 p.

SCHERMERHORN, John R., James HUNT et al., Comportement humain et organisation, 3e édition, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc. (ERPI), Saint-Laurent (Québec), 2006, 593 p.


7.2. Ressources web


Institut Goethe de Montréal

Der Spiegel

Site officiel de Jasmin Wagner | Blümchen

Site officiel de Kraftwerk

Site officiel de Löwenbräu

Site officiel de Nena

Site officiel de Rammstein

Site officiel Die Toten Hosen


7.3. Kino: Suggestions cinématographiques


Cabaret

Das Boot

Das Experiment

Der Blaue Engel

Dreigroschenoper

Goodbye Lenin!

Max

Molokh

Schindler's List

The Sound of Music (La mélodie du bonheur)

Triumph des Willens (Le triomphe de la volonté)

Was tun, wenn's brennt?



7.4. Images (domaine public)

Boussole: http://en.wikipedia.org/wiki/File:Kompas_Sofia.JPG
Alpiniste: http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e1/Climber_with_equipment.jpg/250px-Climber_with_equipment.jpg
Carte de l'Union européenne: http://en.wikipedia.org/wiki/File:EU-Germany.svg


Blocs Lego: http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:LEGO-01.jpg
Halo:  http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Alexander_Newski.jpg
Klaus Nomi: http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Klaus_nomi_ill_artlibre_jnl.png