Tuesday, September 18, 2012

Pourquoi ça va mal au Moyen Orient ?





L'Océanie est en guerre contre l'Estasie. L'Océanie a toujours été en guerre contre l'Estasie.

- George Orwell, 1984



Les islamistes sont fâchés à cause d'un film...

On radote de ce temps-ci beaucoup d'âneries au sujet du Moyen Orient et des musulmans, question de faire peur au public, comme si on pouvait attribuer la responsabilité des actes terroristes de la part de factions radicales armées et de gouvernements voyous à l'ensemble d'une communauté qui compte 1 milliard de pratiquants, qui ne sont même pas majoritairement arabes. Certains médias et commentateurs médiocres aiment verser dans la thèse du choc des civilisations pour attirer l'attention et faire réagir le public plutôt que de faire réfléchir celui-ci aux enjeux réels de la politique internationale. Peut-être qu'ils le font pour manufacturer davantage de consentement pour une intervention militaire en Syrie ou en Iran... bien que le sort de la démocratie en Libye et en Iraq ne s'est pas amélioré suite à une invasion occidentale, attaque qu'on a déguisé en supposée libération auprès d'un public dupe. On fait l'autruche face aux bombardements quotidiens que subissent les peuples des pays du Moyen Orient, la tête bien dans le sable, question de forer pour pétrole bon marché. Pourtant le prix à la pompe ne semble jamais baisser, bien au contraire! Un gars de droite blâmera les taxes du gouvernement... évidemment. Des décennies d'attaques de la part de l'Occident ont créé dans le Levant une culture de colère dans laquelle des comportements normalement inadmissibles, comme le meurtre, deviennent acceptables s'ils sont commis envers l'autre. D'autre part, notre cinéma occidental, après avoir diabolisé les communistes durant la guerre froide, s'est trouvé une autre tête de turc après la chute de l'Union soviétique en présentant comme nouveaux antagonistes des terroristes musulmans, des êtres unidimensionnels dont le seul intérêt est de faire exploser des gens, y compris eux-mêmes, par mépris du succès de l'Amérique et par fanatisme pour une religion médiévale. On a déjà fait le même coup aux Amérindiens, en les présentant comme de simples sauvages dans les films western, bien que la sauvagerie provenait des colonisateurs.

Des deux côtés du conflit, on a procédé à une déshumanisation de l'adversaire. Les attaques de l'Occident ont été suivies d'attentats terroristes, auxquels les pays occidentaux ont riposter par la force, perpétuant un cycle de violence, de peur, de haine et de vengeance, tout en alimentant le lucratif marché de l'armement. La récente crise concernant le film L'innocence des musulmans n'est qu'un symptôme apparent de ce cycle de violence, plutôt qu'une réaction violente qui semble sortir de nulle part. Comme des hyènes, les commentateurs de la droite ont surgit sur l'occasion pour faire du capital politique pour leur cause et de l'auto-promotion auprès du troupeau de jambons qui les suivent. On réduit un cliché un milliards de personnes pour des actions commises par une minorité. A ce compte-là, aussi bien accuser le Vatican d'avoir téléguidé les attentats dans un cinéma en 1988 lorsque La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese a fait des mécontents chez les intégristes chrétiens.

Je pense que s'il faut avoir une quelconque réflexion valable concernant les enjeux politiques au Moyen Orient, il faut absolument évacuer une logique simpliste de simple cause-effet et avoir une approche davantage systémique. Quotidiennement, les gens peuvent être mécontents d'une décision politique, d'un film ou d'une caricature, mais d'habitude ils ne prennent pas les armes pour exprimer cette colère. Quoique l'attentat de Bain et le récent déluge de discours haineux de la part de la communauté anglophone du Québec envers les francophone me laissent inquiet. Il faut creuser davantage pour comprendre, mais jamais pour justifier, comment une personne qui se considère normale peut cultiver une hargne au point où elle peut accepter de commettre des atrocités, ou consentir à ce que celles-ci soient faites envers l'autre. Et ce, autant du côté du Taliban, qui participe directement aux combats, que de celui du pantouflard occidental qui appuie la violence de son propre gouvernement envers les populations musulmanes.


La mythomanie d'un patriotisme occidental


Les Francs, les Wisigoths, Roland et Charles Martel


Certains feront remonter l'antagonisme entre le monde occidental et le Moyen Orient à une quelconque obscure période médiévale, au cours de laquelle les Musulmans, entrant en Espagne, balayèrent le royaume chrétien des Wisigoths de la carte et auraient réservé le même sort à la France, si ça n'avait été de la riposte de Charles Martel. On tend, dans ces mythes fondateurs, à exagérer les différences entre le bloc dit chrétien avec celui des Musulmans et à fitrer les différences, nuances, qui existent à l'intérieur de chacun de ces ensembles pour donner une image d'homogénéité à ceux-ci. Or, ce n'est pas si simple que ça. Le pays de Charles Martel n'est pas la France, c'est un royaume où se mêlent diverses ethnies: une partie de la population, installée depuis des siècles, constitue un regroupement gallo-romain catholique (du moins pour les élites, surtout urbaines, alors que l'arrière-pays reste profondément influencé par les anciennes religions), lui-même tributaire d'antiques invasions et de brassages démographiques; un autre groupe, les Francs, se sont implantés tardivement lors des invasions germaniques et sont (nominalement) catholiques, surtout pour des raisons politiques. A ceci se rajoutent d'autres peuples, comme les Burgondes et les Wisigoths (qui s'était initialement installés dans la région de Toulouse avant d'être chassés en Espagne). La France de Charles Martel n'est pas un État-Nation, son territoire actuel étant divisé à l'époque en potentats et royaumes nationaux divers. La religion catholique semble toutefois jouer un rôle rassembleur, ne serait-ce parce que les chroniqueurs de l'époque étaient essentiellement en majorité des clercs de l'Église catholique, pouvant présenter un point de vue intéressé. Parler d'un bloc chrétien, ce serait tout de même sous-estimer les querelles entre les chrétiens qui le compose, surtout celles entre les Catholiques et les Ariens, (l'arianisme est une version du christianisme pratiquée par les Wisigoths et les Ostrogoths). L'Europe, à l'époque de Charles Martel, est un espace vaguement chrétien, sans réelle cohésion politique significative ou de sentiment d'identité unificateur. Le royaume des Francs en est un pour l'élite ethnique de ce territoire, mais cette appartenance est beaucoup moins importante pour la vaste majorité gallo-romaine dont la culture a des racines beaucoup plus profondes.



Du côté des musulmans, ou devrait-on dire des Omeyyades, la motivation première, la conquête et la razzia, éclipse celle de la guerre sainte. Alors que les chrétiens du royaume wisigoths convertissaient de force les juifs, les nouveaux occupants permettront une certaines liberté de religion contre un impôt particulier (dhimmi). Ceci est loin d'un traitement de faveur, mais tout de même une nette amélioration par rapport aux standards de l'époque. Les chrétiens d'Espagne qui subirent la conquête musulmane, les Mozarabes, eurent eux aussi le droit de continuer à pratiquer leur religion en tant que dhimmis, mais en plus certains ont christianisé la langue arabe avec le rite mozarabe. Comme les musulmans et les chrétiens croient en un seul même dieu (Allah en arabe, God en anglais, Dieu en français, Dei en latin), acceptent Jésus Christ (bien catholiques, ariens et musulmans aient des interprétation différentes) et s'appuient sur l'héritage judaïque d'Abraham, l'Islam pouvait paraître comme une simple variante du christianisme. Le carême et le ramadan ont des similitudes. Les conquis, qu'ils soient juifs ou chrétiens, wisigoths, suèves ou hispano-romains, ne formaient pas un bloc homogène; les conquérants, composés d'Arabes et de Berbères, non plus. Dans une certaine mesure, les invasions musulmanes en France au 8e siècle s'inscrivent en continuité avec les invasions diverses des siècles précédents, qu'elles soient germaniques, hunniques, hongroises, et de celles des siècles suivants lors des raids des Vikings. Pour des gallo-romains du Ve siècle au IXe siècle, il y a peu de différences réelles entre les invasions de tous ces peuples qui amènent avec une langue et une culture qu'ils imposent en tant que nouvelle élite: les coups d'épée du Sarrasin sont aussi douloureux que ceux de la hache du Viking, de la lance du Byzantin ou de la francisque de Clovis.

La seule différence qui pouvait réellement survenir lors d'une invasion musulmane, c'est celle au niveau des institutions religieuses et du pouvoir de l'Église catholique. Alors que les Francs et les Vikings arrivent successivement en France en tant que païens, avec des institutions peu sophistiquées faisant d'eux des cibles faciles à la conversion au catholicisme, les Wisigoths, les Ostrogoths et les musulmans, eux, ont déjà des institutions et une liturgie plus développés et sont donc plus résistants à l'emprise de l'Église catholique. Dans le cas de l'arianisme pratiqué chez la caste dirigeante formée par les Wisigoths et les Ostrogoths, cette différence religieuse, cette hérésie, ne fait que restreindre l'accès du clergé à l'élite, bien que l'Église reste influente auprès de la population gallo-romaine; par contre, l'Islam, qui partage avec le catholicisme la volonté de devenir une religion universelle (contrairement au judaïsme, qui se contente d'être la religion d'un seul peuple), s'ouvre à tous les groupes ethniques, à toutes les couches sociales de la société, possèdent ses propres prêtres et possèdent un add-on de la Bible qu'est le Coran. Comme j'ai déjà auparavant, l'Islam et le christianisme ont de nombreux points en commun, notamment que le personnage de Jésus s'y trouve et qu'il s'agit de la même divinité qu'on prie, bien que pour défendre les intérêts de l'Église catholique, on a occulté ces deux points et a encouragé le développement d'une propagande qui simplement diabolisait le musulman en tant que autre. Si bien que dans la Chanson de Roland, on voit le raid des Basques, pourtant bien chrétiens, être attribué à des musulmans, qui en plus vénèrent... Jupiter. Durant le Haut Moyen-Age, l'Église aura efficacement multiplié un ensemble de faussetés afin de créer un épouvantail musulman, si bien qu'aujourd'hui, bien des gens n'arrivent même pas à comprendre que Allah, c'est exactement le même personnage que Dieu, alors que cette confusion n'existe pas quand les Américains parlent de God, et très peu savent que Jésus apparaît aussi dans le Coran. 



(texte à compléter)