Friday, September 14, 2012

Créer de la richesse au Québec ?




LA CRÉATION DE RICHESSE


Développement durable
L’expression est devenue quasiment un slogan de cette droite, néolibérale, qui se dit lucide, question d’attaquer ad hominem leurs détracteurs gauchistes qui comptent parmi eux ceux qui souhaitent préserver le modèle social-démocratique (tout en l’améliorant avec des réformes qui le rend plus efficace). Plutôt que d’être rejetée, cette expression devrait être réapproprié par la gauche et retrouver son sens véritable. À l’intérieur des activités de marché, la richesse d’un pays s’exprime en PIB, qui n’est pas une preuve absolue, mais tout de même un indice. S’il a le défaut de ne pas prendre en considération les activités hors-marché qui se déroulent aussi dans une économie (e.g.: une personne qui cultive un potager pour ses propres besoins ne contribue pas aux activités de marché), le PIB fournit tout de même d’importantes informations. Un PIB en croissance est l’indice d’une économie en santé. Donc, dans un marché, créer de la richesse, c’est augmenter le PIB. C’est simplement logique de reconnaître que plus on a des revenus, plus on a de possibilités à faire des dépenses dans des domaines profitables pour tous : santé, culture, éducation. Inversement, moins on a de revenus, à cause d’une faible productivité, d’une dette ou d’un déficit, moins on a de possibilités. Évidemment, il faut tout de même faire attention quand on compare des éléments macroéconomiques avec ceux qui sont microéconomiques : le Québec n’est pas une entreprise, ni un ménage, et bien pauvre est le programme économique d’un candidat disant qu’il souhaite gérer le Québec en bon père de famille…


Le PIB a aussi un défaut inhérent au capitalisme financier: il ne tient compte que de flux monétaires et n'intègre par les coûts environnementaux liés aux activités de production, comme la pollution et la déforestation, ni l'impact sur le tissu social, comme c'est le cas avec la vente de l'alcool qui génère d'importants revenus, certes, mais aussi l'alcoolisme. Une réelle création de richesse devrait donc nécessairement inclure de mesures pour minimiser les impacts négatifs sur la société et l'environnement et ne pas se limiter seulement à faire croître le PIB. Certains parleront de PIB vert.


En tant qu'indice, et non preuve, de prospérité économique, le PIB par lui-même dit peu sur le niveau de vie d'une population. La Chine, avec ses milliards d'habitants, a un PIB plus grand que celui du Québec, mais n'offre pas forcément une meilleure qualité de vie. Un futé pourra alors parler de PIB par habitant, un ratio permettant de mieux comparer la richesse relative des gens d'un pays à l'autre. Jusqu'à un certain point, ça fonctionne. Toutefois, le PIB par habitant a le grand défaut de ne pas bien indiqué la répartition de la richesse dans une société donnée: si dans une plantation de 100 habitants, une seule personne possède 1 millions de dollars et le reste sont des esclaves sans le sou, la moyenne indiquera que $10000 par habitants; si dans le village voisin, 100 personnes sont libres et possèdent tous 9000$, il y aura toujours un économiste de droite pour ne voir que l'indice abstrait et dire qu'ils sont bien pauvres... L'exemple semble un peu extrême, mais tout de même, quand 1% de la population s'accapare actuellement 99% de la richesse, on peut se demander si nos chaînes ont tout simplement une autre forme. Certainement que la maison du maître de la plantation est à Sagard. Une réelle création de richesse doit nécessairement inclure une répartition de celle-ci qui soit juste et équitable, et non une simple dilapidation du bien commun qui ne fait que créer une poignée de riches. La création de richesse, quand elle se fait d'une manière responsable sur le plan social et environnemental, est un objectif souhaitable pour le Québec. Mais quand on procède de manière néolibérale, on vide l'expression de son sens.


Si pour certains, la création de la richesse passe avant la répartition de celle-ci, d'autres feront sourciller en affirmant le contraire: c'est d'abord en répartissant la richesse qu'on peut la créer. Ça semble contre-intuitif, car évidemment, si on est sans le sous, on ne s'enrichit pas en dépensant le peu qui nous reste. Mais l'État n'est pas un ménage, les principes microéconomiques ne s'appliquent pas forcément au niveau de l'économie de l'ensemble. On le sait, bon nombre de dépenses de l'État créent des retombées économiques et même la droite justifie, par exemple, le Plan Nord en fonction non pas du coût comptable du projet (jugé comme étant déficitaire), mais en fonction des emplois créés, des impôts payés, et des dépenses de consommation engendrées par ces travailleurs. Malgré mon désaccord avec le Plan Nord (qui ne mesure pas suffisamment les impacts sociaux et environnementaux, sans compter qu'il se fait au mépris des populations autochtones), il reste que la répartition de l'argent obtenus par l'impôt est un moyen pour le gouvernement du Québec d'investir et de faire fructifier cette somme, en encourageant le développement d'emplois qui généreront des impôts encore plus importants et qui permettront une plus grande consommation que l'État peut taxer. En investissant en éducation et en formation professionnelle pour augmenter la qualité de la main-d'oeuvre, le gouvernement crée de la richesse (Qualité de la main-d'oeuvre * Quantité de main-d'oeuvre = PIB).


UNE APPROCHE PAR LA BASE



Au Québec, un bon exemple de ce qui conjugue formation professionnelle, protection de l'environnement, développement économique et responsabilité sociale est celui du réseau CFER (Centre de Formation en Entreprise et Récupération) dont la mission peut être résumé à aider les élèves en difficulté académique (1er et 2e cycle du secondaire) tout en leur donnant une formation préparatoire au marché du travail, dans un contexte qui encourage l'élève à devenir un citoyen engagé sur le plan environnemental. Concrètement, il s'agit d'une formation en alternance entre l'enseignement théorique du programme régulier adapté pour élèves en difficulté (une forme de rattrapage de la formation initiale) et la participation à des projets écologiques comme «le démantèlement de la quincaillerie de ligne d'Hydro-Québec, le tri de la quincaillerie de Bell Canada et le reboisement urbain de la Ville de Victoriaville.» Même si le programme s'adresse aux jeunes en difficulté scolaire, l'élève qui y participe est appelé à développer ses compétences en français, en mathématiques, en anglais, en sciences, en géographie, en histoire, éducation physique autant que celui qui évolue dans le cheminement régulier; il ne s'agit d'un système éducatif de second ordre pour les cancres. On offre de la culture générale, ce qui est transférable, au lieu de se limiter à des compétences spécifiques. Le réseau CFER a pris certains éléments qui semblent inspirés de la formation duale allemande, notamment l'alternance entre les études en culture général à l'école et la préparation à l'emploi en milieu de travail, mais est aussi resté dans le sillon habituel qu'est celui du rattrapage en formation initiale. En bout de ligne, l'innovation en matière de formation professionnelle ne passe pas nécessairement par l'imitation d'une recette de manière intégrale, mais par le recours à l'approche de la contingence, de manière à ce qu'on adapte les établissements et la façon d'organiser aux besoins de la communauté.

 
J'ai résidé à Victoriaville, « berceau du développement durable », pendant plusieurs années. Je me suis familiarisé avec le réseau CFER simplement en passant devant l'établissement à tous les jours en me rendant à l'école. En fait, le premier CFER a été créé à Victoriaville en 1990 comme une initiative locale plutôt que d'un projet ministériel (une approche «bottom-up» et non «top-down»). En 1995, au moment où j'effectue mon entrée au Cégep, le premier élève certifié d'un CFER est reconnu par le ministère de l'éducation. L'année suivante, 12 succursales sont ouvertes et un réseau CFER est créé. Quelques temps plus tard, en 1998, lors mon premier stage en enseignement au secondaire à la Polyvalente Louis-Joseph-Papineau à Montréal, la direction était bien surprise que je sois familier avec leur «nouveau» programme de l'établissement. Pour ma part, je trouvais bien particulier que ce soit la succursale qui est à Montréal et le siège social dans la région des Bois-Francs plutôt que l'inverse. Depuis 2010, le réseau CFER compte 21 établissements en opération. Ce réseau possède des partenariats avec plusieurs grandes entreprises et sociétés d'État, comme Bell Canada, Hydro-Québec et Bureau en gros, qui souvent offrent des contrats de travail aux élèves formés par le réseau. Mais ce qui distingue les relations du CFER de celles qu'ont les autres milieux éducatifs avec les entreprises, c'est que les activités conjointes servent à atteindre des objectifs liés à la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE), comme la récupération de composantes chez Bureau en gros, plutôt que de servir de besoins de productivité immédiats. Ces partenariats publics-privés sont aussi davantage orientés vers les besoins de la composante «offre» du marché du travail (les employés).

Le cas du réseau CFER en région n'est pas unique dans le domaine de la formation professionnelle. On retrouve à Victoriaville d'autres établissements, comme l'École nationale du meuble et de l'ébénisterie (qui, comme le CFER, a un rapport inversé avec la métropole en ayant une succursale à Montréal)[6] et le Centre de formation professionnelle Vision 20 20. L'innovation dans la formation de la main-d'oeuvre peut provenir la base, des communautés elles-mêmes, plutôt que d'une décision prise au sommet par le gouvernement qui impose des solutions mur-à-mur.

On peut spéculer pourquoi la formation professionnelle occupe autant de place à Victoriaville. La première impression, c'est que la ville est un centre régional, qui offre des services (e.g.: l'hôpital, les centres d'achats et le cégep) à l'ensemble des villages et des plus petites communautés, mais n'a pas suffisamment de poids démographique pour attirer chez elle une université (alors que deux centres régionaux à proximité, Trois-Rivières et Sherbrooke, ont ce genre d'établissement). Les gens qui suivent «la voie royale» (primaire-secondaire-cégep-université), s'expatrie à l'extérieur de la ville pour recevoir une formation universitaire (bien que le cégep de Victoriaville offrent plusieurs cours de niveau universitaire en agissant comme campus de l'UQTR), puis parfois reviennent pour trouver un emploi. Comme les autres villes comblent pour une bonne part les besoins en formation universitaire de la main-d'oeuvre de Victoriaville, le manque à gagner se trouve alors chez les gens qui ne veulent pas poursuivre des études supérieures, notamment les décrocheurs scolaires (qui risquent de devenir des chômeurs chroniques). Si l'alternative à la «voie royale» est la formation professionnelle, il semble logique que la communauté en région oriente ses efforts vers celle-ci, alors que les centres plus peuplés misent sur le développement des universités et considèrent la formation professionnelle comme une préoccupation de seconde zone.  Au fil des ans, ce choix de développement aura permis à la communauté de développer une plus grande expertise en matière de formation professionnelle, d'exercer un leadership dans le domaine, et même éclipser la métropole en y installant chez celle-ci des succursales de ses propres établissements. La seconde impression, qui concerne spécifiquement le CFER, c'est que la mairie de Victoriaville donne depuis des décennies une place de premier choix aux enjeux environnementaux dans sa stratégie de développement, que ce soit un service de cueillette des matières recyclables mis en place bien avant celui de Montréal, des projets d'habitation durable et la mise en ligne d'un bottin vert. La création  du CFER est peut-être une initiative du milieu éducatif, mais la présence dans le gouvernement local d'une culture favorable aux activités de recyclage et écologiques a offert un terreau fertile pour que croisse ce centre de formation professionnelle. Les interventions du gouvernement local de manière directe (puisque le centre est financé publiquement par les taxes) et indirecte (retombées politiques favorables à l'environnement) ont contribué au succès du CFER, et laisse présager que la formation professionnelle ne devrait être laissé seulement aux entreprises pendant que l'État se ferme les yeux, mais que le rôle du gouvernement est de créer les conditions gagnantes, une culture favorable, pour que cette coopération se déroule de manière optimale.

D'autre part, si la formation professionnelle au Québec devrait faire l'objet d'une plus grande intervention de l'État, notamment pour réduire le chômage, le sous-emploi et favoriser la croissance d'un marché intérieur québécois pour les biens et services qu'on produit nous-mêmes (et donc devenir moins vulnérables aux fluctuations des marchés internationaux), cet interventionnisme accru n'est pas forcément synonyme de décisions prises au sommet et de grandes politiques nationales qu'on applique à la province comme si on passait un rouleau-compresseur. Le rôle de l'État peut être assumé par ses plus petites composantes, que ce soit les gouvernements locaux que sont les mairies ou les établissements scolaires (approche bottom-up, ou ce qu'on appeler le principe de subsidiarité). 

Le cas du succès du réseau CFER, qui est passé d'un seul établissement à une vingtaine de succursales, montre que la formation professionnelle et les activités écologiques peuvent être une source de développement économique d'une communauté plutôt que de simples dépenses, que les entreprises peuvent bénéficier d'un virage vers la responsabilité sociale, et que les initiatives en éducation peuvent provenir de la base. Il y a certainement moyen de s'en inspirer pour non seulement développer des projets qui vont augmenter le PIB du Québec, mais qui vont créer réellement de la richesse pour son peuple.