Thursday, August 30, 2012

Tsar d'un soir: regard sur les élections provinciales de 2012





Ce n'est pas une nouvelle pour personne: le 4 septembre 2012, le Québec connaîtra des élections provinciales dont l'enjeu principal est la destitution, ou non, du premier ministre actuel Jean Charest. Il faut dire que ce Plan Nord semble tout droit sorti du XVIe siècle, que sa mesure liberticide qu'est la loi 78 n'est pas très populaire et que la hausse des frais de scolarité est dommageable pour le développement qualitatif de la main-d'oeuvre au Québec. Le choix semble, le principe du Anything But Charest (ABC) devrait s'appliquer, et on devrait tous voter stratégiquement pour appuyer le Parti Québec pour chasser l'homme de main de l'usurpateur de Sagard. Sic semper tyrannis !

Sauf que...

Le Parti Québécois ne vaut guère mieux, étant motivé par des ambitions purement électoraliste et dirigé par une opportuniste qui change ses couleurs selon les tendances du moment, tantôt appuyant le mouvement étudiant, puis le balayant sous le tapis quand il devient trop gênant auprès d'un segment de l'électorat plus réactionnaire.

L'élection d'un gouvernement péquiste majoritaire serait l'équivalent de troquer la lèpre pour la peste. Pourrait-on espérer autre chose pour notre démocratie?

Comme le souligne Jean-Martin Aussant d'Option Nationale, c'est plutôt triste de voir que dans un système ayant le scrutin uninominal majoritaire à un tour (le «smut») le bipartisme y soit nettement favorisé et que l'un des principaux arguments que ce duopole présente est de voter pour l'un d'eux pour pas que l'autre parti gagne. Aucun des deux partis qui s'échangent le pouvoir en alternance ne cherche vraiment à présenter des idées, de réels projets société, et à offrir une plateforme pour laquelle on peut voter. Évidemment, vous trouverez sur les sites de Québec Solidaire et d'Option Nationale bon nombre d'arguments en faveur d'un changement du système de scrutin.

Un simple début serait de reconvertir tous les comtés de l'Ile de Montréal en une seule circonscription, où s'appliquerait le scrutin proportionnelle, afin de mettre un terme au gerrymandering, ce traffic des frontières de comté servant à favoriser l'élection d'un parti au pouvoir en jouant sur la proportion de partisans au sein de celui-ci. Pour ce qui est de l'extérieur de Montréal, il reste à savoir comment optimiser une bonne représentation des électeurs provenant des régions, tout en l'équilibrant avec celle de la représentation des idées.


La troïka de la droite


Mais bon, on a les élections 2012 avec le système actuel, on ne pourra pas rien faire pour l'instant. Alors regardons les trois choix «officiels»:

  • Le Parti Libéral du Québec qui gouverne le Québec depuis 3 mandats déjà. Un gouvernement corrompu, brutal, colonialiste et au service de l'Establishment, qui a au moins le mérite d'être clairement fédéraliste, même si je n'appuie pas cet opinion.
  • Le Parti Québécois, opportuniste, qui se cache derrière la ligne de parti et ne cherche qu'à être «caliphe à la place du caliphe». Un parti qui brouille les cartes, qui fait semblant d'être souverainiste et progressiste, mais qui une fois élu serait à peine différent du PLQ à part une dose malsaine de nationalisme identitaire et un referendum remis aux calendes grecques .
  • La Coalition Avenir Québec, parti créé de toutes pièces par François Legault, le mauvais perdant de la course à la chefferie du Parti Québécois, auquel se sont rajoutés des has-been de l'ADQ, quelques éléments les plus rapaces du PQ et des magouilleurs de l'Establishment. La raison d'être de ce parti: ne pas être le PQ, ni PLQ, mais d'être tout aussi beige et insipide que ces deux choix.

Chacun de ces trois partis sont de la «droite guidoune»: en campagne électorale, leurs idées passent de la droite vers le centre, question d'acheter les votes avec des promesses coûteuses, puis une fois élus, essaient de pousser petit à petit le Québec vers la voie du néolibéralisme tout en favorisant, paradoxalement, de «l'assistance sociale» pour l'Establishment. C'est bien différent de la «droite idéologique» du Parti Conservateur 2.0 de Stephen Harper ou de celle de l'ADQ dans sa dernière phase d'existence... et encore là, bien des «dretteux», opposés de manière virulente à l'intervention de l'État ne serait-ce que pour fournir de services de base essentiels comme la santé, se mettent des oeillières quand il s'agit de financer avec de fonds publics un nouveau colisée à Québec pour une équipe qui n'existera jamais. Question d'aider PKP et/ou Desmarais aux dépens du bien public... Alors on peut se demander si, finalement, la droite peut être autre chose que guidoune.


Glasnost



Évidemment, contrairement à ce que Québécor voudrait nous faire croire en fixant arbitrairement les règles du débat électoral (ce qui curieusement exclu les deux seuls partis réellement gauchistes et souverainistes...), ces trois choix ne sont pas les seuls, bien qu'à court terme, c'est peu probable que des partis comme Option Nationale, le Parti Vert ou Québec Solidaire puissent former un gouvernement, même minoritaire. On se demande même, si en atteignant 15% des votes dans l'ensemble de l'électorat québécois, un des ses partis pourrait obtenir les 12 sièges nécessaires pour être reconnus officiellement à l'Assemblée nationale. J'ai l'impression de gaspiller mon vote en appuyant Option Nationale dans Hochelaga-Maisonneuve, comté acquis au Parti Québécois depuis des décennies, mais d'un autre côté, j'ai finalement l'impression de voter pour quelque chose.


On l'a vu dans le dernier mandat, la présence d'un député gauchiste, Amir Khadir, change la politique. Je ne suis pas toujours d'accord avec Khadir, mais je dois admettre que ça fait du bien de voir une «courroie» qui transmet les opinions de gens de la rue à l'Assemblée Nationale, notamment en parrainant des pétitions qui autrement ne trouverait pas preneur chez les «progressistes» du Parti Québécois, trop occupés à se faire copain-copain avec PKP avec une loi spéciale douteuse, dans l'espoir que sa machine médiatique puisse aider ceux qui ont dilapider l'héritage souverainiste de René Lévesque et de Jacques Parizeau. Jean-Martin Aussant, moins médiatisé que le député de Mercier, a tout de même remis sur la table de discussion l'option indépendantiste que son ancien parti a mis en veilleuse, un projet auquel beaucoup gens tiennent encore. Et puis il y a Françoise David. Absente aux débats organisés par TVA, tentacule de la pieuvre qu'est Québécor, la co-dirigeante de Québec Solidaire a tout de même eu une place à celui de la SRC. Un débat que les journalistes, surtout ceux d'un réseau douteux, qualifieront être «sans vainqueur», alors que dans les semaines suivantes, on remarquait sur le terrain un réel «effet Françoise David» auprès d'électeurs qui avait été agréablement surpris de la manière différente de faire de la politique. On peut à peine oser imaginez ce qu'aurait été le résultat de la participation de la candidate si elle avait admise aux débats de TVA, mais  comme le dit Noam Chomsky dans Manufacturing Consent, les médias influencent la politique en définissant le débat, en choisissant la façon de l'encadrer, en posant arbitrairement des étiquettes comme ils l'entendent, et dans le monde de Québécor, Françoise n'est pas une candidate «sérieuse», alors que François, lui, l'est (curieux combien un «e» peut changer des choses).


Heureusement que les médias sociaux existent. Décriés par certains comme étant une «bulle» où des partisans ne se parlent qu'entre eux et jouent à «celui qui pisse le plus loin» en voulant montrer au camp adverse que sa bulle est plus grosse que la leur, je dois dire que malgré une certaine part de vérité de cet opinion, il y a tout de même aussi de réels échanges d'idées qui se font. Pour ma part, peut-être morbidité malsaine, je consulte régulièrement des blogues et des articles qui affichent des opinions complètement contraires aux miennes. Bon, des fois je «trolle» un peu, mais dans l'ensemble, je trouve que la confrontation à des idées adverses permet à la longue de se concevoir un argumentaire pour défendre ses propres idées. D'autres fois, comme dans le cas du RLQ, c'est aussi une source d'humour (bien que ça ne soit pas volontaire de la part de Johanne Marcotte). Puis il y a eu le cas d'Option Nationale. Un parti que je considérait obscur, avec un chef qui n'épate pas par son charisme, mais qui à la longue, par la clarté de ses idées et avec la conviction avec laquelle il les défend, fini par me convaincre de le suivre. Je ne sais pas si Aussant va même réussir à se faire élire dans son propre comté, mais je garde naïvement espoir, parce qu'on peut battre un candidat dans une soirée électorale, mais on ne peut battre une idée pour laquelle le temps est venu. Le Parti Québécois  tentera de mettre l'option souverainiste en veilleuse, les médias au service de l'Establishment feront tout pour ensevelir les partis progressistes sous un lot de propagande néolibérale, mais plus on enterre idée, plus on risque qu'elle prenne des racines. Si le peuple perd sa confiance envers un parti social-démocrate qui est supposé les représenter et qu'il décide de ne plus déléguer le rôle de la défense de ses intérêts contre l'oligarchie financière, il peut alors commencer à se prendre en charge. Seul, l'individu qui aspire à être un citoyen actif et engagé peut frapper un mur d'apathie. Mais en trouvant des gens semblables, par le biais notamment des réseaux sociaux, des efforts peuvent être conjugués, des encouragements peuvent être donnés, de l'information partagée. Les réseaux sociaux ne sont pas une panacée contre la domination culturelle des médias conventionnels concentrés entre les mains de trois gros joueurs, mais forment tout de même un tremplin, un point de départ pour l'activisme social.


Raspoutine


Comme j'ai dit plus haut, le 4 septembre je voterai pour Aussant et l'Option Nationale, même si ça donne l'impression d'un coup d'épée dans l'eau vu que mon comté est largement péquiste. Tout de même, Hochelaga-Maisonneuve a longtemps été au niveau fédéral un chateau-fort du Bloc Québécois, et à ma grande surprise, la circonscription a basculée dans le camp du NPD aux dernières élections canadiennes, sous les effets combinés de la grande popularité du défunt chef Jack Layon, de l'impopularité de Stephen Harper, et de l'absence du renouvellement du discours souverainiste du Bloc Québécois. Au niveau local, je prévois une victoire péquiste, bien qu'on peut tout de même avoir des surprises avec des gens naïfs qui votent pour la CAQ parce que Legault «a l'air d'un bon gars». Pour l'ensemble du Québec, difficile de prévoir. Demandez aux chefs de trois principaux partis, ils vous diront tous qu'ils formeront un gouvernement majoritaire le 5 septembre 2012. Comment trois affirmations mutuellement exclusives peuvent-elles être vraies simultanément? Évidemment, deux des trois candidats mentent, mais bien fûté celui qui pourrait les identifier avant la début de la soirée électorale. Les partis mineurs ont au moins, dans cette situation, le mérite d'être honnêtes. Aussant ne cherche qu'à conserver les acquis que représente un seul comté et espère que son parti soit simplement plus connu par le public. Québec Solidaire vise une une dizaine de comtés (bien que trois comtés soit plus réaliste).


Et puis il y a Jean Charest. Les élections de 2012 seront un verdict qui approuvera ou destituera l'homme. Dans sa circonscription, les sondages donnent une avance aux péquistes, bien que ce soit davantage à cause de l'impopularité du premier ministre que par amour pour Pauline Marois. Bien que j'ai choisi d'opter contre le vote stratégique, j'avoue que j'apprécierais de voir John James Charest être défait dans son comté, à l'instar de Robert Bourassa qui avait été battu par Gérald Godin. J'avoue aussi que j'aurais le même plaisir dans le cas d'une défaite personnelle pour Pauline Marois et pour François Legault. Mais au-delà du simple état de Schadenfreude que je pourrais ressentir en voyant la défaite de Jean Charest, il y a l'impression que cet homme, aussi pourri qu'il puisse être, n'est qu'un symptôme d'une maladie qui affecte la démocratie au Québec. J'ai l'impression de voir en lui une sorte de Raspoutine: un personnage odieux certes, mais qui cache en attirant les regards sur lui une corruption un peu moins spectaculaire, mais tout de même systémique. Raspoutine, dont les scandales ternirent l'image du régime tsariste, fut l'objet d'un complot d'aristocrates qui l'assassinèrent en 1916, question de sauver le prestige de l'Empire russe face au mécontentement grandissant de la population (et le pouvoir qu'ils détiennent dans ce gouvernement). Pourtant cette mort ne sauva pas le tsar et sa clientèle aristocrate: source de scandales peut-être, Raspoutine était aussi un para-tonnerre vers lequel la grogne populaire pouvait facilement se diriger. Sans bouc-émissaire, le peuple commença à scruter davantage ses dirigeants. Je me demande si Jean Charest serait un peu la Raspoutine de notre époque et notre province, avec la virilité et le charisme en moins. Une fois défait, il y aura toujours la question de savoir comment un parti comme le PLQ fait pour donner la position de chef à un être aussi médiocre (on peut aussi se demander, comment le PQ a fait pour avoir dans ses rangs des gens tous aussi pourris que sont Éric Duhaime, Maxime Bernier et François Legault...). Quelle genre de culture organisationnelle dans un parti crée un aussi mauvais chef? Quel type de système électoral fêlé permet à celui-ci de saisir le pouvoir? Même défait, Jean Charest n'a pas été créé ex nihilo, et le terrau duquel il a émergé en fera probablement apparaître d'autres comme lui. Couper la tête de l'hydre et deux nouvelles prendront sa place.


Kerensky


Si certains prévoient que le prochain gouvernement sera péquiste et majoritaire (ce qui est le cas surtout des péquistes eux-mêmes), la possibilité d'un gouvernement minoritaire est aussi plausible, vu que la CAQ est un nouveau parti sur le terrain et qu'on n'est pas habitué de voir l'impact de cette formation politique sur les élections provinciales. Est-ce que l'appui au parti de François Legault est surrévalué? Est-ce que la CAQ attire davantage des fédéralistes mous insatisfaits de Jean Charest, ou bien est-ce qu'elle pige surtout dans le vote péquiste? Ce qui est clair, c'est que François Legault n'est pas Mario Dumont. Il a beau personnaliser son parti en intégrant officiellement son propre nom dans celui de son organisation, mais il n'est pas l'ancien chef adéquiste. Comme l'aime ou le déteste (je suis du second avis), Mario Dumont avait comme politicien une popularité personnelle, les gens l'appelaient «Mario» et souhaitaient voter personnellement pour lui (évidemment, au Québec, ce qui passe pour du charisme ne vaut pas grand-chose). François Legault semble vouloir jouer le même jeu, mais n'a pas les mêmes cartes. Pour les électeurs, le chef de la CAQ, c'est Legault, pas «François», les qualités de tribun de ce chef sont mauvaises, et ultimement, si Mario Dumont avait claqué la porte du PLQ pour des raisons de convictions, dans le cas de L'Ego, c'est purement par opportunisme. La performance peu spectaculaire du chef caquiste aux débats des chefs laissent présager que les médias ont tendance à embellir les appuis qu'il reçoit de la population. La CAQ espère obtenir un gouvernement majoritaire, comme les deux autres partis de la troïka de la droite, mais n'a pas encore de poids historique suffisant pour s'imposer contre l'effet du «bon vieux temps»: les gens qui sont habitués de voter pour le Parti Libéral du Québec et le Parti Québécois peuvent peut-être répondu favorablement à la CAQ dans les sondages, mais le 4 septembre, beaucoup reviendront à leurs vieilles habitudes. Le mieux que la Coalition Avenir Québec - L'équipe François Legault peut espérer, c'est de former un gouvernement minoritaire.

Mais avec qui?

Si le gouvernement Legault (ça fait horrible à écrire) veut s'imposer en étant minoritaire, il devra faire alliance avec l'un de deux autres membres de la troïka de la droite. Avec le PQ? Pour les péquistes, si François Legault fait figure de traître, la situation ne vaut guère mieux pour les autres transfuges. D'ailleurs, on se demande où est passer François Rebello... Le Parti Québécois fait encore semblant, par moments, d'être social-démocrate, alors que la CAQ est dans le camp du patronat. Le PQ se dit souverainiste, question d'exciter les «nationaleux», alors que François Legault est passé de souverainiste, à automoniste tiède, pour finalement rejoindre le rang des fédéralistes (sans toutefois fournir suffisamment de clarté sur la question nationale et de la place de ses propres députés souverainistes). On peut dire qu'une alliance serait plus naturelle avec le PLQ, mais comme ces deux partis s'adressent essentiellement à la base électorale, il s'agira plutôt d'un match made in hell que d'un match made in heaven. Au niveau des idées, un parti comme le PLQ, qui s'appuie sur les fédéralistes et le patronat, lutte peut-être contre une formation politique comme Québec Solidaire, où on retrouve des syndicalistes et des souverainistes, mais sur le plan des ressources (dons, bénévoles), les deux groupes ne sont pas en compétition parce qu'ils occupent des «niches écologiques» bien distinctes. Mais pour ce qui est de la CAQ et du PLQ, on est devant un cas de frères ennemis, parce que si les deux partis partagent bon nombre des mêmes idées, ils sollicitents aussi les ressources provenant des mêmes segments d'électorat. Une collaboration PLQ-CAQ dans le cas d'un gouvernement minoritaire sous François Legault serait vraisemblabement parsemé d'attaques sournoises entre les membres de la coalition davantage que d'assaut provenant des partis de l'opposition. Et dans cette ambiance pourrie, on ne peut pas s'attendre à ce qu'un gouvernement de ce genre puisse accomplir rien de signifiant, à moins de pressions de la part des gens de l'Establishment qui sont bien au chaud à Sagard.

Un gouvernement minoritaire peut aussi être libéral. Dans le cas d'une victoire du PLQ, comme le PQ est l'adversaire traditionnel, la seule alliance envisageable est avec la CAQ. Les résultats seraient sensiblement les mêmes, à part que la PLQ a un poids historique que n'aurait pas son partenaire, et tout succès que les libéraux pourraient avoir ne serviraient qu'à remettre leur parti sur pieds. On l'a vu avec l'élection législative de 2007, où les libéraux sont devenus brièvement minoritaires, que la coopération avec les autres partis ne sert que de moment de repit pour rebâtir ses forces et déclencher des élections au moment opportun pour reconquérir le pouvoir et évincer le parti qui compétitionne directement pour les mêmes ressources (ce que le PLQ fit l'année suivante a faisant quasiment disparaître l'ADQ de la carte électoral alors que ce parti avait momentanément éclipser le PQ en devenant l'opposition officielle). Là où c'est intéressant (de manière morbide), c'est de savoir si un gouvernement libéral se ferait sans ou avec Jean Charest. Dans le cas échéant où le PQ réussit à faire un «Godin» à Sherbrooke, le premier ministre sortant pourrait opter de se présenter à nouveau dans un chateau-fort libéral, comme Westmount, et résumer ses fonctions une fois réélu; il pourrait aussi, épuisé, quitter la politique. Tout dépend des humeurs de Michou et de ce qui est le plus expéditif pour les intérêts mercantiles de la famille Desmarais. Même élu, Jean Charest pourrait être contester dans son propre parti. 2007 a été un «close call» pour Charest, sa remontée ne s'appuyant que sur la médiocrité ambiante de la scène politique en 2008: d'un côté il y a eu l'ADQ, avec son rassemblement de députés nobodys avait énormément déçu une population en quête de changement (et qui répéteront encore la même erreur en votant pour la CAQ), de l'autre, Charest a été aidé par l'antipathie qu'attire souvent Pauline Marois et le talent qu'a le PQ d'être son propre pire ennemi. Un deuxième gouvernement minoritaire de Jean Charest pourrait être finalement son dernier, bien que nombreux sont ceux qui ont annoncé la mort politique du premier ministre, autant lors de la débâcle du parti progressiste conservateur que durant la minorité de 2007.

Et puis il y aurait la possibilité d'un gouvernement péquiste minoritaire. Dans ce cas-ci, si le PQ n'est pas un parti capable plausiblement d'avoir une alliance avec le PLQ (l'adversaire traditionnel) ou la CAQ (les transfuges). Par contre ce parti pourrait, avec un peu de volonté, se trouver des alliés parmi les partis mineurs (s'ils ont des députés élus) que ce sont Option Nationale et Québec Solidaire. Une telle alliance, un front uni espérer par certains, obligerait le PQ a honorer ses anciennement convictions souverainistes et progressistes et ce, de manière concrète, plutôt que de faire de discours en l'air. Dans une telle alliance, le problème ce serait la mauvaise foi du PQ, le style de leadership un peu lourdeau de Pauline Marois et le manque de constance dans sa vision politique. Marois, dont je souhaite le départ depuis longtemps, pourrait voir le gouvernement minoritaire comme une étape à franchir pour la pleine majorité, plutôt qu'un manque de confiance qu'a la population envers elle.

Dans les trois cas, un gouvernement minoritaire serait comme le gouvernement provisoire de Russie sous Kerensky (en 1917, entre le régime tsariste et la prise du pouvoir des communistes): il arriverait à un point tournant de l'Histoire, serait instable et de courte durée, puis il tomberait rapidement dans l'oubli. Dans le cas du prise de pouvoir de la CAQ ou du PQ, ce serait au moins une défaite pour Jean Charest, ce qui m'amenerait une certaine joie, mais dans la réalité, les mains qui contrôlent ce pantin ce choisirait tout simplement une autre marionnette.


Pauline, Staline et Poutine


Une autre possiblité, c'est la victoire bien réelle d'un trois partis, et la formation d'un gouvernement majoritaire de l'un de ceux-ci. Dans le cas du PLQ et de la CAQ, c'est du pareil au même, à la simple différence que la CAQ est un nouveau parti, ne disposant pas encore de Vieille Garde et de belles-mères, ce qui est à la fois un avantage (une plus grande liberté d'action de ses membres par rapport à une élite déjà établie) et un inconvénient (les vétérans amènent avec eux ressources, réseaux et expérience). Mais une réélection de Jean Charest a le danger de signifier que la population approuve la corruption du gouvernement actuel, que le premier ministre peut agir en toute impunité jusqu'à sa retraite dorée et servir les amis du partis, et que le liberticide de sa loi 78, appuyé par les élections, encourage davantage le chef du PLQ vers des dérives anti-démocratiques. Dans un sens, une victoire de la CAQ serait tout de même plus souhaitable que celle du PLQ, comme la grippe est préférable au cancer. De toutes les options et les scénarios possibles, une victoire libérale reconduisant Jean Charest comme chef de gouvernement majoritaire serait le pire. Ce serait le mandat trop (bien que le premier, à bien y penser, était déjà de trop).

Pour ce qui est du Parti Québécois, une victoire de Pauline Marois serait pour elle un ego trip majeur, alors on serait pas plus de s'en débarrasser. Peu importe si les gens ont voté pour elle stratégiquement pour chasser Jean Charest du pouvoir, le 5 septembre ces votes seront réinterprétés comme un chèque en blanc pour les péquistes et cette nuance de compromis disparaîtra. On peut alors penser ce que donnerait un ou deux mandats de Pauline Marois: les gens, exaspérés, finirait par vouloir voter massivement contre le PQ en portant les libéraux au pouvoir (ou la CAQ, si elle survit au choc de la défaite). L'alternance est un mécanisme malsain qui résulte du scrutin uninominal majoritaire à un tour. J'avoue aussi mon accord avec Jean-Martin Aussant quand il dit qu'un parti manquant de conviction, comme le PQ, ferait plus de tort à la souveraineté en étant au pouvoir et en n'agissant pas en faveur de l'indépendance que ne le ferait un parti fédéraliste, parce que bon nombre de militants se sentiraient trahis. Ou davantage trahis.


Que faire?


(Bon, évidemment, ne pas devenir marxiste.)

J'ai souvent critiquer les manifestations comme étant un moyen inefficace de faire de la politique et j'ai eu tort. S'il y a des élections en été 2012, c'est principalement à cause d'une manoeuvre de Jean Charest pour se servir de la grève étudiante comme fenêtre d'opportunité pour saisir un quatrième mandat. L'impact sur l'Assemblée nationale est là. Les pressions des étudiants, puis des citoyens engagés qui les appuient, ont refaçonner le paysage politique. Plusieurs de ces retombées ne sont pas nécessairement positives (les partisans de la CAQ et du PLQ carburent à la peur et à une idéologie de «loi et ordre» qui prétend sauver la liberté qu'elle brime). Malgré que les médias conventionnels passent sous silence la gauche au Québec, les militants s'activent. On apprend à respecter les diversité des tactiques. La contestation de la hausse des frais scolarité n'est pas forcément synonyme de grève étudiante, mais on respecte ceux qui la font. À défaut d'avoir des médias qui ne fournissent des informations véridiques, on en crée de nouveaux: il y a les réseaux sociaux certes, mais on voit aussi apparaître CUTV qui donne l'heure juste sur la brutalité policière en milieu universitaire commandée par le gouvernement en place pour se faire du capital politique auprès d'une population mal informée et apeurée.

Idéalement, j'aimerais que tout le monde vote Option Nationale ou Québec Solidaire, mais réalistiquement ça ne se produira pas. Par contre, il est peut-être temps d'envisager la politique québécoise non plus sur une base de 4 ou 5 ans (le temps d'un mandat), ou de 8 à 10 ans (ce qu'il faut normalement pour compléter un cycle d'alternance) mais carrément sur une étendue de 25 ans et se demander où veut-on être. Les gens qui sont tentés par la CAQ (et auparavant par l'ADQ), malgré leurs défauts, souhaitent tout de même, comme les partisans de l'ON et de QS, de sortir du marasme du bipartisme. Ce n'est pas que le PLQ et PQ doivent disparaître, mais que ces partis doivent défendre des idées plutôt que leur propre pouvoir et une clientèle issue de l'Establishment.

Il faut en arriver avec un mode de scrutin qui représente plus fidèlement les opinions politiques de la population. Le système proportionnel a ses défauts, mais le scrutin uninominal à un tour est désastreux en termes de représentativité. Ah, oui, et la stabilité là-dedans? C'est certain que dans une dictature, où une seule personne impose sa vision, il n'y en a pas d'instabilité, parce qu'il n'y a de discussion possible. Accepter la démocratie, c'est comme être un entrepreneur: c'est accepter une certaine part de risque.
 
Appuyer Option Nationale, c'est d'abord appuyer des idées. Si l'Option Nationale gagne en popularité, c'est que les idées souverainistes font leur chemin. Ce qui peut à long terme déstabiliser un peu le Parti Québécois et le ramener à l'ordre, le remettre sur la voie de sa raison d'être qu'est de faire l'indépendance du Québec. Oui, ce qu'on fait peut faire du mal au mouvement souverainiste en divisant le vote et en donnant certains comtés aux libéraux, mais ça s'appelle du tough love. Les indépendantistes ne sont pas des ânes devant lesquels on peut agiter une «carotte» référendaire pour faire avancer le PQ dans les sondages. Un parti souverainiste devrait être l'instrument de la cause indépendantiste, et non le contraire.

Une autre idée qu'avancent Option Nationale et Québec Solidaire, c'est de faire de la politique autrement. L'expression est un peu galvaudée, j'avoue, mais la coopération entre ces deux partis, qui compétitionnent tout de même pour le même segment de l'électorat, est un élément nouveau. Si cette entente peut survivre les tensions électorales, puisque les partis sont en compétition, on peut espérer quand période d'accalmie, lorsque les deux partis siégeront à l'Assemblée nationale, coopéront davantage. On se demande ce que ça donnerait au sein d'un gouvernement élu selon un scrutin proportionnel.

En bout de ligne, le 5 septembre, le gouvernement qu'on aura, peu importe lequel des trois partis «sérieux» qui est élu sera le mauvais choix. Et ce, qu'il soit minoritaire ou non. Mais il faut penser à ce qu'on veut comme situation non pas pour les 4 prochaines années, mais voir au-delà, dans 2, 3 voire 4 mandats. Malgré que les progressistes soient prévisiblement perdants aux prochaines élections, les gens qui appuient Option Nationale et Québec Solidaire le font avec enthousiasme et sincérité pour défendre des idées, et non par carriérisme comme ceux de la troïka de la droite. Il faut être résilient pour faire du porte-à-porte, jour après jour, dans un comté où on sait qu'au mieux on terminera 4e ou 5e. Et c'est aussi l'exemple de ces gens, qui dans une génération, viendra peut-être à bout de la médiocrité actuelle qui cause le cynisme en politique.

Ainsi, mêmes défaits aux prochaines élections, les candidats progressistes ne seront pas pour autant battus. Avec la tête haute, ils pourront se rappeler les mots de Gaston Miron et se dire aux élections suivantes:


« Je ne suis pas revenu pour revenir
Je suis arrivé à ce qui commence »


Et je serai là, encore, pour les appuyer. :)