Sunday, June 5, 2011

Des colporteurs de pseudo-science


Dans le texte L'Hystérie des faux-jetons, Robert Deschamps, membre du Réseau «Libarté» Québec est allé de l'avant avec bon nombre d'arguments douteux. Gagnant dans le lot d'inepsies est le commentaire suivant:


«Dès lors, et il semble qu’il faille le répéter, la première chose à faire pour rendre le système scolaire véritablement productif, c’est de le redécouper de façon à créer divers types d’écoles qui correspondent aux différents profils psychogénétiques qui composent la population. L’idée que tous les individus appartenant à une société donnée puisse franchir avec succès un parcours scolaire unique et universel, à caractère fondamentalement académique, est un fantasme profondément malsain. En fait, si un programme de formation devait conduire à un taux de réussite de 100%, cela ne signifierait qu’une chose : la somme des connaissances que celui-ci représenterait ne vaudrait pas très cher, puisque le moins intelligent des élèves serait parvenu à se les approprier! »



Le RLQ est tourné vers l'avenir?

Stephen Jay Gould peut facilement argumenter le contraire.


LA MAL-MESURE DE L'HOMME

Ce type de théorie concernant les supposés profils psychogénétiques n'est que la nouvelle incarnation de la même foutaise que certains colporteurs de pseudo-science, tous politiquement intéresssés, ont avancé depuis le XIXe siècle, un mensonge qui refait périodiquement surface selon les cycles politiques et économiques. Dans son ouvrage La Mal-Mesure de l'homme (The Mismeasure of Man), Gould fait une critique étoffée et rigoureuse de plusieurs de ces théories en dénonçant comme erronnées les trois suppositions suivantes: (1) le déterminisme biologique, (2) l'unimodalité de l'intelligence, et (3) le caractère inchangeant de celle-ci.


1. Le déterminisme biologique

Par l'expression de déterminisme biologique, ce qu'on veut dire c'est que les caractéristiques d'un individu, dont l'intelligence, sont entièrement héréditaires, donc innées. Je ne relancerai pas le débat entre l'inné et l'acquis (nature versus nurture) parcequ'il n'y a pas d'arbitrage à faire entre deux catégories qu'on prétend mutuellement exclusives vues que de toute évidence il y a des intéractions entre l'environnement externe dans lequel l'individu évolue et les composantes internes de cette personne: une personne dotée du meillleur «profil psychogénétique» possible qui n'a pas accès à une éducation convenable et qui souffre de malnutrition durant son enfance n'atteindra pas les sommets intellectuels auxquels les biologistes l'ont prédestinés (importance de l'environnement); un élève atteint de trisomie 21, même avec les meilleurs aidants, plafonnera éventuellement dans son cheminement académique (importance de l'inné), mais ceci ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'aider. En guise de comparaison avec le milieu des affaires, certaines entreprises possèdent des avantages concurrentiels au sein de l'environnement interne de leurs organisations («l'inné»), par exemple un savoir-faire particulier ou un brevet, mais ces avantages sont restreints ou encouragés selon la conjoncture économique et les nombreux autres facteurs de l'environnement externe («l'acquis»). Alors vouloir encore endosser des idées de déterminisme biologique, où on ne considère que l'inné pour définir les comportements et les capacités mentales d'une personne, est complètement dépassé. Mais bon, le RLQ a toujours de la difficulté à se détacher des vieilles idées qui ne fonctionnent pas, préférant se livrer perpétuellement à des surenchères irationnelles plutôt que de voir la réalité.


2. L'unimodalité de l'intelligence

L'expression de l'unimodalité de l'intelligence signifie simplement que certaines personnes considèrent que l'intelligence ne peut que prendre une seule forme quantifiable, par exemple celle du quotient intellectuel. Les profils psychogénétiques dont parle Robert Deschamps ne sont qu'une autre représentation unimodale de l'intelligence, tout comme le poids du cerveau ou la crâniométrie du XIXe siècle, alors que les recherches actuelles montrent des relations complexes entre les différents cortex du cerveau. Et qui dit quantification de l'intelligence dit nécessairement hiérarchisation des résultats, et ces résultats sont toujours curieusement plus favorables pour certains, notamment à cause des biais culturels retrouvés dans les tests. En hiérarchisant, certains se trouvent aux niveaux inférieurs d'une échelle donnée, d'autres occupent les niveaux supérieurs. Quand on combine la hiérarchisation à une vision dualiste de la réalité (inférieur versus supérieur) et à un manque de rigueur de la part de ceux qui construisent les examens évaluant, un manque lié soit à des éléments inconscients (comme le biais culturel) ou conscients (pièges de confirmation, sexisme, racisme, préjugés), on obtient alors des résultats faussés, généralement favorables aux représentants masculins de la race blanche, issus des classes sociales aisées, et défavorables envers ceux qui ne font pas partie de ce segment démographique. Ainsi l'idée de «créer divers types d’écoles qui correspondent aux différents profils psychogénétiques qui composent la population», qui semble extraite de Gattaca ou de Brave New World, est l'absurde aboutissement d'une conception unimodale et hiérarchisée de l'intelligence et un dangereux projet visant à promouvoir la création d'un système de «castes» que légitimerait de la pseudo-science.

Dans la réalité, ce qu'on définit comme étant de «l'intelligence» n'est que le résultat d'une réification, c'est-à-dire la transformation d'un concept abstrait en un objet concret. Le Q.I. ne mesure pas l'intelligence proprement dite, mais la capacité d'un individu à réussir des tests de Q.I. et à se qualifier pour l'institut Mensa. De plus, il est possible de se préparer dans le but spécifique de mieux réussir un test de Q.I. La transformation d'un concept abstrait comme l'intelligence en un object concret comme un profil psychogénétique est la même erreur de réification. La réification cause aussi problème dans la capacité d'analyse économique du RLQ, notamment la vision des membres de ce mouvement qui n'est limitée qu'aux flux monétaires et à quelques indices chiffrés, alors que la réalité englobe un système plus vaste d'échange de biens et de services qui ne se retrouvent pas tous sur les marchés, ainsi que des externalités dont les impacts peuvent être difficilement à quantifier (e.g.: pollution), bien qu'ils soient réels, tout comme c'est aussi le cas pour certains actifs intangibles des institutions et des entreprises (e.g.: patrimoine que laisse la firme Molson sur la vie montréalaise).


3. Le caractère inchangeant de l'intelligence

Quand on demande à de très jeunes enfants s'ils ont déjà été des bébés, ils diront que non, parce qu'ils n'ont pas encore conscience de l'effet du temps sur eux-mêmes. Ils se croient permanents et inchangeants. Le mot ipséité désigne cette fausse impression.

Une autre fausse impression serait de croire que les autres ne peuvent changer au fil du temps et de leurs expérience. Dans le désolant texte de Robert Deschamps, nous retrouvons les affirmations erronnées suivantes:

«Enfin, le concept de «difficultés d’apprentissage» est une autre illusion démente et extrêmement dispendieuse. L’idée que l’échec scolaire ne découle, en fait, que de certains blocages psychologiques, lesquels peuvent être aplanis par l’orthopédagogie, la psychopédagogie ou toute autre forme de sorcellerie éducative, ne correspond tout simplement pas à la réalité du monde matériel dans lequel nous visons. La vérité, c’est que certaines personnes n’ont pas la capacité d’acquérir certains types de savoir. »


Comme je l'ai déjà dit, si des individus peuvent plafonner à cause de certaines contraintes biologiques comme la trisomie 21, l'aide apportée par le système scolaire amène tout de même l'individu plus près du sommet qui lui est possible d'atteindre, alors que la négligence et l'absence de stimulation intellectuelle peuvent empêcher cette personne d'atteindre son plein potentiel. La proposition avancée sert surtout à légitimiter une forme d'élitisme et des mesures d'austérité. Comme rajouterait Stephen Jay Gould (p.23):

«Pourquoi dépenser de l'énergie et des subsides pour essayer d'élever le QI, de toute façon imperméable à l'amélioration, des races ou de classes sociales se trouvant au bas de l'échelle sociale? Ne vaut-il pas mieux simplement accepter le triste diktat de la nature et faire des économies substantielles sur le budget de l'État (ce qui, d'ailleurs, pourrait faciliter les réductions d'impôts accordées aux riches)? Pourquoi vous étonner de la sous-représentation des groupes désavantagés dans votre secteur d'activité (source de confortables revenus et d'une importante considération sociale), si une telle absence ne fait que traduire une aptitude inférieure, déterminée biologiquement, chez la plupart des membres de ces groupes, et ne découle pas des handicaps sociaux qui leur sont imposés actuellement ou leur ont été imposés autrefois? (Les groupes ainsi stigmatisés peuvent être caractérisés par la race, la classe, le sexe, une façon particulière de se comporter, une religion, ou une nation d'origine. Le déterminisme biologique est une théorie générale, et les tentatives actuelles de rabaisser un groupe donné constituent l'exemple même auquel doivent prêter attention tous les autres groupes susceptibles d'être à leur tour victimes d'attaques semblables en d'autres lieux et d'autres moments. En ce sens, l'appel à la solidarité entre les groupes que l'on cherche à dévaloriser n'est pas un discours politique creux, et, loin de le critiquer, il faut au contraire l'applaudir, en tant que réaction appropriée à des attaques menées sur des bases similaires.)» 



NOUVEAU MOUVEMENT, VIEILLES IDÉES


Évidemment, la position officielle du Réseau Liberté-Québec n'est pas la même que Robert Deschamps: grâce à une stratégie «chicken», le RLQ est juste assez à droite pour attirer les réactionnaires, et quand ceux-ci vont un peu trop loin selon les gourous de ce mouvement, ils se dissocient rapidement et affirment que «ce n'est l'opinion d'un membre qui s'exprime librement». Néanmoins, les affirmations de cette personne figure sur une page officielle de ce Réseau, section «Mourial».

Qui ne dit mot consent.

Ce à quoi le RLQ consent, c'est une vision d'une société qui ne vise pas à créer de la richesse pour l'ensemble de la collectivité sur une base de l'égalité des chances entre citoyens, mais à créer des privilèges sur la base de l'inégalité entre sujets: le fait qu'un monarchiste chrétien, Roy Eappen, soit présent dasn ce mouvement est un exemple qui le confirme. La création de privilèges sur la base de l'inégalité est un projet qui prend différentes selon les paradigmes dominants: il peut s'agir de justifier le travail forcé dans une société esclavagiste; de légitimer les privilèges des brahmanes et la pauvreté des pariahs dans un système de castes; le travail des paysans et le privilèges des ecclésiastiques et des nobles dans le système féodal («les trois pilliers»); etc. Ces vieilles idées d'inégalité et de de fatalisme reviennent toujours, périodiquement, sous une forme ou une autre, pour légitimer l'autorité du pouvoir en place et bloquer la mobilité sociale.


Dans le cas qui nous concerne, l'article de Robert Deschamps, on constate que la catégorisation d'individus selon des profils psychogénétiques et la création subséquente d'écoles correspondant à ces profils constitue une autre tentative de répéter la même recette. En relisant Stephen Jay Gould, on pourrait conclure que ces idées servent à promouvoir (1) des mesures d'austérité, surtout quand elles restreignent les services essentiels des moins nantis, mais réduisent les impôts des riches (délire du trickle-down economics); (2) le repli sur soi, sous forme de xénophobie, de conservatisme-nationaliste, ou d'islamophobie habillée par des chrétiens intégristes en lutte pour la laïcité; (3) les intérêts de l'Establishment contre un groupe bénéficiant d'une mobilité sociale accrue, comme c'est le cas actuellement avec tout le «bashing» de syndicats, de la «gauche caviar» et de la «clique du Plateau» que le RLQ effectue pour le compte de ses fortunés marionnettistes et pour la satisfaction de ses pulsions ochlocrates.


Bref, ce mouvement n'est pas tourné vers l'avenir.

C'est un obstacle aux valeurs progressistes et humanistes.

C'est un boulet dont doivent se défaire ceux qui poursuivent le mieux-être de l'individu et de sa société.



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Image (fair use rationale for discussing the book Mismeasure of Man)
http://en.wikipedia.org/wiki/File:Gouldmismeasure.jpg