Tuesday, May 29, 2012

Les Borgias 2 - Prophète nul dans son pays


Le roi Louis XII fut introduit en Italie par l'ambition des Vénitiens, qui voulaient, par sa venue, acquérir la moitié du duché de Lombardie. Je ne prétends point blâmer le parti qu'embrassa le roi : puisqu'il voulait commencer à mettre un pied en Italie, où il ne possédait aucun ami, et dont la conduite de Charles VIII lui avait même fermé toutes les portes, il était forcé d'embrasser les premières amitiés qu'il put trouver;et le parti qu'il prit pouvait même être heureux, si d'ailleurs, dans le surplus de ses expéditions, il n'eût commis aucune autre erreur. Ainsi,après avoir conquis la Lombardie, il regagna bientôt la réputation que Charles lui avait fait perdre : Gènes se soumit; les Florentins devinrent ses alliés; le marquis de Mantoue, le duc de Ferrare, les Bentivogli, la dame de Forli, les seigneurs de Faenza, de Pesaro, de Rimini, de Camerino, de Piombino, les Lucquois, les Pisans, les Siennois, tous coururent au-devant de son amitié. Aussi les Vénitiens durent-ils reconnaître quelle avait été leur imprudence lorsque, pour acquérir deux villes dans la Lombardie, ils avaient rendu le roi de France souverain des deux tiers de l'Italie. 


Le prince (Niccolo Machiavelli)


Dans un texte précédent, Les Borgias, j'expliquais comment le gouvernement de Jean Charest a utilisé une manoeuvre classique de Machiavel en utilisant la démission de sa ministre, Line Beauchamps, pour se faire du capital politique en laissant le public stupide et satisfait. Le premier ministre, ou un au moins un de ses conseillers, a par ses lectures d'oeuvres anciennes réussit à retenir une leçon en matière de stratégie, et c'est bien une des rares choses pour lesquelles on peut encore apprécier le gouvernement en place: apparemment, il y a au moins quelqu'un qui sait lire. Silver lining on the cloud, I guess.


Ailleurs, par exemple à l'ENAP, on peut dire qu'on fait parfois face à des illetrés politiques. Un cas précis: Robert Bernier, qui est professeur de cet établissement. Pauvre établissement ! Dans une émission de mauvais goût animée par un pseudo-journaliste où sont invités des perroquets qui martèlent le message du néolibéralisme ad nauseam, Monsieur Bernier a fait figure de bête de foire - tout un exploit considérant qu'il se trouvait à côté de Johanne Marcotte et de Richard Martineau. Dans un discours insensé, avec une mise en scène ridicule, Robert Bernier osa faire appel à des «forces extérieures» pour régler la crise actuelle à Montréal, c'est-à-dire qu'il a reconnu publiquement en ondes que le gouvernement provincial du Québec devrait faire appel à l'armée canadienne, de juridiction fédérale, pour rétablir l'ordre.


Je vous laisse écouter le clip (le message de Robert Bernier figure vers 12 minutes et 40 secondes):





Laissons de côté le fait que l'envoi de l'armée d'un pays pour dominer ses propres citoyens constituent la pire intervention gouvernementale possible et qu'il est complètement inconcevable que Johanne Marcotte, défenseresse auto-proclamée de la «libarté», ne réagisse pas (et qui propose la solution finale vers la 10e minute du clip... choix très douteux de termes). Laissons aussi de côté le dégoûtant appel au fascisme, qui reconnaît davantage la liberté des entreprises à commercer que celle des citoyens à s'exprimer. Regardons la situation du même oeil que Machiavel: si le gouvernement du Québec, comme les Vénétiens de la Renaissance, fait appel à une «force externe» pour obtenir un gain comme le règlement du conflit étudiant,  il abdique alors une partie de son autorité et ne devient qu'une extension des politiques du partenaire plus puissant. Dans le cas de Venise, il s'agit de devenir l'un des satellites de la France de Louis XII; pour celui du Québec, la présence de l'armée canadienne sous prétexte de mesure d'urgences relèguerait le gouvernement Charest au simple rang de figurant dans le débat social... Il faut toujours éviter, dans un conflit entre entités, de faire appel à un partenaire de plus grande taille, car on risque de créer deux perdants plutôt qu'un seul.


Et ça, Robert Bernier l'aurait su (et aurait plus de jugement...) s'il avait lu Le prince avant de donner son consentement à une option inacceptable.