Sunday, April 17, 2011

MÉMO 3: REDOUBLER




Comme on l'a vu récemment, François Legault et son mouvement Coalition pour l'avenir du Québec tentent de lancer de nouvelles idées pour reformer le système de l'éducation [1], en s'inspirant de manière simpliste du béhavorisme en proposant de hausser de 20% les salaires des enseignants («la carotte») et en abolissant simultanément la sécurité d'emploi chez ces employés («le bâton») tout en liant leurs postes à des contrats de performance. Si l'idée n'est pas bonne pour plusieurs raisons, notamment parce qu'il s'agit de faire du «throwing money at the problem» plutôt qu'un changement en profondeur du système de l'éducation qui apporte davantage de soutien aux enseignants débordés et surchargés, au moins on peut dire que François Legault parle d'école alors que d'autres veulent plus de prisons ou des colisées pour des équipes imaginaires. Je n'irai pas jusqu'à qualifier Legault de «Scott Walker du Québec», mais ses propos semblent avoir un contenu antisyndical sous-jacent, surtout quand il associe faible performance des élèves avec la sécurité d'emploi des enseignants, alors que bon nombre de facteurs interviennent aussi, de manière plus significative, dans ce dossier. Plutôt que de faire une critique de François «L'Ego» et de son mouvement qui paraît être un feu de paille (d'autres le feront...), je propose à la place une solution pour réformer le système de l'éducation: ramener le principe du redoublage à l'école primaire.


AIDER, PLUTÔT QUE DE PUNIR


Simplement, l'élève qui échoue son année scolaire ne devrait pas être promu à l'année suivante, parce qu'il traînera ses difficultés académiques comme boulet tout au long de son cheminement et nécessitera d'attentions supplémentaires qui risquent de faire ralentir le reste de sa cohorte. L'idée du redoublage n'est pas nouvelle et date d'une autre époque. On peut penser que c'est réactionnaire et qu'on encourage la compétition à tout prix et une attitude de «marche ou crève» (ou au mieux de «tough love»), à la différence près qu'il s'agirait pas de faire redoubler l'élève au sein du classe régulière avec des plus jeunes que lui, mais dans une classe multi-niveaux adaptée pour les redoubleurs. Ces classes devraient compter un maximum de 20 élèves dans les conditions idéales. Dans ce système, les redoubleurs de 1ère et de 2e année étudieraient dans la même local, ceux de 3e et de 4e seraient regrouper ensemble, et finalement les plus grands de 5e et 6e auraient eux aussi leur classe d'adaptation. En regroupant les élèves en classes multi-niveaux, on permettrait à un élève de 1ère année de reprendre les leçons de l'année échouée, tout en le laissant écouter celles de 2e année quand l'enseignant s'occupe de la seconde partie de la classe, réduisant ainsi une partie du retard dans ses apprentissages. Inversément, l'élève de 2e année qui redouble a probablement une partie du bagage académique de l'année précédente qu'il ne maîtrise pas suffisamment, et en écoutant l'enseignant à nouveau donner les consignes de la matière aux élèves de 1ère année, il peut réviser ces concepts sans se mettre dans l'embarras de demander une question qui paraît à lui et à ses camarades comme étant «niaiseuse». (Et pourtant il n'y a pas de question «niaiseuse» dans la vie, seulement des gens stupides, qui le sont parce qu'ils ne posent jamais de questions vus qu'ils croient tout savoir. Ils ont un réseau d'ailleurs...)


TRAVAILLER L'ESTIME DE SOI


Qui dit redoubler dit forcément échouer, ce qui peut peser lourd sur l'estime de soi d'un élève, qui aura peut-être droit à la pression parentale et aux railleries d'une cohorte d'amis qu'il ne pourra plus suivre dans les mêmes cours. Un des éléments à privilégier dans les classes d'adaptation multi-niveaux est l'entraide entre les élèves: s'ils ont des difficultés scolaires, ils n'ont peut-être pas simultanément les mêmes difficultés. Plutôt que d'organiser la salle de cours en «grande messe» avec les pupitres alignés en rangés devant le bureau de l'enseignant qui préside le tout, on devrait planifier la classe en cinq «îlots» de quatre pupitres et disperser les 20 élèves de manière à ce que chacune des deux classes soient représentées dans un îlot (si cette situation idéale est possible). Ainsi, l'élève de 2e année côtoiera quotidiennement des élèves plus jeunes, qu'il pourra conseiller et aider au fil des exercices et des travaux, faisant informellement du mentorat avec de la matière académique qu'il maîtrise; il devient alors un aidant, plutôt qu'un simple aidé. Des travaux d'équipe communs aux deux niveaux, évalués selon des critères différents et propres à l'année scolaire et les compétences pertinentes de l'élève, peuvent aussi être envisagés: par exemple, un l'élève de 2e année pour rédiger un conte (évaluation du français) tandis que l'élève cadet qui lui est jumelé pourrait illustrer cette histoire (arts plastiques).


SOUTENIR L'ÉLÈVE GRÂCE À L'AIDE AUX DEVOIRS

Finalement, redoubler une année devrait être combiné (idéalement) avec un programme d'aide aux devoirs jumelant quelques élèves avec un bénévole qui peut les encadrer académiquement, ainsi qu'au niveau socio-affectif. Comme je l'ai déjà mentionné dans l'article MÉMO 2, ce complément au système scolaire conventionnel aide au développement des compétences interpersonnelles, permet de palier un manque d’implication des parents auprès des élèves, parfois résultant de certaines barrières linguistiques chez des immigrants de première génération qui ne parlent pas suffisamment français pour comprendre les devoirs des enfants.



CONCLUSION


Redoubler, ce n'est pas le plan du siècle, ni une solution miracle, mais au moins c'est une mesure qui, quand elle prend en considération le développement optimal de l'élève (au lieu de simplement être une sanction ciblant les cancres), permet de faire face aux réels problèmes de l'élève ayant des difficultés d'apprentissage et de les «coacher» afin de le remettre sur la bonne voie, tout en l'outillant pour ce parcours, au niveau académique autant que socio-affectif. Dans une société où valorise seulement les «gagnants», il serait peut-être préférable de préparer l'élève avec la réalité que sont les échecs dans la vie, non pas pour motiver une meilleure performance par la peur, mais simplement pour rappeler qu'on peut avoir réussir après une deuxième chance, qu'on peut se remettre d'un fiasco. Un peu comme quand un gamin apprend à faire du vélo, il peut tomber plusieurs fois, même s'égrattiner les genoux, mais éventuellement il se relève et par persévérance ainsi que grâce aux encouragements de ses parents, il arrive à être capable de faire de la bicyclette. C'est le même esprit de persévérance et d'entraide qu'il faut promouvoir dans le système scolaire et non une compétition à tout prix axé sur le «me, myself, and I».

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[1] Enseignants: hausser les salaires et abolir la sécurité d'emploi, dit Legault

Image (domaine public)
(modifiée)