Thursday, January 15, 2015

Lutter contre le terrorisme ?


« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, 
sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »



Arrêtons de courrir comme une poule sans tête.


Refusons la peur.


Après une période d'attente et de réflexion, question de laisser la poussière redescendre et d'éviter de suivre des vagues trop émotives (je n'ai pas adhéré au mouvement «Je suis Charlie», que je jugeait trop près du superficiel et narcissique «Ice Bucket Challenge», bien que je condamne l'attentat et j'offre mes sympathies à la famille de toutes les victimes de cette tuerie imbécile), je me permets d'écrire ces quelques lignes sur l'attentat contre Charlie Hebdo en 2015. Le texte, je le crains, sera malheureusement encore pertinent dans plusieurs années. L'Histoire semble sans cesse se répéter et il y aura d'autres incidents de ce genre, on n'a pas besoin d'être devin pour le dire. Sans être fataliste, des forces politiques sont en marche, autant au Moyen Orient qu'en Occident, et le but est simple: promouvoir la thèse du choc des civilisations, question de nous ramener 1000 ans en arrière, pour de multiples raisons dans chaque camp. Pour les commentateurs de droite, il s'agit de capitaliser sur la peur et la haine pour s'auto-promouvoir auprès d'un public pourtant formé de gens bons; pour les intégristes religieux, qu'ils soient juifs, chrétiens, ou musulmans, c'est un règlement de comptes par les armes pour abreuver par le sang, celui des victimes autant que des «martyrs», la soif d'un fanatisme religieux qui semble vouloir nous faire revivre les Croisades; pour les gouvernements occidentaux à la solde du 1%, c'est une façon de justifier les interventions militaires au Moyen Orient afin de s'assurer la mainmise sur les ressources pétrolières de la région tout en exploitant le lucratif marché de l'armement et en réduisant la possibilité de l'émergence d'une hégémonie régionale parmi les pays musulmans (l'Occident est allé jusqu'à vendre des armes aux deux côtés lors de la guerre Iran-Iraq dans années 80, question de prolonger le conflit et d'épuiser les deux bélligérents, un plan digne de l'organisation criminelle SPECTRE des films de James Bond...).


Bref, il y a eu une tuerie, les gens ont eu peur, les médias ont martelé la nouvelle quotidiennement parce qu'elle attirait l'attention (donc les cotes d'écoutes et les revenus publicitaires), la droite a récupéré à son profit l'incident pour faire du gain politique et nourrir une obsession sécuritaire au dépens de nos libertés civiles, les communautés musulmanes en Occident se sont retrouvées stigmatisées et marginalisées, les «mononcs» racistes ont profité de la confusion et de l'inquiétude pour pouvoir exprimer des commentaires islamophobes sur toutes les tribunes, en évitant à la fois l'habituelle réprobation sociale de ce genre contenu et en faisant passer pour faibles ou traîtres tous ceux qui n'étaient pas de leur avis, et les théoriciens du complot ont parlé d'un coup monté, d'une fausse bannière (false flag), avec les habituels arguments douteux. Chaque incident de ce genre semble à chaque perpétuer le même cycle, un cercle vicieux qui engendre la peur, la haine, la violence et les représailles. La lutte au terrorisme va au-delà de simplement empêcher les intégristes d'employer des armes contre l'Occident ou enrayer la cause immédiate (mais pas unique) de ce problème, l'endoctrinement par les fanatiques: c'est un problème multidimensionnel qui n'a pas de solutions simples.





« La peur est le chemin vers le côté obscur: la peur mène à la colère, 
la colère mène à la haine, la haine… mène à la souffrance.»



Pour lutter contre le cycle de la terreur, il faudrait d'abord définir ce qu'on entend par terrorisme. A la base, le terrorisme est une stratégie de guerre non-conventionnelle basée sur l'asymétrie des combattants, où l'objectif est de faire, par surprise, des attaques ciblées qui générent un maximum de retombées sous forme de dégât collatéral que constitue la peur. Ben Laden n'a pas détruit le World Trade Center pour seulement tuer 3000 personnes et priver New York de deux édifices emblématiques où se déroulent d'importantes transactions commerciales: il a voulu faire peur à 300 millions d'Américains et déstabiliser psychologiquement l'ensemble de l'Occident tout en cherchant à cultiver sa propre popularité auprès des intégristes, pouvant éventuellement être recrutés dans le conflit. Dans ce type de stratégie, le tonnerre est toujours plus important que l'éclair qui le précède, et l'impact psychologique sur l'ensemble d'une population est beaucoup plus important que les pertes matérielles et les vies humaines. Or, déjà, le citoyen ordinaire peut s'armer contre le terrorisme en faisant preuve d'esprit critique, en refusant de céder à la peur et à la panique, en restant calme et prenant du recul. C'est l'essence de la campagne britannique de 1939, Keep Calm and Carry On,  pour contrer la terreur occasionnée par les bombardements quotidiens de l'aviation allemande durant la Seconde guerre mondiale. Un individu n'est pas impuissant contre le terrorisme: il peut avant tout se doter d'un bouclier formé d'esprit critique et priver ainsi les intégristes d'un gain.


Par son simple exemple, l'individu calme peut aussi donner l'exemple à d'autres, et ainsi exercer une forme de leadership qui semble peut-être à première vue passive ou modeste, mais elle est cruciale pour garder le cap lors d'une crise, qu'elle soit majeur comme celle du 11 septembre 2001, ou de faible envergure comme un modeste exercice annuel d'évacuation d'immeuble dans le cadre d'un programme de prévention des incendies. Il ne faut jamais confondre l'absence d'action par le calme avec un refus d'agir. En plus d'être calme, de passivement donner l'exemple aux autres par son comportement, une personne peut aussi activement lancer un appel au calme dans son environnement immédiat (dont la portée est maintenant élargie grâce aux médias sociaux) et provoquer ainsi, modestement, un contre-courant qui mine l'impact psychologique de l'attentat terroriste. Déjà, ce sont trois façons de combattre le terrorisme. Vous me direz que de rester calme n'arrête pas les balles, les bombes, ni les enlèvements, mais rappelez-vous que d'abord le but recherché par les terroristes est de provoquer la terreur, et que de toute manière rien de bon ne peut résulter si on cède à la panique, surtout pas une décision éclairée.


Si à court terme, le calme est la solution immédiate contre le terrorisme, à plus long terme, c'est la réflexion plus que la réaction qui doit être envisagée. Il y a ce qu'on voit (les balles, les attentats, les explosions, les morts) et ce qu'on ne voit pas (les idées, les idéologies, la peur). La lutte contre le terrorisme est d'abord une résistance contre ce qu'on ne voit pas. Et ce qu'on ne voit pas, ce sont les terroristes eux-mêmes, qui se fondent dans la foule. Certes, il y a des zones dans le monde où prolifèrent ouvertement ce type d'individus armés (Daesh, Azawad), mais généralement ils comptent sur l'anonymat et l'effet de surprise pour sévir derrières les lignes du camp adverse. De manière hâtive, certains vont d'abord conclure que si l'Occident a un adversaire, dans ce cas-ci les intégristes musulmans, il suffit d'utiliser les moyens d'une guerre conventionnelle (bombardements aériens, occupation du territoire, neutralisation de l'armée adverse, traités de paix) et des sanctions économiques pour venir à bout de la « Musulmanie », ce grand « Mordor des mononcs » existant dans l'imaginaire de la droite populiste. Cette approche, si elle pouvait fonctionner contre d'anciens adversaires comme l'Allemagne nazie (pardonnez le point Godwin...), réussit dans la mesure où l'ennemi possède des institutions qui peuvent être neutralisées, de l'infrastructure qui peut être détruite, des territoires qui peuvent être occupés et un gouvernement reconnu que l'on renverse. Il s'agit ici de cibler ce que l'on voit. Mais avec le terrorisme, les règles changent et les mêmes méthodes sont moins efficaces, parce que l'ennemi n'est ni un pays rival contre lequel on peut employer pleinement tous les outils de politique étrangère (y compris la force militaire), ni simplement un phénomène de criminalité interne que la police, le système carcéral et l'appareil judiciaire peuvent neutraliser. Ce flou est une arme utilisée par l'ennemi. On le constate, l'occupation militaire de l'Afghanistan par le Canada, lancée par Jean Chrétien, mais poursuivie avec vigueur par le régime Harper, n'a pas donné le résultat espéré: certes les Talibans ont été chassés du pouvoir et un nouveau régime, plus pro-occidental, a été mis en place, mais Al-Qaïda (et ses clônes) existe encore - l'essentiel de son existence étant dans ce que l'on ne voit pas. Al-Qaïda n'a pas de capitale à envahir, pas de gouvernement qu'on peut remplacer par un équivalent plus sympathique à l'Occident, pas d'usines stratégiques qu'on peut bombarder. A mi-chemin entre une organisation criminelle et celle plus vaste d'un État, les mouvements terroristes ne peuvent pas être aussi facilement arrêtés par une simple déclaration de guerre, parce que la plupart des actifs de ces groupes sont intangibles.



Les actions posées par l'élimination physique des terroristes provoquent aussi des résultats inattendus, parfois contraire à ce qui était espéré. Par exemple, la mort en 2011 d'Oussama Ben Laden n'a pas coupé la tête du serpent, mais celle d'une hydre: plutôt que de décapiter une organisation terroriste, la mort de l'un de ses dirigeants peut insidieusement inspirer des intégristes, faciliter le recrutement, donnant ainsi naissance à de nouvelles cellules qui renforcent l'organisme. Le fanatisme carbure aux martyrs


[...]

On peut déclarer une guerre contre une organisation ou un État, on ne peut pas techniquement déclarer celle-ci à une stratégie.

[..]

D'autre part, ce qui constitue du terrorisme est en partie subjectif - la Résistance française était héroïque pour les Alliés, terroriste pour l'Axe.



Au Québec, on a connu le terrorisme d'État de Pierre Trudeau durant la Crise d'Octobre, et le terrorisme révolutionnaire du FLQ durant cette même période. Puis on est sorti de l'impasse: victoire écrasante du fédéralisme, ou est-ce que la gauche indépendantiste avait trouvé via le Parti Québécois et l'option référendaire un moyen d'accomplir ses objectifs? Quoiqu'il soit, le dernier incident terroriste sérieux, celui de Richard Henry Bain, provient du camp fédéraliste, bien que ce soit un électron libre dérangé plutôt que le fruit d'un complot.

Il y a dans le terrorisme la volonté de faire peur. Il y a dans les médias conventionnels la volonté de faire réagir pour attirer des cotes d'écoutes et du lectorat. Sans faire d'amalgame, il y a une volonté des terroristes d'utiliser les médias pour maximiser la peur, faire réagir. Les médias sont naturellement prédisposé à focaliser sur les mauvaises nouvelles (personne ne fait de cas quand on annonce que les trains sont arrivés à l'heure) et à chercher à attirer l'attention.

Aujourd'hui, les intégristes musulmans utilisent les tactiques initiales de la secte des Hachichins d'il y a 1000 ans: des attentats ciblés, à haut profil, pour maximiser la peur. Mais ils ont accès aux médias de masse, aux réseaux sociaux et à l'armement moderne.

Et puis il y a la société de consommation. L'instantanéité. Débarquer dans un journal et fusiller tout le monde ne prend qu'une journée. Lancer des pétitions, cultiver l'opinion publique, persuader, convaincre, une personne à la fois, est un travail long, acharné, avec des résultats souvent intangible. La peur, elle, est bien réelle et réussit à tout coup. Parfois, certains n'ont même pas besoin de cause pour faire de tels massacres, comme on a vu durant la tuerie de Columbine et, plus près de nous, Polytechnique.

Il faut se rendre à l'évidence qu'on est dans une situation beaucoup plus complexe que celle des «bons et des méchants» et que parfois, il n'y a de solution rapide, ni facile, au terrorisme. Les guerres en Iraq, en Libye, en Syrie et Afghanistan ont certainement démontré l'échec des interventions militaires occidentales pour écraser le terrorisme.

Il y a des réflexions qui s'imposent.




[texte à continuer]